ENTREPRISE

Compétitivité des entreprises : les organisations patronales alertent

Compétitivité des entreprises : les organisations patronales alertent
Publié le 14/11/2023 à 18:00

Réunis en session plénière, les sénateurs de la délégation aux entreprises, instance chargée de faire remonter les attentes et les difficultés des entrepreneurs, avaient convié le 9 novembre dernier les représentants des organisations patronales pour qu’ils livrent leur analyse de la situation économique et ses conséquences sur les entreprises françaises. « Inquiètes », les confédérations patronales alertent sur une « forte dégradation de la compétitivité » des entreprises françaises à l’horizon 2024.

Le constat est unanime, partagé par l’ensemble des représentants du tissu économique, présents jeudi dernier, devant la délégation sénatoriale aux entreprises. L’année 2024 ne se présente pas sous les meilleurs auspices. Après de premières avancées positives dans le sens de la compétitivité, le patronat estime que la surrèglementation française et européenne continue de pénaliser l’économie et ce, alors même que la conjoncture mondiale contraint les entreprises. Patrick Martin, président du MEDEF, estime à 4 milliards le surcoût du travail en 2024, lié à des orientations budgétaires et législatives défavorables aux affaires.

Les choix réglementaires coûtent cher

Dans le viseur des chefs d’entreprise, les récents arrêts de la Cour de cassation imposant des congés payés sur les arrêts maladies. Transposition directe d’une directive européenne de 2003, cette disposition permet à un salarié arrêté pour maladie, même non professionnelle, de continuer à acquérir des droits aux congés payés. Le MEDEF estime le coût de ces décisions de justice pour les entreprises à 2 milliards. 2 milliards d’euros par ailleurs provisionnés sur 3 ans en raison du délai de prescription salariale. « Les commissaires aux comptes imposent aux entreprises de provisionner 6 milliards d’euros au moment d'une dégradation conjoncturelle. On ne voit pas de solution », a réagi Patrick Martin. En septembre dernier, la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) affirmait avoir collecté en quelques jours 15 000 signatures contre cette mesure.

Deuxième facteur de surcoût : l’augmentation du versement mobilité en Ile-de-France. Dans le projet de loi de finances pour 2024, le gouvernement a en effet accordé à la région la possibilité de déplafonner le taux de cette « taxe transport » prélevée sur les entreprises pour financer l’offre de bus, de métro, de trams et de RER. Selon le président du MEDEF, les entreprises franciliennes paient déjà 5 milliards d’euros pour les transports publics de proximité. Ce déplafonnement induirait une augmentation de 400 000 millions d’euros supplémentaires à la charge des entreprises, si ce n’est plus. Réclamé par les responsables de régions, métropoles et collectivité, l’élargissement au niveau national de ce déplafonnement pourrait coûter 1 milliard d’euros par an aux entreprises s’il était acté, ce que Bercy exclut pour l’instant.

Les organisations patronales déplorent par ailleurs l’étalement de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et le report de sa suppression complète à 2027. La CVAE a déjà été réduite de moitié cette année et devait être complètement supprimée en 2024, mais le gouvernement a choisi d’échelonner sa suppression, pour ramener son coût à un milliard d’euros par an pour les finances publiques. Enfin, le président du MEDEF a tablé sur une augmentation du taux de cotisation AGS liée aux défaillances d’entreprises. Le conseil d’administration de l’AGS qui s’est tenu en juin dernier avait maintenu le taux de cotisation à 0,15 % au 1er juillet, malgré la hausse continue des défaillances d’entreprise. Patrick Martin s’attend à une hausse d’un dixième de point en 2024, pour un coût total de 700 millions d’euros.

L’activité baisse, l’industrie se fragilise

Cette « dégradation de la compétitivité » intervient alors que l'écart structurel entre l'Union européenne et les États-Unis en termes de croissance et d'investissement se creuse, a prévenu le président du MEDEF. « Je voudrais rappeler que si en termes de PIB mondial, l'Union européenne et les États-Unis pèsent à peu près le même poids - de l'ordre d'un quart ; en matière d'investissement, l'Europe ne représente plus que 15 % de l'investissement mondial, quand les États-Unis sont déjà à plus de 30 % et accélèrent extrêmement rapidement » s’est inquiété Patrick Martin. Si les entreprises doivent faire face à des défis exogènes – géopolitiques, inflationnistes et énergétiques – la conjoncture se détériore aussi de l’intérieur, dans la quasi-totalité des secteurs économiques français. Seul le milieu aéronautique fait exception.

Si ce ralentissement généralisé résulte en partie de la nécessité de « purger la crise COVID », comme l’a constaté François Asselin, président de la confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), il envoie aussi des signaux inquiétants, notamment dans certains secteurs déjà fragilisés par l’évolution de la réglementation, comme la construction. Le secteur du bâtiment catalyse toutes les préoccupations. « Il y a une probabilité de baisse d'activité de l'ordre de 10 %, pour un secteur qui pèse 8 % du PIB national, soit 0,8 point de PIB global. Nous sommes assez inquiets et incrédules au regard d'une forme d'inertie ou même de déni de la part de l'exécutif, s'agissant de cette filière qui, on le sait dès à présent, détruira des emplois en 2024, alors même qu'elle en a beaucoup créé ces dernières années et qu’elle devrait, notamment au titre de la rénovation énergétique, être au contraire en plein boom ».

Pour préserver la capacité d’investissement des entreprises, qui par ailleurs se maintiennent malgré un surenchérissement du crédit, la CPME milite pour un étalement des échéances de remboursement du prêt garanti par l’État (PGE). « Alors que l’activité ralentit fortement, certaines entreprises solides se fragilisent. Les problèmes de remboursement des PGE interviennent dans les TPE, mais aussi dans les PME. Il faut laisser intacts les leviers d’activité », a indiqué François Asselin. Le taux de défaillance de PGE est actuellement de l’ordre de 4%. Selon les données de la Banque de France, depuis deux ans, les défaillances d’entreprises sont en forte hausse. Alors que l’on dénombrait 2500 défaillances en moyenne tous les mois en 2020 et 2021, ce chiffre est passé à 3400 en 2022 et 4500 en 2023, avec une hausse bien plus fortes pour les petites entreprises (+79%).

Le taux de défaillance « ordinaire » reprend son cours

Pour Frédéric Abitbol, président du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires (CNAJMJ), il y a là un « effet rattrapage post-Covid », les entreprises ayant été fortement aidées pendant la pandémie. Depuis le début de l’année, 43 000 procédures collectives ont été engagées en France dont 26 000 concernent les entreprises à 0 salarié. « En moyenne long-terme, la France connaît entre 50 000 et 60 000 défaillances par an », a rappelé le président du conseil national des administrateurs. « Cela veut dire qu’on est plutôt dans le bas de la moyenne long-terme. On revient à l’étiage normal de l’économie française, à un niveau naturel et incompressible de défaillances. »

Pour répondre aux préoccupations des entreprises, le président de la délégation aux entreprises, Olivier Rietmann (sénateur de Haute-Saône) a affirmé vouloir défendre dans sa forme actuelle le pacte Dutreil, « absolument essentiel pour notre pays qui accuse déjà un retard important dans le développement de ses entreprises par rapport à ses voisins européens ». Les organisations patronales se disent très inquiètes des débats en cours portant sur la remise en cause de ce dispositif pour les entreprises patrimoniales, pacte qui allège la fiscalité sur les donations et les successions. Les députés envisagent sa remise en cause dans le cadre des débats sur le projet de loi de finances 2024. « Les orientations sont préoccupantes et suspendent les décisions d'investissement » a estimé, le président du MEDEF, Patrick Martin.

« Par ailleurs, parmi les éléments de la dégradation de la compétitivité des entreprises, la délégation aux entreprises sera particulièrement proactive sur la question de l’inflation normative. Nous consulterons leurs représentants pour organiser, chaque fois que cela est possible, un « test PME » des nouveaux textes, en plaidant en faveur de la proportionnalité des obligations et en proposant de nouveaux outils pour renforcer la crédibilité des études d’impact », a indiqué le Sénat dans un communiqué.

Delphine Schiltz


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