L’audience solennelle de
rentrée du tribunal administratif de Cergy-Pontoise se tenait le 29 septembre
dernier. Son président, Jean-Pierre Dussuet, a insisté sur le nombre de départs
important au cours de l’année. Des départs qui ne sont remplacés qu’en une
fois, à la rentrée de septembre, rendant « difficile la transmission
des méthodes de travail de la juridiction mais aussi de nos valeurs ».
Le tribunal administratif de
Cergy-Pontoise faisait sa rentrée, le 29 septembre dernier, avec sa
traditionnelle audience de rentrée, réunissant magistrats, personnel du
tribunal et membres des juridictions administratives et judiciaires, mais aussi,
entre autres, des parlementaires – notamment la vice-présidente de l’Assemblée
nationale et députée du Val-d’Oise Naïma Moutchou –, des représentants du corps
préfectoral et des autorités militaires et religieuses.
L’ancienne présidente du
tribunal et actuelle présidente de la mission d’inspection des juridictions
administratives, Brigitte Phémolant, était également présente. Une présence « qui
illustre tout à la fois l’unité de la juridiction administrative et les liens
très forts existant entre les juridictions administratives », s’est
réjoui le président du tribunal Jean-Pierre Dussuet qui a pris la parole.
Durant cette audience, celui-ci
a tenu a présenter l’équipe travaillant au sein de ce tribunal, composée « normalement »
de 52 magistrats – dont trois postes créés le 1er septembre dernier,
avec deux postes de présidents de chambre –, 62 agents du greffe et d’une
équipe d’aide à la décision. « Je dis normalement car une des
caractéristiques du tribunal tient dans la grande mobilité de ses membres »,
a expliqué Jean-Pierre Dussuet, affirmant que 35 des 52 postes de magistrats
ont connu un renouvellement sur les 12 derniers mois. Dans le même temps, 10
des 13 présidents de chambre ont été nommés.
Un défi organisationnel pour
faire face aux départs
Des changements réguliers de
personnels qui induisent la présence d’une équipe « jeune, dynamique et
motivée », a assuré le président du tribunal. Mais « les
départs s’échelonnant toutefois au fil des mois tandis que les arrivées n’ont
lieu qu’une fois seulement par an, au 1er septembre, de nombreux postes
demeurent vacants au cours de l’année », a déploré Jean-Pierre
Dussuet. 11 magistrats sont ainsi partis en cours de l’année judiciaire
2022-2023 et n’ont été remplacés qu’en septembre 2023. Pour un effectif
théorique de 52 magistrats, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a en
réalité disposé d’un effectif réel moyen de 43 magistrats sur l’année
judiciaire passée, rendant complexes l’organisation et le fonctionnement de la
juridiction.
Une situation qui devrait rester
perturbée pour l’année 2023-2024, puisque le président du tribunal a annoncé le
départ effectif de deux magistrats depuis le début de la nouvelle année
judiciaire, ainsi que le départ à venir d’un troisième magistrat en octobre. « Plusieurs
autres ont fait part de leur désir de trouver un détachement dans l’année qui
vient et ont entamé des démarches en ce sens », a également annoncé
Jean-Pierre Dussuet.
Un phénomène qui pose un défi
organisationnel pour le tribunal, qui doit s’adapter pour faire face à ces
départs. Cela complique également la formation des jeunes magistrats, dont la
formation peut être perturbée. « La forte rotation de nos magistrats
rend difficile la transmission des méthodes de travail de la juridiction mais
aussi de nos valeurs », a déploré le président du tribunal.
Du côté des agents du greffe,
ce phénomène, bien qu’également présent, reste limité, avec 58 agents
réellement présents sur 62. Jean-Pierre Dussuet a pris un moment pour leur
rendre hommage, saluant « [leur] qualité et [leur] engagement. [Ils]
sont le support indispensable de l’activité juridictionnelle du tribunal ».
Une activité « qui
reste très soutenue »
Le personnel a d’ailleurs dû
faire face à une activité, dans les départements des Hauts-de-Seine et du
Val-d’Oise, « qui reste très soutenue », a assuré le président
du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, soulignant la forte dynamique
économique de ces deux départements de trois millions d’habitants à eux deux.
Les entrées de requêtes nouvelles sont passées d’un peu plus de 10 000 en
2015 à 16 000 en 2022, soit une augmentation de près de 60 % en sept ans.
Si la crise sanitaire s’est traduite temporairement par une baisse des
nouvelles requêtes enregistrées en 2020, celle-ci a été effacée dès l’année
2021, et les entrées sont reparties à la hausse.
« L’année 2023 semble
toutefois devoir être celle d’une pause, particulièrement bienvenue, dans cette
course effrénée, a tempéré Jean-Pierre Dussuet, puisque le niveau des
entrées devrait se maintenir autour de 16 000 requêtes à la fin de l’année. »
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise devrait néanmoins rester le
troisième de France après ceux de Paris et de Nantes.
« Cette pause
apparente recouvre en réalité des mouvements internes importants, a nuancé
le président, la stabilité des 16 000 entrées, alors pourtant que les
référés ont fortement baissé, s’expliquant par la montée en puissance des
dossiers de fond, souvent plus lourds à instruire et plus complexes à juger. »
Le contentieux des étrangers
représente 52 % des entrées, suivi des contentieux sociaux avec 18 % de
nouvelles requêtes enregistrées par le tribunal.
Les référés sur la voie du
succès
Les référés urgents sont
aussi très importants au tribunal. Ceux-ci ont connu une hausse de 50 % en
2022, mais une baisse de 30% depuis le début de l’année 2023. « Ces
mouvements contrastés s’expliquent par l’apparition en force de contentieux,
qui pourraient être qualifiés « d’inutiles », puisqu’ils concernent
principalement des demandes de rendez-vous en préfecture », a expliqué
Jean-Pierre Dussuet. D’après lui, ces référés « inutiles » seraient
néanmoins le reflet des problèmes de fonctionnement constatés dans les services
en charge de la police des étrangers. Ces problèmes ont connu un pic en 2022,
mais sont en voie de résolution.
Des mouvements conjoncturels
donc, mais qui « ne doivent pas masquer la tendance de fond qui signe
le succès de la réforme des référés », a enchéri le président. En huit
ans, les référés enregistrés par le tribunal ont été multipliés par trois,
passant de 1 000 à 3 000 requêtes. « Ce succès démontre
qu’ils répondent à une attente de nos concitoyens d’une réponse rapide à leur
demande. »
« Même si la réponse
apportée est par nature provisoire, ces référés permettent de juger des
affaires parfois à très fort enjeu », a estimé Jean-Pierre Dussuet,
citant notamment la saisine en urgence du tribunal sur les conditions de
détention du centre pénitentiaire des Hauts-de-Seine, et plus récemment sur les
conditions de fonctionnement d’un local de rétention ouvert à Nanterre.
Les dossiers en attente de jugement
en très légère baisse…
Avec un niveau très élevé de
ses entrées et des effectifs connaissant une forte rotation, le tribunal
administratif de Cergy-Pontoise n’avait pu assurer en 2022 la couverture de ses
entrées par ses sorties et avait vu le stock de ses dossiers en attente de
jugement augmenter. Mais une réorganisation du tribunal en 2023 accentuant la
spécialisation des chambres et « la mobilisation constante de tous ses
membres, greffiers comme magistrats », d’après le président, ont
permis un taux de couverture légèrement positif de ses entrées, entraînant une
légère baisse du nombre de dossiers en attente de jugement, « tout en
assurant un service public de la justice de qualité ».
Cette baisse des dossiers en
attente de jugement tient notamment dans le nombre de dossiers jugés par
magistrats, parmi les plus importants de France avec 373 dossiers en moyenne
par magistrat au 31 août 2023, contre 292 au niveau national. Une cadence qui
« ne s’est pas faite au détriment de la sécurité juridique des
décisions rendues », a assuré Jean-Pierre Dussuet. Le taux d’appel des
affaires jugées par le tribunal est d’ailleurs lui aussi inférieur à la moyenne
nationale, tout comme le taux d’annulation en appel et en cassation. « Dans
98,6 % des cas, les solutions retenues par le tribunal seront les solutions
définitives de l’affaire. »
… mais un stock d’affaires en
attente de jugement toujours bien rempli
Malgré cette rapidité, la
part des affaires anciennes dans le stock d’affaires en attente de jugement
reste importante. « Avec 15 % d’affaires de plus de deux ans, le
tribunal se situant ainsi à un niveau supérieur à celui constaté nationalement
pour les tribunaux de la même taille mais surtout au double de l’objectif fixé
par la loi de finances, de 7 % », a déploré le président du tribunal.
Pour réduire ce stock, en
plus de la spécialisation de 2 des 11 chambres du tribunal qui sont maintenant
dédiées au traitement des dossiers relevant du contentieux des étrangers et
particulièrement du contentieux urgent de l’éloignement, les contentieux
sociaux sont pris en charge depuis le début de septembre par un pôle de 2
magistrates affectées uniquement au traitement de ces dossiers, avec le souhait
pour Jean-Pierre Dussuet d’une « amélioration de nos délais de jugement
en cette matière qui touche aux droits des personnes les plus fragiles, que ce
soit en matière d’accès au logement ou au RSA ».
Un pôle des référés
nouvellement créé et animé par deux magistrats doit permettre au tribunal
d’améliorer son temps de réponse, « tout en assurant aux autres
magistrats le rythme plus régulier qu’impose le traitement des dossiers de fond »,
a précisé Jean-Pierre Dussuet. Cette réorganisation va s’appuyer sur la
création d’une troisième salle d’audience au premier semestre 2024.
La médiation, l’aide
juridictionnelle et les JO, chantiers phares de l’année à venir
Dans les chantiers à venir,
le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a souhaité évoquer en
premier lieu le développement de la médiation. « Lors de toutes mes
rencontres avec les partenaires de la juridiction, j’ai souligné tout l’intérêt
du développement de cette voie et l’attachement de la juridiction à promouvoir
ce mode alternatif de règlement des litiges », a-t-il assuré. Si le
tribunal obtient des résultats encourageants à ce sujet avec un peu plus de 100
médiations acceptées par les parties sur la précédente année judiciaire, ce
chiffre reste incomparable avec les 16 000 requêtes nouvelles enregistrées
par année. « Mais d’une part, certains contentieux très présents au
tribunal, comme celui des étrangers qui représente 52 % de nos entrées se
prêtent peu à la médiation. D’autre part et surtout, je tiens ici à réaffirmer
que l’objectif poursuivi n’est pas quantitatif mais bien qualitatif »,
a néanmoins nuancé Jean-Pierre Dussuet, invitant l’ensemble des magistrats du
tribunal à examiner chacun de leurs dossiers sous cet angle afin de déterminer
si une médiation peut être proposée.
Autre défi évoqué par le
président : l’amélioration du traitement des demandes d’aide
juridictionnelle. Actuellement, le tribunal travaille en collaboration avec le
tribunal judiciaire de Pontoise. « Disons-le tout net, le délai de
traitement n’est pas satisfaisant et laisse les demandeurs trop longtemps dans
l’attente d’une décision », a regretté Jean-Pierre Dussuet. Pour
améliorer le processus, le TJ a affecté des moyens supplémentaires à cette
tâche, et le TA a doublé le nombre de présidents en charge de la section
administrative du bureau d’aide juridictionnelle. « Ce travail commence
à payer puisqu’en un an le nombre de demandes d’aide juridictionnelle en
attente de réponse est passé de 2 800 à 800 », a assuré le président.
Sur le plan informatique, le
tribunal a été désigné pour tester la partie relative aux juridictions
administratives du nouveau logiciel de gestion (SIAJ) des demandes d’aide
juridictionnelle, dont le déploiement est prévu en 2024. « Reste que la
réponse pérenne à cette vraie question demeure tributaire des résultats des
négociations en cours entre le Conseil d’État et la chancellerie pour le
transfert des moyens permettant aux juridictions administratives de gérer en interne
les demandes d’aide juridictionnelle la concernant », et ainsi éviter
de passer par le TJ pour cela, a estimé Jean-Pierre Dussuet.
La réussite des Jeux
olympiques et paralympiques de Paris 2024 fait également partie des priorités
de l’année judiciaire. Un événement qui va poser aux juridictions « un
redoutable défi d’organisation et de mobilisation en période estivale, défi
face auquel nous ne pouvons pas faillir », a affirmé le président,
prévoyant « une intense activité de la part de l’administration,
notamment en matière de police administrative, activité qui aura nécessairement
son pendant sur le plan contentieux ». Des rencontres avec les
préfectures devraient être organisées afin d’évaluer les domaines dans lesquels
le tribunal doit se préparer. Ne lui restent plus que dix mois pour être prêt.
Alexis
Duvauchelle