Jeudi 1er septembre, la
juridiction a installé 22 nouveaux magistrats et accueilli la prestation de
serment de plusieurs ex-auditeurs de justice. L’occasion aussi pour le Premier
président et le procureur général d’évoquer le fameux « malaise » des
acteurs de la justice, ainsi que les actions récentes mises en place à la Cour.
Parmi elles, l’instauration du tutorat et le recrutement de deux psychologues,
pour prévenir l’isolement professionnel et accueillir la « charge
émotionnelle intense » liée à certains dossiers.
Le 1er septembre, c’est
une audience riche qui a mobilisé la cour d’appel de Versailles. Un moment
important, d’abord, pour les nouveaux magistrats qui ont prêté serment, au
terme de leur scolarité à l’École nationale de la magistrature et avant
l’installation dans leurs premières fonctions. Lors de ce traditionnel rite de
passage, l’angélisme n’était toutefois pas de mise. « Vous arrivez dans
un moment particulier et difficile pour l’institution judiciaire », a
tout de suite reconnu à leur intention, et sans mâcher ses mots, le procureur
général, en écho au rapport du comité des états
généraux de la justice mis en place par le Président de la République, à la
demande des chefs de la Cour de cassation. Marc Cimamonti a en effet pointé un
constat « accablant » : « La justice fait face
depuis des dizaines d’années à une dégradation lente et continue. Face à une
massification et une complexification des affaires et des procédures, les
magistrats ne sont plus en mesure de remplir leur office. Et pourtant, la
justice ne s’est pas effondrée, mais elle ne tient que grâce au très grand
professionnalisme d’un nombre élevé d’acteurs de l’institution (...), malgré
des conditions d’activité de moins en moins soutenables ». En dépit de
ce sombre tableau, le magistrat s’est réjoui de la pugnacité dont font preuve
les nouvelles recrues de la cour d’appel. « Ce qui m’a frappé et aussi
rassuré, en vous recevant depuis le début de l’été, c’est à la fois votre
conscience de la situation et, pourtant, votre enthousiasme. »
Prestation de serment :
exemplarité et dignité requises
Marc Cimamonti a par ailleurs rappelé que ce « moment
unique et solennel » pour ses jeunes collègues était destiné à leur
faire prendre conscience de leur office de magistrat, de leur responsabilité et
de leurs devoirs, « avec une réflexion quant à la meilleure manière de
les exercer ». Le procureur général a souligné que le premier devoir
qui leur incombe est celui de la compétence juridique et technique. « Vous
devez avoir l’obsession de la qualité et de la valeur ajoutée de votre action
judiciaire. La qualité que vous devez au justiciable comprend nécessairement
une dimension de délai. Bien sûr, vous allez livrer une course contre le temps
et votre organisation personnelle sera déterminante. Dans la mesure de vos
moyens, vous devez contribuer au collectif de votre juridiction pour tenter
d’améliorer son action judiciaire ». Une autre obligation, selon lui,
est de rester humbles et attentifs à autrui : « Méfiez-vous de
l’esprit de caste qui peut se retrouver chez certains d’entre nous. Soyez aussi
attentifs à ceux qui sont les interlocuteurs des juridictions. », a-t-il
ainsi recommandé. Dernière exhortation de sa part : faire preuve
d’ouverture sur l’extérieur, « sur les autres pans de la vie »,
pour faire face aux exigences et à la pression du métier. « Lisez,
nagez, courez, jouez de la musique et que sais-je encore. Dans le parcours
professionnel de magistrat qui va être le vôtre, vous rencontrerez des moments
difficiles. C’est cette ouverture qui vous permettra de faire face »,
a assuré Marc Cimamonti.
De son côté, après les avoir rappelés à leurs engagements
déontologiques (devoir de probité, d’indépendance, d’impartialité, de
neutralité, de confidentialité, obligation de diligence et de réserve), le
Premier président de la cour d’appel de Versailles Jean-François Beynel a invité les nouveaux magistrats à se montrer « exemplaires
et dignes » en toutes circonstances. « C’est le sens de votre
serment ; un serment qui ne vous donne aucune prérogative et qui ne vous
octroie aucun statut privilégié, mais qui vous rappelle à chaque instant la
confiance qui est mise en vous et la hauteur de votre mission. »
Mission dont le cœur est les justiciables, a-t-il précisé. Et d’ajouter :
« On ne peut pas être magistrat si l’on ne pense pas que sa mission est
avant tout de prendre en charge avec humanité ceux et celles qui nous sont
confiés. »
Marc Cimamonti
22 magistrats
ont rejoint les effectifs de la Cour
Cette
audience du 1er septembre était également consacrée à l’installation
de magistrats récemment nommés (ainsi qu’à la présentation de magistrats nommés
avant l’été et ayant déjà pris leurs fonctions). 22 magistrats ont rejoint les
effectifs de la Cour : 13 magistrats du siège, 4 magistrats du parquet
général et 5 magistrats placés, à qui le Premier président a souhaité la
bienvenue et « un plein épanouissement professionnel ».
Parmi
eux, le procureur général a notamment salué la nomination de Benjamin Deparis à
la présidence du tribunal judiciaire de Nanterre, évoquant la « nostalgie »
de leurs échanges au titre des conférences nationales des présidents et des
procureurs de la République. « La présidence du tribunal judiciaire
d’Évry comme celle de cette conférence vous qualifiaient naturellement pour
la responsabilité du tribunal judiciaire de
Nanterre. Vous le savez, la responsabilité d’une juridiction est toujours un défi et une tâche difficile. Je
ne doute pas de votre réussite et de la qualité de la dyarchie qui va
être la vôtre avec le procureur de la République Pascal Prache ».
Marc
Cimamonti a également eu quelques mots pour le nouveau procureur de la
République de Chartres, Frédéric Chevallier. « Votre parcours
professionnel jusqu’à présent s’est toujours situé à l’ouest, même si chaque
poste a traduit une évolution vers le centre », a-t-il souri. Le
magistrat a en effet été successivement juge d’instruction à Cherbourg de
1995 à septembre 2001, substitut, vice-procureur puis substitut général à
Poitiers de 2001 à 2015, et procureur de la République à Blois de septembre
2015 à 2022. « Ce que je note plus particulièrement de votre parcours,
c’est un fort engagement comme intervenant dans les formations de l’ENM, un
intérêt et une expertise dans les relations presse-justice, le fait que vous
ayez animé une des deux premières juridictions pilotes pour la mise en œuvre de
la procédure pénale numérique... et vous êtes aussi titulaire d’un brevet
d’éducateur sportif football. Soyons directs : tout cela me va bien !
(...) Alors je n’ai pas beaucoup de doute sur votre adaptation et sur votre
réussite », lui a garanti son supérieur hiérarchique.
Hormis les magistrats, Marc Cimamonti
a également profité de cette audience pour présenter les fonctionnaires et
agents contractuels entrés à la Cour depuis peu et leur rendre hommage. Le
procureur l’a martelé : « Il n’y a pas de juridiction possible
sans greffe et, plus largement, sans l’ensemble des agents qui contribuent à
son fonctionnement ».
Dans
le ressort, du neuf et beaucoup de choses sur le feu
Le procureur général n’a par ailleurs pas manqué de dresser
un bref état des lieux du parquet général, dont l’effectif est de 20, « soit
un poste en surnombre ». « Surnombre que je suis parvenu à
négocier avec la direction des services judiciaires, notamment pour faire face
aux nécessités de l’audiencement criminel qui imposent de pouvoir augmenter le
nombre de sessions de cours d’assises et de cours criminelles »,
a-t-il mis en évidence. Marc Cimamonti a en outre évoqué les évolutions en
cours et à venir : le pôle civil sera recentré sur la matière civile et le
contrôle des professions réglementées pour faire face à leur réforme et
développer le rôle du parquet général dans les domaines civils. Les différents
pôles se voient bouleversés : l’effectif du pôle de la chambre de
l’instruction est porté à quatre magistrats à temps plein, celui du pôle
criminel est porté à deux magistrats à temps plein. De plus, le contentieux de
la famille et des mineurs (hors audiences d’assistance éducative) passe du pôle
civil au pôle action publique, et le pôle action publique « doit
être réorganisé pour se voir rattacher ce contentieux ».
Attentif à l’action des procureurs de son ressort, le
chef du parquet s’est ensuite de nouveau adressé à Frédéric Chevallier :
« M. le Procureur, votre tâche ne sera pas nécessairement facile »,
s’est-il excusé, avant d’attirer son attention sur « quelques grands
axes » auxquels il lui appartiendra d’être vigilant – en particulier,
« une attention constante pour œuvrer à une dyarchie harmonieuse et
efficace en lien étroit avec la direction de greffe, car une juridiction, ce ne
peut être les magistrats d’un côté et le greffe de l’autre ». Marc
Cimamonti a également invité son collègue à « donner la priorité »
à l’action publique judiciaire en matière pénale, commerciale et civile, y
compris en termes de délais et ce, en matière pénale, dès le stade de l’enquête
judiciaire. « La procédure pénale numérique doit être une opportunité
pour organiser le contrôle en temps réel de l’enquête », a-t-il
appuyé.
Autre point de préoccupation :
la réforme programmée de la police nationale, qui vise à créer des directions
départementales de la police nationale. « Votre ressort sera
nécessairement concerné par cette réforme », a averti le procureur
général. Selon lui, le texte « signe la disparition de la police judiciaire
déconcentrée et autonome à la disposition des autorités judiciaires ».
Marc Cimamonti a fustigé une « mauvaise réforme » :
« mauvaise dans ses objectifs, car l’autorité administrative ne saurait
être à même de peser sur la phase de police judiciaire qui est la première
étape du procès pénal et qui ne peut que dépendre à ce titre que de l’autorité
judiciaire. Mauvaise dans sa gestation, avec une généralisation décidée sans
expérimentation véritable. Mauvaise dans ses modalités : à moyens d’enquêteurs
constants, ce qui ne peut que favoriser le déséquipement des services actuels
de police judiciaire au profit des services de sécurité publique confrontés à
des stocks massifs de procédure. Mauvaise dans ses conséquences prévisibles en
ce qu’elle conduira à délaisser – et à une moindre expertise – le traitement
des formes organisées, professionnelles et complexes de délinquance qui se
situent souvent à un niveau ultra départemental », a-t-il énuméré. Le
chef du parquet a ainsi invité le nouveau procureur de Chartres à se rapprocher
de lui lorsqu’il s’agirait, le moment venu, de se positionner face à cette
réforme, « afin de préserver autant que faire se peut la qualité,
l’exhaustivité voire l’impartialité des enquêtes relatives à de tels faits
organisés, complexes et graves de délinquance ».
Une série de mesures face au malaise des acteurs
judiciaires
Au titre des moments phares de cette
audience, le Premier président est d’autre part revenu sur la publication de la
retentissante tribune exprimant le malaise des acteurs judiciaires, en novembre
2021, qu’il qualifie de « moment particulier » pour
l’institution. « Ce malaise qui confine, pour beaucoup, à la perte de
sens du métier, à la souffrance au travail et à la perte de repères, nous a
obligés à interroger nos pratiques, nos organisations, nos modes d’encadrement,
nos relations internes, mais aussi notre rapport aux justiciables »,
a-t-il rapporté. Dans la continuité de ce papier mais aussi des états généraux de la justice pré-cités,
Marc Cimamonti a organisé, le 24 juin 2022, une journée de séminaire des
magistrats du parquet de la cour d’appel de Versailles « pour mieux
circonscrire » « l’état d’esprit, les préoccupations et les
attentes » des magistrats, substituts et vice-procureurs. « Le
constat principal est celui d’une attente très forte à l’égard de leur
hiérarchie directe, procureur de la République et procureurs adjoints, dans les
modalités de la prise de décision dans l’action publique individuelle, pour la
rendre plus collective et la sécuriser, notamment quant au risque de mise en
cause de la responsabilité personnelle de ces magistrats. Les magistrats
attendent une implication directe de leur hiérarchie pour résoudre les
difficultés pratiques qui compliquent, alourdissent et peuvent rendre insupportable
leur quotidien opérationnel », a-t-il observé.
Prenant ces conclusions à
bras-le-corps, le procureur général et le Premier président ont ainsi, main
dans la main, pris une série d’initiatives pour travailler sur l’accueil des
nouveaux magistrats et fonctionnaires, via la mise en place d’un groupe de
travail, le lancement d’un appel d’offre pour l’instauration d’un plan sur la
santé et la qualité de vie au travail, ou encore la mise en œuvre du tutorat
pour les nouveaux magistrats, dès cette rentrée. « La prise de fonction
est un moment très important de la carrière, qui implique la construction d’une
identité professionnelle et peut s’avérer difficile : il convient donc de
l’accompagner au mieux. (...) Geste de solidarité, geste de protection, cette
action représente une amélioration notable vers plus de fraternité et de
d’écoute », a affirmé Jean-François Beynel. Les magistrats placés
auprès des chefs de cour, en particulier, seront accompagnés de manière
spécifique à la fois par leurs tuteurs et par un suivi « individuel,
régulier et constant » tout au long de leur première année de
fonction.
En sus, la cour d’appel de Versailles
a recruté deux psychologues. « Cette initiative permettant à toutes les
juridictions de bénéficier de ce soutien est particulièrement bienvenue et
complète parfaitement les dispositions prises sur le tutorat », s’est
félicité le Premier président. Ce dernier a d’ailleurs profité de l’audience
pour les accueillir chaleureusement et récapituler leur rôle au sein de la
Cour : « Vous offrirez aux agents des espaces d’élaboration,
individuel et collectif, pour leur permettre de ne pas faire face seuls à la
charge émotionnelle intense liée à certains dossiers ou à certaines situations
psychiquement éprouvantes. Vous contribuerez à prévenir l’isolement
professionnel et ses effets délétères sur la santé des personnels judiciaires.
Vous effectuez la prise en charge des accompagnements psychologiques
individuels auprès des agents, notamment ceux ayant assisté à des situations
extrêmes – scènes de crimes ou auditions dans des affaires particulières. (...)
Vous êtes attendues et vous ne serez pas trop de deux pour assurer ces missions
essentielles auprès des près de 2 000 agents que compte la cour d’appel de
Versailles. »
Des
« pessimistes actifs » aux manettes de la démocratie
Pour la Cour comme pour toute l’institution, des défis
importants s’ouvrent donc aujourd’hui : gestion des suites de la tribune,
mise en place d’un dispositif sur les risques psycho-sociaux, mise en œuvre des
conclusions du comité national des états
généraux de la justice.
Sur
ce dernier point, Marc Cimamonti n’a pu cacher « un certain pessimisme, surtout vu du ministère public » : « Son statut n’évoluera pas, que ce soit au
plan des nominations ou de la responsabilité. Il faut être conscient que ce
risque de mise en cause accru du fait de leur statut est un élément
insécurisant important pour les magistrats du parquet. Dans le contexte général
de dégradation de l’institution judiciaire, il semble assez illusoire
d’escompter une priorité supplémentaire en termes de moyens aux parquets du 1er
degré, malgré les besoins identifiés à cet égard. » Toutefois, le magistrat
ne compte pas baisser les bras. Marc Cimamonti l’a martelé : « À défaut d’être un pessimiste joyeux, je
continuerai à être un pessimiste actif », revendiquant sa détermination « à garantir dans le ressort de cette cour,
dans toute la mesure de [s]es attributions, l’action du ministère public en
faveur d’un traitement judiciaire de qualité, impartial et indépendant. »
Jean-François Beynel lui aussi s’est montré ferme : « Alors que l’indépendance de la justice est de plus en plus remise en
cause, elle doit s’affirmer comme un des éléments constitutifs d’une démocratie
moderne et renouvelée. »
Bérengère Margaritelli