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Cryptoactifs et monnaie numérique de banques centrales : les enjeux

Cryptoactifs et monnaie numérique de banques centrales : les enjeux
Publié le 17/11/2022 à 10:42


La banque centrale émet et garantit la monnaie de banque centrale, qui existe sous deux formes. Tout d’abord la monnaie fiduciaire (pièces et billets pour les paiements de détail), pour laquelle il existe un lien direct entre la banque centrale et le public. Elle émet et garantit également la monnaie de banques centrales détenue dans ses livres par les banques commerciales pour les règlements interbancaires. Les banques commerciales émettent et garantissent pour leur part la monnaie scripturale sur les comptes de leurs clients (utilisables par carte, chèques, virements etc.).

 

Les banques centrales face à la numérisation de la finance

 

Le monde des paiements a été traversé par de profondes mutations

Les nouvelles habitudes de paiement ont été amplifiées par la crise sanitaire. De surcroît, on assiste à l’émergence de nouveaux acteurs, de nouvelles technologies et de nouveaux actifs financiers. Il s’agit pour les banques centrales de préserver la souveraineté monétaire et la stabilité financière et de promouvoir l’innovation dans un contexte de confiance.

 

Les cryptoactifs sont avant tout des actifs spéculatifs

Les cryptoactifs sont des actifs numériques créés par des acteurs privés au moyen de la technologie de la blockchain et imaginés pour être des moyens de paiement utilisables partout dans le monde. Les actifs créés ne reflètent pas l’activité économique. Ce ne sont pas des monnaies mais des instruments spéculatifs d’une énorme volatilité. Il n’y a pas d’autorité publique pour protéger les utilisateurs. Ils sont utilisés comme moyen de blanchiment dans les affaires de criminalité financière.

Après la première génération (Bitcoin), de nouveaux cryptoactifs sont apparus tels que les stablecoins. Ce sont aussi des actifs numériques créés par des acteurs privés mais adossés à d’autres actifs « plus stables » comme des monnaies, ou des paniers de monnaies ou d’actifs. Leur stabilité n’est pas non plus garantie et les consommateurs et les investisseurs ne sont pas davantage protégés.

Parmi les cryptoactifs, le bitcoin, bien qu’encore dominant (39 % des cryptoactifs) est de plus en plus concurrencé. Depuis janvier 2021, la part des stablecoins a quintuplé pour atteindre aujourd’hui 19 %. L’effondrement du marché des cryptoactifs a provoqué une contraction du bilan des plateformes d’échanges et une forte concentration autour de Coinbase et Binance (environ 50 % du stock).

 

Il convient de fournir un cadre sécurisé à l’innovation financière

Une stratégie européenne se met en place avec le règlement MiCA destiné à encadrer les prestataires de services et les émetteurs de cryptoactifs, et le règlement DORA afin d’adapter les exigences de résilience opérationnelle aux nouvelles technologies. Une coordination internationale est nécessaire afin de développer et promouvoir des standards communs pour la règlementation et la supervision.

 

La monnaie de banques centrales à l’ère numérique

La question est de développer un euro numérique de détail (projet Eurosystème) pour les paiements du quotidien. Il s’agit de mettre en place un billet dématérialisé en complément des espèces, de fournir un accès numérique simple aux citoyens dans un cadre protecteur des données personnelles, de favoriser l’émergence d’un écosystème des paiements innovant. S’agissant d’une monnaie numérique interbancaire ou de gros, l’objectif poursuivi est de préserver la place de la monnaie centrale comme actif de règlement sur les marchés financiers tokenisés. C’est un enjeu de stabilité financière. Il s’agit aussi de faciliter et accompagner l’innovation dans l’industrie financière avec la tokenisation des actifs financiers.

 

Quelle trajectoire vers un euro numérique de détail ?

 

En octobre 2020, l’Eurosystème a publié son rapport sur l’euro numérique. Ce rapport expose de nombreux scénarios dans lesquels un euro numérique serait nécessaire. Il identifie les exigences auxquelles il devrait répondre et propose plusieurs architectures possibles permettant de satisfaire ces besoins.

Si l’enjeu d’un euro numérique de détail est d’apporter une valeur ajoutée dans l’écosystème des paiements, il doit également préserver la stabilité financière. Les banques commerciales jouent aujourd’hui un rôle clé dans le financement de l’économie, en particulier en Europe. Elles portent dans leurs livres les dépôts bancaires des particuliers et des entreprises. Ces derniers s’appuient sur ces dépôts pour leurs paiements et leur épargne. Les banques s’appuient sur ces dépôts pour connaître leurs clients, interagir avec eux (fournir des services bancaires) et se financer. La numérisation de l’économie et des paiements ne doit pas disrupter ce rôle des banques, y compris en période de crise.

Après les travaux préparatoires entamés en janvier 2020 et la phase d’investigation actuellement en cours pour un euro numérique de détail, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne doit se prononcer sur le lancement d’une phase de réalisation au quatrième trimestre 2023.

 

La monnaie numérique de banque centrale interbancaire au cœur des réflexions

 

Une technologie prometteuse qui intéresse les acteurs de marché

La tokenisation consiste à émettre des titres financiers sous forme de jetons sur des registres distribués (DLT), par exemple des blockchains.
La tokenisation des titres suscite un intérêt croissant de la part des investisseurs et des émetteurs traditionnels, mais aussi de la part des nouveaux acteurs. À partir de 2023, le régime pilote européen offrira un cadre règlementaire pour expérimenter en conditions réelles l’échange de titres tokenisés sur DLT.

 

Cette tendance soulève la question de l’actif utilisé

La monnaie centrale constitue l’actif de règlement le plus sûr et le plus liquide. La monnaie centrale n’est à ce jour pas disponible sous forme tokenisée. Les investisseurs pourraient recourir à des actifs privés échangeables directement sur DLT, tels que les stablecoins. L’utilisation de tels actifs privés sur des marchés systémiques est porteuse de risques et d’inefficacité. Les banques centrales étudient la possibilité d’émettre de la monnaie centrale directement sur DLT. Neuf expérimentations de MNBC interbancaire ont été conduites en 2021 par la Banque de France. Trois nouvelles expérimentations ont été lancées en 2022.

 

Claudine Hurman,

directrice des infrastructures, de l’innovation et des paiements,

Banque de France

 

 


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