Dans
un contexte où les entreprises et les organismes gouvernementaux doivent
naviguer à travers diverses crises, assurer la sécurité et la fiabilité des
flux d’approvisionnement est essentiel. Lors du colloque annuel du Club des
directeurs de sécurité des entreprises (CDSE), cette préoccupation était au
cœur des débats. Que faut-il en retenir ?
La
crise du Covid-19, les tensions persistantes entre la Russie et l’Ukraine ainsi
que le conflit durable entre Israël et la Palestine ont entraîné ces dernières
années une série de défis pour les entreprises. Parmi ceux-ci, la sécurisation
des flux d'approvisionnement s’impose comme un enjeu majeur à résoudre. Le 12
décembre dernier, le colloque annuel du Club des directeurs de sécurité des entreprises (CDSE) s'est montré conscient de ces
réalités. Cet événement a été l'occasion pour les quatre invités de débattre à
propos de ce sujet crucial afin d’en éclaircir les zones d'ombre.
La
crise du Covid-19 et ses nouveaux enjeux
Lorsque
la pandémie s’est généralisée, les entreprises et les organismes
gouvernementaux ont été contraints de développer de nouvelles méthodes pour
répondre à un événement totalement improbable au moment de son apparition.
« L’arrivée de la pandémie du Covid-19 a été un réveil un peu brutal
pour un service comme la DGSE », affirme son secrétaire général – anonymisé
« M. X » pour l’occasion –, soulignant l'urgence induite par cette
crise mondiale. Il précise que la première étape a été de comprendre ces
nouveaux enjeux, et notamment celui de sécuriser et de fiabiliser les nouvelles
chaînes d’approvisionnement.
Pourquoi
« nouvelles » ? Parce qu’avec la venue du Covid-19, la nécessité de
garantir des masques et des vaccins était devenue cruciale, au point que
certains pays ont pris des mesures jugées extrêmes. Le secrétaire général de la
DGSE souligne : « J’ai au moins un ou deux exemples de services
spéciaux occidentaux qui ont été chargés de monter une task force dans
l’urgence dans le but d’acquérir des masques par tous les moyens possibles. Des
moyens qui sont ceux d’une véritable opération spéciale, quitte à négocier une
cargaison sur le terrain alors qu’elle appartient à un autre destinataire. »
La France n'a pas eu besoin de recourir à une telle méthode, car, d'après « M.
X », « l'État fonctionne de manière relativement efficace ».
Par
ailleurs, la DGSE a été sollicitée pour fournir des renseignements sur l'état
des stocks chez les fournisseurs et la fiabilité des chaînes
d'approvisionnement, ainsi que pour vérifier que des cargaisons n’avaient pas
déjà été vendues à trois clients différents.
L’impact
des crises sur les entreprises et sur les flux d'approvisionnement
Toutefois,
avec la persistance du confinement, l'objectif a également été celui de
comprendre comment il était possible de garantir la sûreté et la sécurité des
approvisionnements des matériaux ou produits critiques.
Ces
défis ne se sont pas arrêtés avec la pandémie. Peu après, le conflit émergent entre
la Russie et l'Ukraine a engendré des perturbations considérables en matière de
transport des ressources énergétiques. Le gouvernement français a demandé à la
DGSE d’approfondir l'analyse des implications d'un potentiel conflit entre ces
deux pays. Cette évaluation incluait la compréhension des répercussions des
sanctions vis-à-vis de la Russie et l'exploration des alternatives possibles à
l'énergie russe.
Le colloque annuel du CDSE s'est déroulé le 12 décembre dernier au Palais des congrès d'Issy-les-Moulineaux. ©JSS
Les
défis posés par de tels événements n'ont pas été minces pour les entreprises,
comme le confirme Franck Da Vitoria, directeur de la sécurité régionale du
groupe Synnex, spécialisé dans les services de technologie de l’information :
« Dans cette gestion de crise sanitaire mondiale, notre priorité a été
d'assurer la sécurité de nos équipes, puis nous avons envisagé la continuité
des activités de l'entreprise, alors que la supply
chain mondiale (la
gestion des flux de marchandises, ndlr) était en difficulté et menaçait
clairement de s'interrompre. Nos premières actions ont été de mettre en place
un VMI
(Vendor Managed Inventory)
(réapprovisionnement continu, ndlr) sur le port de Shenzhen en Chine, mais nous
ne savions pas que la chaîne mondiale allait finalement s'arrêter... »
Pour
pallier ce problème dans le futur, la relocalisation des ressources a été
envisagée, mais selon le Directeur de la sécurité régionale du groupe Synnex,
des doutes subsistent quant à la faisabilité de cette opération, surtout
lorsque la plupart des entreprises cotées en bourse sont implantées en Asie,
« là où la main-d'œuvre est la moins chère ». De plus, dans le
domaine des produits médicaux, « que la Chine détient 80 % voire
90 % des précurseurs chimiques sur son territoire, ce qui signifie qu'en
déplaçant la production, nous resterons toujours dépendants ». Reste à
savoir si les entreprises sont prêtes à rapatrier leurs ressources en Europe,
même si cela peut affecter négativement leur rentabilité.
Le
risque « cyber » et l’anticipation des crises
L'évolution
des nouvelles technologies a fait émerger un autre risque majeur : la
cybersécurité. Avec la transition vers le numérique, les entreprises doivent se
préparer à cette nouvelle forme d'attaque visant leurs ressources. Cependant,
ce ne sont pas uniquement les entreprises qui sont visées, comme le souligne
Florian Colas, directeur de la Direction nationale du renseignement et des
enquêtes douanières (DNRED) : « Les aéroports et les ports sont
également des cibles de cyberattaques, émanant de régimes étatiques ou non.
D’ailleurs, on observe, de plus en plus, des attaques perpétrées par de grandes
organisations criminelles, capables d'engager des hackers pour voler des
identifiants et des comptes, facilitant ainsi l'usurpation d'identité. Cela
leur permet d'opérer librement pour manipuler et repérer les conteneurs
contaminés par de la drogue. »
Face
à ce type de problématique, comment peut-on se préparer efficacement ?
Selon le secrétaire général de la DGSE, la clé réside dans la planification à
long terme : « Je pense que toutes les crises que l’on a évoquées nous
ont rappelé la nécessité de la planification. Et dans le long terme.
Aujourd’hui, le dilemme que l’on a à traiter, qui est aussi budgétaire, c’est
un vrai choix politique. C’est celui de comment planifier, d’arriver à prévoir
ce type de crise et leur coût. »
Une
autre solution envisageable pourrait être la collaboration étroite avec
l'Europe pour la sécurisation des ressources. L’ancien ministre chargé des Petites
et moyennes entreprises, Jean-Baptiste Lemoyne, précise : « C’est
envisageable, c’est souhaitable, il faut le faire. Sauf que la souveraineté
elle, demeure nationale. Effectivement, il faut travailler avec l’Europe, mais
il ne faut pas être naïf. Dans ce monde, quand il s’agit d’enjeux vitaux, la
priorité est nationale. »
Romain Tardino