ÉCONOMIE

Bilan des entreprises 2023 : l'esprit entrepreneurial tient bon malgré un contexte âpre

Bilan des entreprises 2023 : l'esprit entrepreneurial tient bon malgré un contexte âpre
Publié le 25/01/2024 à 20:01

Si l’année 2023 figure le retour à un cycle économique normal, après une parenthèse Covid atypique et inédite, la période écoulée n’a pas été de tout repos pour les entreprises malmenées par la conjoncture.

Le Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce (CNGTC) a présenté la sixième édition de son bilan annuel national des entreprises. Inflation, augmentation des taux, baisse de la consommation ont tassé les créations d’entreprises et augmenté significativement les procédures collectives. Les secteurs du bâtiment et de l’immobilier focalisent toutes les inquiétudes. Mais dans ce bilan en demi-teinte, la dynamique entrepreneuriale résiste, note les greffiers des tribunaux de commerce.

« Il n’y a malheureusement pas eu de miracle pour les chefs d’entreprise en 2023 » constate Laurent Frelat, vice-président de l’Institut Xerfi Spécifique chargé de présenter les résultats du bilan annuel du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce (CNGTC). Le choc inflationniste, le ralentissement de la croissance et la fin des dispositifs publics « anti-crise Covid » ont mis à mal des pans entiers de l’économie, avec des conséquences sur le tissu entrepreneurial.

Le choc est sévère avec plus de 50 000 procédures collectives signalées en 2023, en hausse de 35 % sur un an. Quelque 13 000 dossiers supplémentaires ont été ouverts par rapport à 2022. Les procédures collectives sont non seulement en hausse très nette par rapport aux années atypiques de l’après-Covid - il aura fallu deux ans pour que s’opère la remise à niveau des défaillances d’entreprises, qui avaient amplement baissé en 2020-2021 - mais surpassent désormais les niveaux d’avant pandémie.

Une hausse hétérogène

« C’est un nouveau plus haut historique. Il s’agit d’une hausse tout à fait significative par rapport aux standards d'avant pandémie, quand le niveau des procédures collectives était de l'ordre de 45 000 en moyenne par an. Aux effets mécaniques d’un retour à la normale, s’ajoutent les répercussions des crises actuelles qui ont pesé sur la trésorerie des entreprises et affecté les carnets de commande », commente Laurent Frelat. Le profil saisonnier de l'exercice 2023 met en évidence un emballement des procédures collectives au premier trimestre (+ 45 % par rapport à 2022) et en toute fin d'année, concomitamment à la dégradation de la situation économique.

Le sinistre concerne tous les secteurs de l'économie, mais de façon hétérogène. En 2023, le commerce, la construction et l’hébergement-restauration concentrent 60 % des défaillances d’entreprises. Le secteur de l'hébergement-restauration enregistre la plus forte progression de procédures collectives par rapport à 2022 (+42,8 %), suivi par l'information-communication et les activités immobilières, avec des progressions supérieures à 40 % pour ces trois secteurs d'activité. La situation est aussi hétérogène à l’échelle géographique : les régions insulaires - La Réunion, Mayotte, la Martinique, et même la Corse - enregistrent les plus fortes hausses de procédures collectives, quand la métropole reste plus fréquemment épargnée.

Trois quarts des procédures collectives ouvertes en 2023 ont débouché sur une liquidation judiciaire, dont plus d'un tiers sur une liquidation simplifiée. Les placements en redressement judiciaire, bien que minoritaires (21 % des jugements) ont augmenté : + 49,4 % sur un an. Quant aux procédures de sauvegarde, elles restent encore marginales : elles ne sont prononcées que dans un peu plus de 2 % des situations soumises au juge.

L’immobilier et le bâtiment sévèrement touchés

Dans ce tableau, la position très particulière de l'immobilier et du bâtiment alerte. Les activités liées directement ou indirectement à ces branches ont pris de plein fouet l'effondrement de la construction neuve, mais aussi le tassement des ventes dans l'ancien tout au long de l’année 2023. Au sein des agences immobilières, les défaillances d'entreprises ont doublé ; quant aux corps de métiers du bâtiment, ils enregistrent une hausse des défaillances de l’ordre de 50 %. « Les risques de faillites sur ces secteurs vont rester très élevés en 2024, car les perspectives d’activité à très court terme dans ces secteurs restent très défavorables. Le seul levier permettant de maintenir au niveau des entreprises du bâtiment est celui de la rénovation énergétique des logements. Cette activité pourrait servir d'amortisseur », avance le vice-président de l’institut Xerfi.

Qu’en est-il des radiations ? Elles retombent quasiment à leur niveau d'avant-Covid, après deux années consécutives de forte hausse. En 2023, leur nombre s’élève à 284 375, en baisse de pratiquement 18 % par rapport à 2022, où 322 000 radiations avaient été signalées. Secteur par secteur, l’évolution des radiations reste stable sur un an, à une exception près. Domaine le plus touché en 2022, le transport-entreposage est le plus épargné en 2023. Les radiations sont en baisse de plus de 30 % dans cette branche d’activité qui avait bénéficié d’une bulle pendant la période Covid.

« La situation semble assainie », juge Laurent Frelat. Dans les secteurs de la construction, des activités financières et d’assurance, et de l’information-communication, les radiations ont relativement peu reflué par rapport à 2022. À noter que les radiations volontaires représentent plus de la moitié (54,9 %) des procédures de radiations en 2023, loin devant les radiations à la suite d'une procédure collective (30,7 %). La part des radiations volontaires a même gagné 10 points depuis 2019. « Il y a de toute évidence un changement d'attitude de la part des chefs d'entreprise qui, plutôt que d'attendre l'initiation d'une procédure collective, prennent les devants et décident effectivement de se porter volontaire pour une radiation », considère l’analyste.

Une « capacité exceptionnelle de résistance » des entreprises

Côté créations d’entreprises maintenant, on pourrait parler de tassement. En 2023, le CNGTC a enregistré 542 231 immatriculations, soit une baisse de 5,4 % par rapport à 2022. L’indicateur fléchit pour la deuxième année consécutive. Avec une nuance à ce constat : le nombre total de créations demeure bien supérieur à l'avant Covid, +17 % si l’on regarde 2019. Ces chiffres témoignent d’une « vraie dynamique entrepreneuriale qui s'est créée en France et que la fin des mesures de soutien à l'économie mises en place pendant la crise sanitaire, n'a pas interrompue », analyse Laurent Frelat.

La dynamique entrepreneuriale résiste malgré tout. La baisse très contenue des immatriculations en 2023 par rapport à 2019 témoigne d'une « capacité exceptionnelle de résistance et de régénération du tissu entrepreneurial français. L'enchaînement des crises et la montée des incertitudes agissent comme un catalyseur de nouvelles offres et d'accélération des transformations structurelles de notre économie », estime l’analyste.

Dans le détail, les immatriculations ont enregistré une forte baisse au premier semestre (-10 %), avant une remontée au second. L'année 2023 s’est clôturée sur un niveau comparable à celui de l'année 2022.

Trois secteurs concentrent à eux seuls plus de la moitié des immatriculations recensées. Il s'agit du commerce (18,5 %), des activités immobilières (16 %) et du conseil et services aux entreprises (16 % également). Pour la première fois, le secteur des activités immobilières, en chute libre (-26 %), cède sa place de secteur leader des créations d’entreprises au commerce. Les activités de conseil et de services aux entreprises, elles, ont relativement bien résisté et conservent la troisième marche du podium. Si la plupart des activités ont connu une diminution de créations d'entreprises en 2023, les secteurs du commerce et de l'information-communication sont en progression de quatre points par rapport à l'année précédente.

Le bilan 2023 du CNGTC fait également état de la très bonne résistance des entreprises individuelles qui représentent plus d’un tiers (33%) des créations d'entreprises, juste derrière les sociétés par actions simplifiées (34 %). Les sociétés civiles immobilières refluent et représentent désormais 13 % de l’ensemble des créations d’entreprise.

Seule région en hausse en 2023, l’Île-de-France continue d’accroître son avance. Elle concentre plus de 29 % des créations totales, + 1,4 points par rapport à 2022, et + 3 points en 4 ans. La région capitale est la seule à gagner des parts de marché en 2023, avec, dans une moindre mesure la région PACA qui elle aussi gagne 0,2 points pour peser désormais 10,3 % du total.

« On ne peut que féliciter nos entrepreneurs et les forces vives de la nation qui se lancent malgré un contexte difficile, mais il faut rester vigilant », indique Sophie Heurley, greffière en charge des statistiques au CNGTC. « Au niveau des liquidations, il reste beaucoup d’efforts de pédagogie à faire, puisque 80 % des procédures collectives ouvertes partent en liquidation judiciaire immédiate quand il pourrait y avoir des solutions antérieures à un état de cessation de paiement. Il faut essayer de faire prendre conscience aux entrepreneurs de leur difficulté plus en amont, ne pas faire l'autruche », conclut-elle.

Delphine Schiltz

 

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