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Blocage des sites pornographiques : le Conseil d'Etat saisit la CJUE

Blocage des sites pornographiques : le Conseil d'Etat saisit la CJUE
Publié le 07/03/2024 à 18:00

Dans l’énième volet de la bataille visant à faire interdire l’accès des sites pour adultes aux mineurs, la plus haute juridiction administrative française a demandé, le 6 mars, un examen de conformité entre le droit pénal domestique et la loi communautaire.

Nouveau rebondissement dans le dossier de la lutte contre l’accès des sites pornographiques aux mineurs. Le Conseil d'Etat a saisi, le 6 mars, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) afin qu’elle examine la conformité avec le droit communautaire d’un décret de 2021 relatif au blocage des sites pornographiques. Le texte autorise l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) à demander au juge judiciaire le blocage des plateformes dont le contenu est accessible aux mineurs. Cette saisine fait suite à une requête déposée par deux éditeurs de sites pornographiques basés en République tchèque et visés par le régulateur français du numérique.

 

Les sociétés Webgroup Czech Republic et NKL Associates sro, éditrices des sites Xvideos et XNXX, ont demandé l'annulation du décret litigieux qui précise les critères d’application d’une loi de 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales. Les deux éditeurs estiment que le texte est en contradiction avec le droit européen, en particulier la directive 2000/21/CE du 8 juin 2000 dite directive commerce électronique.

 

L’arrêt « Google Ireland »

 

Dans l’arrêt « Google Ireland » de 2023, la CJUE a estimé que ce texte établit un principe du pays d’origine, « en vertu duquel les services de la société de l’information sont régis par le droit de l’État membre où ils sont établis [et donc] empêche les autres États membres de leur imposer des règles générales […] en matière d’accès à l’activité de services numériques ou d’exercice d’une telle activité », rappelle le Conseil d’Etat.

 

En clair, les deux éditeurs affirment que, comme ils sont basés en République tchèque et non en France, le décret de blocage qu’ils contestent est contraire au droit européen. Cet argument soulève une question de principe importante sur l’interprétation de la directive commerce numérique selon le Conseil d'Etat, qui a décidé contre les conclusions du rapporteur public de transmettre trois questions préjudicielles à la CJUE relatives à l’application du droit pénal et la protection des mineurs.

 

La plus haute juridiction administrative française se demande notamment s’il « faut considérer que la directive européenne interdit d’appliquer aux prestataires de services établis dans d’autres Etats membres des règles générales de droit pénal », et s’il n’existe pas « de règle supérieure de droit européen qui permettrait l’application de dispositions visant à la protection des mineurs ». Pour motiver sa décision, le Conseil d’Etat, relève notamment que la directive Digital Services Act de 2022 sur le marché unique numérique, entrée en application le 17 février dernier, n’a pas remis en cause le principe du pays d’origine. « Ce qui est en jeu est la possibilité pour la France d’imposer le respect d’au moins certaines de ses législations à des services numériques établis dans d’autres Etats membres de l’UE », estime le Conseil d’Etat.

 

Un procédé long et laborieux

 

Le feu couve depuis longtemps entre les éditeurs de sites pornographiques et l’Etat. L’Arcom avait effectué une première demande de blocage devant le tribunal judiciaire de Paris en 2021, qui visait Xvideos et XNXX mais également Pornhub, Tukif et xHamster. La décision du tribunal est suspendue le temps de l'examen des recours concernant le décret d’application. Ainsi, quatre ans après l’adoption de la loi visant à simplifier la mise hors ligne des sites pornographiques diffusant du contenu aux mineurs, aucune procédure de blocage n'a pu encore aboutir.

 

La décision de la CJUE sera particulièrement scrutée, au moment où le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique (SREN) doit prochainement passer en commission mixte paritaire. Le texte vise en effet à donner à l’Arcom le pouvoir d’imposer directement le blocage administratif des sites pornographiques, sans passer par le juge judiciaire. L'an dernier, la Commission européenne avait déjà interpellé la France, arguant que la disposition de la loi SREN relative à la vérification de l'âge pour accéder à certaines plateformes, telles que les sites pornographiques, empiétait sur le Digital Services Act. La Commission avait aussi exhorté la France à confier le contrôle des plateformes étrangères à Bruxelles. Le dossier semble plus complexe que jamais…

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Romain Tardino

 

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