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(75) Le barreau de Paris réussit sa rentrée

(75) Le barreau de Paris réussit sa rentrée
Vanessa Bousardo, Julie Couturier, Vincent Nioré, Pierre Hoffman
Publié le 05/12/2023 à 17:30

Événement majeur pour les avocats et tous les acteurs de la justice, la cérémonie solennelle de rentrée du barreau de Paris se déroulait en fin de semaine dernière au théâtre du Châtelet. L’occasion d’un état des lieux de la justice française par ceux qui en constituent le cœur nucléaire.

« Vous, les avocats, aux côtés des magistrats, êtes les gardiens de notre état de droit. Vous êtes plus de 30 000 à Paris et, chacune et chacun d'entre vous, êtes les gardiens de notre idéal de justice. Vous êtes des pièces centrales de notre démocratie. » Comme l’année dernière, la maire de Paris, Anne Hidalgo, ouvrait le bal de la cérémonie solennelle de rentrée du barreau de Paris et de la Conférence, le 24 novembre 2023. L’occasion pour l’élue de réaffirmer son soutien au premier barreau de France. 

Le moment, aussi, de remercier les tuniques noires pour leur importance dans le rayonnement de la capitale française : « vous permettez à Paris, à travers le rayonnement de ce barreau parisien, d'être une capitale internationale du droit. En témoigne encore, bien sûr, cette conférence annuelle internationale des barreaux qui a choisi Paris fin octobre. » 

L’opportunité, enfin, de souligner le rôle « vital » de la justice, garante de la stabilité de l’état de droit, citant la condamnation du président brésilien Lula en 2017 finalement annulée par la Cour suprême quatre ans plus tard, ou les dérives du gouvernement polonais condamnées par la Cour de justice de l'Union européenne en 2021.

Hervé Temime au cœur de l’éloge

Un an après le vibrant hommage rendu par Charles Héran à l’avocat et ancien résistant Roland Weyl, c’est à Jean-Baptiste Riolacci que revenait la tradition de prononcer l'éloge funèbre d'une figure majeure du barreau parisien face au théâtre du Châtelet. Le premier secrétaire de la Conférence des avocats au barreau de Paris a d’abord salué la mémoire de ses illustres collèges décédés il y a peu : « Pierre Haïk, Georges Kiejman, Hervé Temime, Jean-Pierre Versini-Campinchi. Avant eux, Jean-Louis Pelletier et Olivier Cousi ; avant encore Jean-Denis Bredin, Jean-Yves Moyart. An an avant Gisèle Halimi, et puis Bernard Lagarde, Étienne Tarride : tant d'autres avant eux endeuillèrent un barreau marqué par leurs mots et l'écho qu'ils faisaient sur les murs du monde. Jamais autant en si peu de temps. » 

C’est ensuite en direction du ténor disparu en début d’année à l’âge de 65 ans, que le faisceau d’éloges s’est concentré. Lui, qui souhaitait ouvrir une antenne de son cabinet à New York. Lui, qui projetait d’écrire une série traitant des avocats. Lui, mentor jamais avare en conseils pour ses jeunes associés. « Ce qui manque le plus, ce n'est pas le temps passé avec les disparus, mais le futur qu'il aurait été possible d'avoir avec eux plutôt que les instants passés et les moments à venir qui ne viendront jamais », insistait le jeune pénaliste. Des au revoir à la hauteur de ce qu’Hervé Temime représentait pour ce barreau. 

Un devoir de mémoire

« Je persiste et je signe. Il y eut en octobre 1961 un massacre commis par des forces de l'ordre sous les ordres de Maurice Papon. » En une phrase et 27 mots ce le 20 mai 1998, Jean-Luc Einaudi amorçait dans une tribune publiée dans Le Monde l’une des grandes pages de la justice française au XXe siècle, pourtant souvent reléguée au second plan. Un quart de siècle plus tard, le jeune pénaliste Seydi Ba, deuxième secrétaire de la Conférence, s’est chargé de revenir sur l’un de ces procès qui a fait l’Histoire. 

Il raconte l’autre procès Papon, celui qui l’opposa en 1999 à un historien qui n’avait que trop bien fait son travail. « Bien qu'il s'agisse de diffamation, il ne sera pas question pour le tribunal présidé par Jean-Yves Monfort d'examiner la vérité ou non des propos de Jean-Luc Einaudi. Dès lors, la condamnation est très probable », prévient Seydi Ba. 

C’était sans compter sur le témoignage inédit d’Einaudi à la barre. Pendant près de deux heures, il relate les massacres de ce 17 octobre où plusieurs dizaines voire centaines d’Algériens furent jetés à la Seine, et où 12 000 autres furent arrêtés pour avoir manifesté à l’appel du FLN. Puis il conclut : « Monsieur Papon, vous me méprisez, vous avez voulu me faire taire. Mais moi, monsieur Papon, j'ai envie de vous dire merci. Merci, car en me faisant ce procès, vous avez permis que l'histoire avance. » 

Seydi Ba d’ajouter : « Les lois, les tribunaux, les juges participent à garnir les pages du grand livre de l’histoire. » Sans conteste. Car non seulement le tribunal annonça la relaxe de Jean-Luc Einaudi mais il reconnut aussi la réalité de ce massacre exhumé par l’historien. Ce 27 mars 1999, la justice écrivit l’histoire de France. Ce 24 novembre 2023, Seydi Ba soulignait ce passage, pour ne jamais plus l’oublier.

Récompenser l’indispensable

Ce fut alors au tour du maître de cérémonie de prendre la main, afin de procéder à la traditionnelle remise des prix à tous les secrétaires de la Conférence de la promotion 2023. 

Puis le 8e secrétaire de la Conférence Ambroise Vienet-Legué a remis la médaille de la Conférence à Arnaud Leclercq, clerc d'huissier audiencier au tribunal judiciaire de Paris. Celui qui s’échine à trouver un interprète en urgence ou à faire apparaître quelques minutes d’entretien entre un prévenu et son conseil. « Mais dans ce travail de l'ombre, on ne peut que constater un sincère respect du justiciable. Arnaud Leclerc je vous le dis, vous êtes finalement tout ce que la justice française mérite. » En somme, un indispensable rouage officiant dans lombre du tribunal.

Arnaud Leclercq, Ambroise Vienet-Legué

D’avocats et de terreurs

« Aussi loin que je me souvienne, la justice ne m'est jamais apparue comme une calme pesée d’âmes faite par des juges assis et sacrés. Son symbole, pour moi, n'a jamais été la balance du marchand, mais la sagaie du guerrier. La vie, pour moi, c'est chaque jour la rencontre de milliardaires et de mendiants, de saints et d'assassins, de militants et de flics, de juges et de gardiens de prison, de journalistes et de poseurs de bombes. » Si Vincent Nioré, vice-Bâtonnier du Barreau de Paris, reprend ici les mots de Jacques Vergès pour introduire son propos, c’est peut-être parce que les mots de « l'Avocat de la terreur » n’ont pas pris beaucoup de rides en quatre décennies. 

Déjà dans Beauté du Crime, il était question d’épuration ethnique dans le Haut-Karabakh, région soudainement revenue en tête de l’actualité à la fin de l’été, désormais reléguée derrière un autre conflit qui n’en finit pas. « Alors, bien sûr, seul le droit peut nous sortir de la violence. Mais attention aux violences commises au nom du droit », alerte Vincent Nioré, comme une transition avant de faire référence aux violences policières. 

En filigrane, l’idée que la justice reste fragile, peut-être même en danger si l’on en croit de récentes tentatives de réformes « liberticides » et les 34 avocats perquisitionnés à ce jour en 2023, un record sur les 15 dernières années. 

À l’heure où le mandat du duo qu’il formait avec la bâtonnière Julie Couturier arrive à son terme, Vincent Nioré se veut pourtant optimiste. L’optimisme d’un homme qui croit avant tout en ceux qui font la justice, pilier de l’état de droit.

Un mandat face à la violence

C’est vers cet homme justement, avocat au barreau de Paris depuis 1983, que les « mots d’amour » de la bâtonnière Julie Couturier se sont alors se diriger, trois ans jour pour jour après leur élection. Quelques semaines avant leur entrée en fonction, la tribune des 3 000 magistrats, « racontaient, justement, que le droit et la justice étaient en train de perdre du terrain faute de moyens et de volonté politique », assure la bâtonnière. 

Une poignée de jours plus tard, l’invasion de l’Ukraine entérinait le retour de la guerre sur le sol européen et préfigurait la résurgence de tensions en France et l’embrasement de conflits à l’échelle internationale, du Haut-Karabakh au Proche-Orient, en passant par le Yémen, le Soudan et même jusqu’en Iran suite à l’assassinat de la jeune Mahsa Amini. « La violence et ces douleurs auront scandé notre mandat. Et à l'heure du bilan de l'inventaire, des questions me tournent sans cesse dans la tête. Avons-nous fait ce qu'il fallait ? Avons-nous fait ce qu'il était juste de faire ? Avons-nous fait assez ? » 

Aux questionnements de Julie Couturier répondent ses nombreux déplacements de Bruxelles à Varsovie, en passant par le Corridor de Latchine. Autant de voyages qui ont renforcé la place du barreau de Paris en France et dans le monde. 

Alors, à l’heure de passer le flambeau à Pierre Hoffman, la bâtonnière en exercice se fend d’un dernier conseil à l’assistance. « Oui, bien sûr, nous avons fait cela, mais cela n'est rien. Non, cela n'est rien si nous n'utilisons pas dans la période que nous traversons cette tribune pour envoyer un message de résistanceAlors, soyons militants. » À l’heure où le monde et les démocraties tanguent, les valeurs de la France s’avèrent tout sauf anodines, et l’œuvre de ses avocats passés et présents y est pour beaucoup.

Un engagement inédit

Le mot de la fin, comme il est de coutume, est revenu au garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, empêché d’assister au début de la cérémonie par un déplacement à Dijon. Un propos conclusif, dans lequel le ministre de la Justice a tenu à consacrer cet événement majeur. « À mes yeux, le barreau de Paris, c'est plus de 32 000 avocats qui exercent chaque jour leur métier au service de la justice du pays et des justiciables. C’est le plus grand barreau de France. Il est donc assez représentatif des enjeux auxquels les avocats sont confrontés. » 

Le garde des Sceaux a ensuite développé ses desseins pour le ministère qu’il occupe, à commencer par la loi d'orientation et de programmation, promulguée depuis quelques jours ; par le recrutement de greffiers, de magistrats ; par l'engagement vers la transformation numérique ; et par une nette hausse du budget de son ministère. Éric Dupond-Moretti ambitionne de « mettre fin à 30 ans d'abandon humain, budgétaire et politique pour la justice de notre pays. » Ainsi s'est achevée la cérémonie de rentrée du barreau de Paris.

Maël Jeanthon

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