ACTUALITÉ ÎLE-DE-FRANCE

(95) Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise au défi du turn-over des magistrats

(95) Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise au défi du turn-over des magistrats
Publié le 04/10/2023 à 11:15

L’audience solennelle de rentrée du tribunal administratif de Cergy-Pontoise se tenait le 29 septembre dernier. Son président, Jean-Pierre Dussuet, a insisté sur le nombre de départs important au cours de l’année. Des départs qui ne sont remplacés qu’en une fois, à la rentrée de septembre, rendant « difficile la transmission des méthodes de travail de la juridiction mais aussi de nos valeurs ».

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise faisait sa rentrée, le 29 septembre dernier, avec sa traditionnelle audience de rentrée, réunissant magistrats, personnel du tribunal et membres des juridictions administratives et judiciaires, mais aussi, entre autres, des parlementaires – notamment la vice-présidente de l’Assemblée nationale et députée du Val-d’Oise Naïma Moutchou –, des représentants du corps préfectoral et des autorités militaires et religieuses.

L’ancienne présidente du tribunal et actuelle présidente de la mission d’inspection des juridictions administratives, Brigitte Phémolant, était également présente. Une présence « qui illustre tout à la fois l’unité de la juridiction administrative et les liens très forts existant entre les juridictions administratives », s’est réjoui le président du tribunal Jean-Pierre Dussuet qui a pris la parole.

Durant cette audience, celui-ci a tenu a présenter l’équipe travaillant au sein de ce tribunal, composée « normalement » de 52 magistrats – dont trois postes créés le 1er septembre dernier, avec deux postes de présidents de chambre –, 62 agents du greffe et d’une équipe d’aide à la décision. « Je dis normalement car une des caractéristiques du tribunal tient dans la grande mobilité de ses membres », a expliqué Jean-Pierre Dussuet, affirmant que 35 des 52 postes de magistrats ont connu un renouvellement sur les 12 derniers mois. Dans le même temps, 10 des 13 présidents de chambre ont été nommés.

Un défi organisationnel pour faire face aux départs

Des changements réguliers de personnels qui induisent la présence d’une équipe « jeune, dynamique et motivée », a assuré le président du tribunal. Mais « les départs s’échelonnant toutefois au fil des mois tandis que les arrivées n’ont lieu qu’une fois seulement par an, au 1er septembre, de nombreux postes demeurent vacants au cours de l’année », a déploré Jean-Pierre Dussuet. 11 magistrats sont ainsi partis en cours de l’année judiciaire 2022-2023 et n’ont été remplacés qu’en septembre 2023. Pour un effectif théorique de 52 magistrats, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a en réalité disposé d’un effectif réel moyen de 43 magistrats sur l’année judiciaire passée, rendant complexes l’organisation et le fonctionnement de la juridiction.

Une situation qui devrait rester perturbée pour l’année 2023-2024, puisque le président du tribunal a annoncé le départ effectif de deux magistrats depuis le début de la nouvelle année judiciaire, ainsi que le départ à venir d’un troisième magistrat en octobre. « Plusieurs autres ont fait part de leur désir de trouver un détachement dans l’année qui vient et ont entamé des démarches en ce sens », a également annoncé Jean-Pierre Dussuet.

Un phénomène qui pose un défi organisationnel pour le tribunal, qui doit s’adapter pour faire face à ces départs. Cela complique également la formation des jeunes magistrats, dont la formation peut être perturbée. « La forte rotation de nos magistrats rend difficile la transmission des méthodes de travail de la juridiction mais aussi de nos valeurs », a déploré le président du tribunal.

Du côté des agents du greffe, ce phénomène, bien qu’également présent, reste limité, avec 58 agents réellement présents sur 62. Jean-Pierre Dussuet a pris un moment pour leur rendre hommage, saluant « [leur] qualité et [leur] engagement. [Ils] sont le support indispensable de l’activité juridictionnelle du tribunal ».

Une activité « qui reste très soutenue »

Le personnel a d’ailleurs dû faire face à une activité, dans les départements des Hauts-de-Seine et du Val-d’Oise, « qui reste très soutenue », a assuré le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, soulignant la forte dynamique économique de ces deux départements de trois millions d’habitants à eux deux. Les entrées de requêtes nouvelles sont passées d’un peu plus de 10 000 en 2015 à 16 000 en 2022, soit une augmentation de près de 60 % en sept ans. Si la crise sanitaire s’est traduite temporairement par une baisse des nouvelles requêtes enregistrées en 2020, celle-ci a été effacée dès l’année 2021, et les entrées sont reparties à la hausse.

« L’année 2023 semble toutefois devoir être celle d’une pause, particulièrement bienvenue, dans cette course effrénée, a tempéré Jean-Pierre Dussuet, puisque le niveau des entrées devrait se maintenir autour de 16 000 requêtes à la fin de l’année. » Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise devrait néanmoins rester le troisième de France après ceux de Paris et de Nantes.

« Cette pause apparente recouvre en réalité des mouvements internes importants, a nuancé le président, la stabilité des 16 000 entrées, alors pourtant que les référés ont fortement baissé, s’expliquant par la montée en puissance des dossiers de fond, souvent plus lourds à instruire et plus complexes à juger. »

Le contentieux des étrangers représente 52 % des entrées, suivi des contentieux sociaux avec 18 % de nouvelles requêtes enregistrées par le tribunal.

Les référés sur la voie du succès

Les référés urgents sont aussi très importants au tribunal. Ceux-ci ont connu une hausse de 50 % en 2022, mais une baisse de 30% depuis le début de l’année 2023. « Ces mouvements contrastés s’expliquent par l’apparition en force de contentieux, qui pourraient être qualifiés « d’inutiles », puisqu’ils concernent principalement des demandes de rendez-vous en préfecture », a expliqué Jean-Pierre Dussuet. D’après lui, ces référés « inutiles » seraient néanmoins le reflet des problèmes de fonctionnement constatés dans les services en charge de la police des étrangers. Ces problèmes ont connu un pic en 2022, mais sont en voie de résolution.

Des mouvements conjoncturels donc, mais qui « ne doivent pas masquer la tendance de fond qui signe le succès de la réforme des référés », a enchéri le président. En huit ans, les référés enregistrés par le tribunal ont été multipliés par trois, passant de 1 000 à 3 000 requêtes. « Ce succès démontre qu’ils répondent à une attente de nos concitoyens d’une réponse rapide à leur demande. »

« Même si la réponse apportée est par nature provisoire, ces référés permettent de juger des affaires parfois à très fort enjeu », a estimé Jean-Pierre Dussuet, citant notamment la saisine en urgence du tribunal sur les conditions de détention du centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine, et plus récemment sur les conditions de fonctionnement d’un local de rétention ouvert à Nanterre.

Les dossiers en attente de jugement en très légère baisse…

Avec un niveau très élevé de ses entrées et des effectifs connaissant une forte rotation, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise n’avait pu assurer en 2022 la couverture de ses entrées par ses sorties et avait vu le stock de ses dossiers en attente de jugement augmenter. Mais une réorganisation du tribunal en 2023 accentuant la spécialisation des chambres et « la mobilisation constante de tous ses membres, greffiers comme magistrats », d’après le président, ont permis un taux de couverture légèrement positif de ses entrées, entraînant une légère baisse du nombre de dossiers en attente de jugement, « tout en assurant un service public de la justice de qualité ».

Cette baisse des dossiers en attente de jugement tient notamment dans le nombre de dossiers jugés par magistrats, parmi les plus importants de France avec 373 dossiers en moyenne par magistrat au 31 août 2023, contre 292 au niveau national. Une cadence qui « ne s’est pas faite au détriment de la sécurité juridique des décisions rendues », a assuré Jean-Pierre Dussuet. Le taux d’appel des affaires jugées par le tribunal est d’ailleurs lui aussi inférieur à la moyenne nationale, tout comme le taux d’annulation en appel et en cassation. « Dans 98,6 % des cas, les solutions retenues par le tribunal seront les solutions définitives de l’affaire. »

… mais un stock d’affaires en attente de jugement toujours bien rempli

Malgré cette rapidité, la part des affaires anciennes dans le stock d’affaires en attente de jugement reste importante. « Avec 15 % d’affaires de plus de deux ans, le tribunal se situant ainsi à un niveau supérieur à celui constaté nationalement pour les tribunaux de la même taille mais surtout au double de l’objectif fixé par la loi de finances, de 7 % », a déploré le président du tribunal.

Pour réduire ce stock, en plus de la spécialisation de 2 des 11 chambres du tribunal qui sont maintenant dédiées au traitement des dossiers relevant du contentieux des étrangers et particulièrement du contentieux urgent de l’éloignement, les contentieux sociaux sont pris en charge depuis le début de septembre par un pôle de 2 magistrates affectées uniquement au traitement de ces dossiers, avec le souhait pour Jean-Pierre Dussuet d’une « amélioration de nos délais de jugement en cette matière qui touche aux droits des personnes les plus fragiles, que ce soit en matière d’accès au logement ou au RSA ».

Un pôle des référés nouvellement créé et animé par deux magistrats doit permettre au tribunal d’améliorer son temps de réponse, « tout en assurant aux autres magistrats le rythme plus régulier qu’impose le traitement des dossiers de fond », a précisé Jean-Pierre Dussuet. Cette réorganisation va s’appuyer sur la création d’une troisième salle d’audience au premier semestre 2024.

La médiation, l’aide juridictionnelle et les JO, chantiers phares de l’année à venir

Dans les chantiers à venir, le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a souhaité évoquer en premier lieu le développement de la médiation. « Lors de toutes mes rencontres avec les partenaires de la juridiction, j’ai souligné tout l’intérêt du développement de cette voie et l’attachement de la juridiction à promouvoir ce mode alternatif de règlement des litiges », a-t-il assuré. Si le tribunal obtient des résultats encourageants à ce sujet avec un peu plus de 100 médiations acceptées par les parties sur la précédente année judiciaire, ce chiffre reste incomparable avec les 16 000 requêtes nouvelles enregistrées par année. « Mais d’une part, certains contentieux très présents au tribunal, comme celui des étrangers qui représente 52 % de nos entrées se prêtent peu à la médiation. D’autre part et surtout, je tiens ici à réaffirmer que l’objectif poursuivi n’est pas quantitatif mais bien qualitatif », a néanmoins nuancé Jean-Pierre Dussuet, invitant l’ensemble des magistrats du tribunal à examiner chacun de leurs dossiers sous cet angle afin de déterminer si une médiation peut être proposée.

Autre défi évoqué par le président : l’amélioration du traitement des demandes d’aide juridictionnelle. Actuellement, le tribunal travaille en collaboration avec le tribunal judiciaire de Pontoise. « Disons-le tout net, le délai de traitement n’est pas satisfaisant et laisse les demandeurs trop longtemps dans l’attente d’une décision », a regretté Jean-Pierre Dussuet. Pour améliorer le processus, le TJ a affecté des moyens supplémentaires à cette tâche, et le TA a doublé le nombre de présidents en charge de la section administrative du bureau d’aide juridictionnelle. « Ce travail commence à payer puisqu’en un an le nombre de demandes d’aide juridictionnelle en attente de réponse est passé de 2 800 à 800 », a assuré le président.

Sur le plan informatique, le tribunal a été désigné pour tester la partie relative aux juridictions administratives du nouveau logiciel de gestion (SIAJ) des demandes d’aide juridictionnelle, dont le déploiement est prévu en 2024. « Reste que la réponse pérenne à cette vraie question demeure tributaire des résultats des négociations en cours entre le Conseil d’État et la chancellerie pour le transfert des moyens permettant aux juridictions administratives de gérer en interne les demandes d’aide juridictionnelle la concernant », et ainsi éviter de passer par le TJ pour cela, a estimé Jean-Pierre Dussuet.

La réussite des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 fait également partie des priorités de l’année judiciaire. Un événement qui va poser aux juridictions « un redoutable défi d’organisation et de mobilisation en période estivale, défi face auquel nous ne pouvons pas faillir », a affirmé le président, prévoyant « une intense activité de la part de l’administration, notamment en matière de police administrative, activité qui aura nécessairement son pendant sur le plan contentieux ». Des rencontres avec les préfectures devraient être organisées afin d’évaluer les domaines dans lesquels le tribunal doit se préparer. Ne lui restent plus que dix mois pour être prêt.

Alexis Duvauchelle

0 commentaire
Poster

Nos derniers articles