Si l’année 2023 figure le retour à un cycle
économique normal, après une parenthèse Covid atypique et inédite, la période
écoulée n’a pas été de tout repos pour les entreprises malmenées par la
conjoncture.
Le Conseil National des Greffiers des Tribunaux de
Commerce (CNGTC) a présenté la sixième édition de son bilan annuel national des
entreprises. Inflation, augmentation des taux, baisse de la consommation ont
tassé les créations d’entreprises et augmenté significativement les procédures
collectives. Les secteurs du bâtiment et de l’immobilier focalisent toutes les
inquiétudes. Mais dans ce bilan en demi-teinte, la dynamique entrepreneuriale
résiste, note les greffiers des tribunaux de commerce.
« Il n’y a malheureusement pas eu de miracle
pour les chefs d’entreprise en 2023 » constate Laurent Frelat, vice-président de
l’Institut Xerfi Spécifique chargé de présenter les résultats du bilan annuel
du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce (CNGTC). Le choc
inflationniste, le ralentissement de la croissance et la fin des dispositifs
publics « anti-crise Covid » ont mis à mal des pans entiers de l’économie, avec
des conséquences sur le tissu entrepreneurial.
Le
choc est sévère avec plus de 50 000 procédures collectives signalées en 2023,
en hausse de 35 % sur un an. Quelque 13 000 dossiers supplémentaires ont été
ouverts par rapport à 2022. Les procédures collectives sont non seulement en
hausse très nette par rapport aux années atypiques de l’après-Covid - il aura
fallu deux ans pour que s’opère la remise à niveau des défaillances
d’entreprises, qui avaient amplement baissé en 2020-2021 - mais surpassent
désormais les niveaux d’avant pandémie.
Une hausse hétérogène
« C’est un nouveau plus haut historique. Il
s’agit d’une hausse tout à fait significative par rapport aux standards d'avant
pandémie, quand le niveau des procédures collectives était de l'ordre de 45 000
en moyenne par an. Aux effets mécaniques d’un retour à la normale, s’ajoutent
les répercussions des crises actuelles qui ont pesé sur la trésorerie des
entreprises et affecté les carnets de commande », commente Laurent Frelat. Le profil
saisonnier de l'exercice 2023 met en évidence un emballement des procédures
collectives au premier trimestre (+ 45 % par rapport à 2022) et en toute fin
d'année, concomitamment à la dégradation de la situation économique.
Le
sinistre concerne tous les secteurs de l'économie, mais de façon hétérogène. En
2023, le commerce, la construction et l’hébergement-restauration concentrent 60
% des défaillances d’entreprises. Le secteur de l'hébergement-restauration
enregistre la plus forte progression de procédures collectives par rapport à
2022 (+42,8 %), suivi par l'information-communication et les activités
immobilières, avec des progressions supérieures à 40 % pour ces trois secteurs
d'activité. La situation est aussi hétérogène à l’échelle géographique : les
régions insulaires - La Réunion, Mayotte, la Martinique, et même la Corse -
enregistrent les plus fortes hausses de procédures collectives, quand la
métropole reste plus fréquemment épargnée.
Trois
quarts des procédures collectives ouvertes en 2023 ont débouché sur une
liquidation judiciaire, dont plus d'un tiers sur une liquidation simplifiée.
Les placements en redressement judiciaire, bien que minoritaires (21 % des
jugements) ont augmenté : + 49,4 % sur un an. Quant aux procédures de
sauvegarde, elles restent encore marginales : elles ne sont prononcées que dans
un peu plus de 2 % des situations soumises au juge.
L’immobilier et le bâtiment sévèrement touchés
Dans
ce tableau, la position très particulière de l'immobilier et du bâtiment
alerte. Les activités liées directement ou indirectement à ces branches ont
pris de plein fouet l'effondrement de la construction neuve, mais aussi le
tassement des ventes dans l'ancien tout au long de l’année 2023. Au sein des
agences immobilières, les défaillances d'entreprises ont doublé ; quant aux
corps de métiers du bâtiment, ils enregistrent une hausse des défaillances de
l’ordre de 50 %. « Les risques de
faillites sur ces secteurs vont rester très élevés en 2024, car les
perspectives d’activité à très court terme dans ces secteurs restent très
défavorables. Le seul levier permettant de maintenir au niveau des entreprises
du bâtiment est celui de la rénovation énergétique des logements. Cette
activité pourrait servir d'amortisseur », avance le vice-président de
l’institut Xerfi.
Qu’en
est-il des radiations ? Elles retombent quasiment à leur niveau d'avant-Covid,
après deux années consécutives de forte hausse. En 2023, leur nombre s’élève à
284 375, en baisse de pratiquement 18 % par rapport à 2022, où 322 000
radiations avaient été signalées. Secteur par secteur, l’évolution des
radiations reste stable sur un an, à une exception près. Domaine le plus touché
en 2022, le transport-entreposage est le plus épargné en 2023. Les radiations
sont en baisse de plus de 30 % dans cette branche d’activité qui avait
bénéficié d’une bulle pendant la période Covid.
«
La situation semble assainie », juge
Laurent Frelat. Dans les secteurs de la construction, des activités financières
et d’assurance, et de l’information-communication, les radiations ont
relativement peu reflué par rapport à 2022. À noter que les radiations
volontaires représentent plus de la moitié (54,9 %) des procédures de
radiations en 2023, loin devant les radiations à la suite d'une procédure
collective (30,7 %). La part des radiations volontaires a même gagné 10 points
depuis 2019. « Il y a de toute évidence
un changement d'attitude de la part des chefs d'entreprise qui, plutôt que
d'attendre l'initiation d'une procédure collective, prennent les devants et
décident effectivement de se porter volontaire pour une radiation »,
considère l’analyste.
Une « capacité
exceptionnelle de résistance » des entreprises
Côté
créations d’entreprises maintenant, on pourrait parler de tassement. En 2023,
le CNGTC a enregistré 542 231 immatriculations, soit une baisse de 5,4 % par
rapport à 2022. L’indicateur fléchit pour la deuxième année consécutive. Avec
une nuance à ce constat : le nombre total de créations demeure bien supérieur à
l'avant Covid, +17 % si l’on regarde 2019. Ces chiffres témoignent d’une « vraie dynamique entrepreneuriale qui s'est
créée en France et que la fin des mesures de soutien à l'économie mises en place
pendant la crise sanitaire, n'a pas interrompue », analyse Laurent Frelat.
La
dynamique entrepreneuriale résiste malgré tout. La baisse très contenue des
immatriculations en 2023 par rapport à 2019 témoigne d'une « capacité exceptionnelle de résistance et de
régénération du tissu entrepreneurial français. L'enchaînement des crises et la montée des incertitudes agissent comme
un catalyseur de nouvelles offres et d'accélération des transformations
structurelles de notre économie », estime l’analyste.
Dans
le détail, les immatriculations ont enregistré une forte baisse au premier
semestre (-10 %), avant une remontée au second. L'année 2023 s’est clôturée sur
un niveau comparable à celui de l'année 2022.
Trois
secteurs concentrent à eux seuls plus de la moitié des immatriculations
recensées. Il s'agit du commerce (18,5 %), des activités immobilières (16 %) et
du conseil et services aux entreprises (16 % également). Pour la première fois,
le secteur des activités immobilières, en chute libre (-26 %), cède sa place de
secteur leader des créations d’entreprises au commerce. Les activités de
conseil et de services aux entreprises, elles, ont relativement bien résisté et
conservent la troisième marche du podium. Si la plupart des activités ont connu
une diminution de créations d'entreprises en 2023, les secteurs du commerce et
de l'information-communication sont en progression de quatre points par rapport
à l'année précédente.
Le
bilan 2023 du CNGTC fait également état de la très bonne résistance des
entreprises individuelles qui représentent plus d’un tiers (33%) des créations
d'entreprises, juste derrière les sociétés par actions simplifiées (34 %). Les
sociétés civiles immobilières refluent et représentent désormais 13 % de
l’ensemble des créations d’entreprise.
Seule
région en hausse en 2023, l’Île-de-France continue d’accroître son avance. Elle
concentre plus de 29 % des créations totales, + 1,4 points par rapport à 2022,
et + 3 points en 4 ans. La région capitale est la seule à gagner des parts de
marché en 2023, avec, dans une moindre mesure la région PACA qui elle aussi
gagne 0,2 points pour peser désormais 10,3 % du total.
« On ne peut que féliciter nos entrepreneurs
et les forces vives de la nation qui se lancent malgré un contexte difficile,
mais il faut rester vigilant »,
indique Sophie Heurley, greffière en charge des statistiques au CNGTC. « Au niveau des liquidations, il reste
beaucoup d’efforts de pédagogie à faire, puisque 80 % des procédures
collectives ouvertes partent en liquidation judiciaire immédiate quand il
pourrait y avoir des solutions antérieures à un état de cessation de paiement.
Il faut essayer de faire prendre conscience aux entrepreneurs de leur
difficulté plus en amont, ne pas faire l'autruche », conclut-elle.
Delphine Schiltz