Revenant
sur le vote « historique », hier au Sénat, « qui consolide
le maintien de l'IVG », Morgane Tanguy-Biscarrat, étudiante en droit à
l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, souligne néanmoins que « le
droit à l’IVG implique que l’Etat doit mettre en œuvre des politiques publiques
pour garantir son effectivité, ce que la liberté n’impose pas dans le texte ».
Le Parlement doit encore se réunir en Congrès à Versailles pour entériner le
processus de révision.
Ce
mercredi 28 février 2024, les sénatrices et sénateurs ont voté en faveur de
l’adoption du projet de loi constitutionnel visant ainsi à inscrire la liberté
de recourir à l’interruption volontaire de grossesse dans notre Constitution
avec 267 voix pour.
Ce
projet de loi comprend un seul et unique article qui s'insère au 17e alinéa de
l’article 34 de la Constitution. En substance, cette disposition prévoit que
« la loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté de la
femme, qui lui est garantie, d’avoir recours à une interruption volontaire de
grossesse ».
Un
vote historique pour la France
L'inscription
de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans un texte à valeur
constitutionnelle marque un vote historique pour la France, qui devient ainsi
le premier État au monde à le faire. Ce vote consolide le maintien de l'IVG
indépendamment des aléas politiques.
En
inscrivant cette mesure dans la Constitution, la France érige un rempart en
faveur des droits des femmes, rendant toute tentative de révision beaucoup plus
difficile. « Aujourd’hui, le droit de
l’IVG est régi uniquement par une loi. Or, il est extrêmement facile de changer
une loi. Le fait que la liberté de l’IVG soit garantie par la Constitution apporte
une protection supplémentaire », affirme ainsi Mathilde Panot, présidente
du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale. La députée met également
en exergue le pouvoir des « victoires idéologiques » pour réussir
à « faire bouger » les lignes.Haut du formulaire
Ce,
dans le contexte actuel marqué par des tendances de repli identitaire et
nationaliste, ainsi que par un mouvement mondial de recul des droits liés à
l'IVG. Aux États-Unis, notamment, la révocation de l'arrêt Roe v. Wade a rendu
la compétence en matière d'avortement aux États, ce qui a entraîné des
restrictions significatives dans ces derniers.
Un
texte bien moins ambitieux sur l’effectivité de la « liberté »
Le
texte retenu au Sénat demeure bien moins ambitieux que les premières esquisses.
En effet, le texte voté par l’Assemblée Nationale en 2022 prévoyait la création
d’un article 66-2 de la Constitution disposant que « la loi
garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de
grossesse ».
Sur la différence terminologique entre les termes
libertés et droits, elle tiendrait selon certains constitutionnalistes plus
d’une perception idéologique que d’une distinction de régime juridique. La
Constitution ne fait pas de grande différence d’après l’avis du conseil d’Etat
du 12 décembre 2023, « la consécration d’un droit à recourir à
l’interruption volontaire de grossesse n’aurait pas une portée différente de la
proclamation d’une liberté ».
Il est cependant à noter que les synonymes n’existent
pas en droit. Le droit à l’IVG implique que l’Etat doit mettre en œuvre des
politiques publiques pour garantir son effectivité, ce que la liberté n’impose
pas dans le texte. À l’aune des dysfonctionnements de nos services publics de
santé, l’effectivité de cette liberté est à discuter.
Le Planning familial fait ainsi part des difficultés
des services public de santé en France et plus spécifiquement des entraves à la
pratique de l’IVG, « depuis 2009, la loi Hôpital Patient Santé
Territoire et la généralisation de la T2A (Tarification à l’activité) entravent
l’accès aux soins et en particulier à l’avortement. 130 centres IVG ont été
fermés ces 15 dernières années et d’autres sont menacés » (information sur le site du planning familial).
De plus, l’accès à l’IVG est très hétérogène sur le
territoire français, de nombreuses femmes doivent avorter dans un autre
département ou rencontrent de nombreuses contraintes pour le faire.
Une insistance peu anodine sur la place du
législateur
Le choix d’insérer cette liberté à l’article 34 n’est
pas anodin : l’article 34 de la Constitution énumérant le domaine de la
loi, il y a donc une insistance sur la compétence du législateur en matière
d’encadrement de cette liberté. Le législateur pourra à l’avenir durcir les
conditions de recours à cette liberté fondamentale. L’effectivité du recours à
l’IVG est par exemple conditionnée par son coût, l’objection de conscience des
médecins…
Cette possibilité offerte au législateur n’est ainsi pas
à sous-estimer. En Hongrie, les femmes sont tenues par un décret modifiant la
loi de 1992 sur l’avortement d’être confrontée « d’une manière
clairement identifiable aux fonctions vitales du fœtus ». Rien
n’empêche le législateur de durcir les conditions de recours à l’IVG.
Un texte considéré comme peu inclusif par certains
Notons
que la formulation du texte inclut uniquement les femmes. Les hommes transgenres
et personnes non-binaires sont de ce fait exclus de ce texte, ces termes n’ayant
pas de résonance en droit français. Le terme « personnes enceintes »
aurait néanmoins pu permettre de faire tomber les entraves à leur
reconnaissance en fait et en droit.
Cette
position est défendue par plusieurs partis politiques de gauche et par certains
syndicats. L’Union nationale des étudiants de France (UNEF) exprimait également
son avis sur le sujet lors du rassemblement devant la Sorbonne. « On
parle de liberté de la femme, mais aujourd’hui, les femmes ne sont pas les
seules concernées par l’IVG. Ce dernier exclut les personnes menstruées qui
peuvent avoir recours dans leur vie à l’IVG ». Et de conclure :
« Le texte n’est pas inclusif ».
Quelle
protection actuelle ?
Aucun texte de
droit international ratifié par la France ne peut en l’état donner de valeur
supra législative à ce droit tributaire des changements de majorité politique.
A ce jour, la
liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse n’est protégée que
par la loi Veil de 1975, modifiée par des textes ultérieurs. Comme le rappelle
la Cour européenne des droits de l’homme dans de multiples arrêts, l’article 8
de la CEDH sur le droit au respect de la vie privée et familiale ne peut être
interprété comme consacrant le droit à l’avortement. Du côté du droit européen,
aucune disposition ne prévoit la garantie du droit à l’avortement.
Pour
comprendre la nécessité d’inscrire ce droit dans la Constitution, il est
nécessaire de reprendre l’objectif même de notre Constitution.
Le Président
du Sénat, Gérard Larcher, considère que « la Constitution n’est pas un
catalogue de droits sociaux et sociétaux ». S’il n’entend pas revenir sur
ce droit, il s'oppose frontalement à son inscription dans la Constitution
questionnant son objet. Inscrire ce droit fondamental des femmes dans la
Constitution revient à proclamer l’attachement du peuple français à la liberté
de recourir à l’IVG. C’est ainsi que les rédacteurs de la Constitution du 4
octobre 1958 entendaient concevoir la Constitution avec la formule liminaire
contenue dans le préambule, « le peuple français proclame son attachement…
». Notre histoire constitutionnelle nous le démontre, la Constitution n’est pas
un simple cadre institutionnel, elle protège les droits les plus fondamentaux.
La
charte des droits fondamentaux de l’UE de 2005, contraignante depuis le traité
de Lisbonne de 2009, pourrait être un support envisageable pour garantir à
l’échelle européenne que les Etats ne reviennent pas sur ce droit et n’en
limitent pas la portée.
Morgane Tanguy-Biscarrat