Dans sa lutte contre
la fraude sociale, la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) utilise
depuis quelques années un algorithme qui serait discriminatoire, accuse le président
du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel.
Soupçonnant la
CNAF d'utiliser un algorithme anti-fraude qui discriminerait les personnes
ayant un revenu plus faible, le président du conseil départemental de
Seine-Saint-Denis a saisi la Défenseure des droits mercredi 6 décembre. Dans
une lettre à l’attention de cette dernière, Stéphane Troussel pointe ainsi que
« les critères
retenus par l'algorithme ont une évidente portée discriminatoire à l'égard des
populations les plus vulnérables et que celle-ci est d'autant plus importante
dans un territoire qui cumule les difficultés socio-économiques comme la
Seine-Saint-Denis », sans préciser la source sur laquelle il s’appuie.
Depuis 2010,
la CNAF utilise en effet un outil visant à repérer les individus les plus
susceptibles de commettre des erreurs dans leurs déclarations. Cependant, selon
une enquête du
journal Le Monde, cet outil établirait un « score de risque ».
Ce « score » controversé s'appuierait sur plusieurs critères,
incluant l'âge, les revenus, la localisation de résidence dans des quartiers
jugés défavorisés, le statut de chômage et même le statut d'éventuel handicap
de la personne. Une situation qui, pour Stéphane Troussel, ne saurait être
tolérée, « certaines catégories de populations, déjà en proie aux
difficultés, sont particulièrement visées, ce qui représente une double peine inacceptable
».
Les plus
précaires dans le viseur ?
Cette
récurrence des contrôles dans les milieux précaires fait plus précisément l’objet
d’une étude de l’association
de défense des libertés numériques, La Quadrature du Net. L’algorithme
pointerait ainsi davantage comme étant « à risque » des mères de
famille sans revenus que des couples à l’aise financièrement à la suite d’un
événement tel qu'un déménagement ou une séparation.
Un procédé qui
était déjà plus ou moins connu, car lors de son audition en 2020 par la
commission d’enquête parlementaire sur la lutte contre les fraudes aux
prestations sociales, Jacques Toubon avait critiqué les « ciblages
discriminatoires, quelle que soit la technologie employée ». Selon
l'ancien ministre de la Justice, garde des Sceaux à l’époque, cette pratique
est « complètement opposée à l'esprit de la protection sociale et, plus
globalement, à celui de la République ».
D’autres
organismes recourraient à ce type d’algorithme
Il semblerait
que la CNAF ne soit pas la seule à recourir à ce genre de pratique. En effet,
plusieurs autres organismes tels que l’Assurance Maladie, l’Assurance
Vieillesse, les Mutualités Sociales Agricoles et même Pôle Emploi utiliseraient
des algorithmes similaires. De son côté, le gouvernement, par le biais de la
ministre chargée des Personnes handicapées, Fadila Khattabi, soutient que
l’objectif de cet algorithme est simplement d'identifier les dossiers
comportant des erreurs, et non de surveiller les quelque 13,5 millions
d'allocataires à la manière de « Big Brother ».
Néanmoins, il
est important de souligner que la fraude aux aides sociales représente une somme estimée à plusieurs milliards
d’euros. D'après la Cour des comptes, la fraude aux prestations sociales est
évaluée à environ 6 à 8 milliards d’euros par an. Face à cette réalité, le
gouvernement a pris la décision de renforcer ses actions en dévoilant
en mai un plan visant à doubler les redressements d’ici à 2027.
Romain Tardino