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EMPREINTES D'HISTOIRE. Pourquoi les Allemands ont-ils volé un Diktat dans une layette à Rochecotte ?

EMPREINTES D'HISTOIRE. Pourquoi les Allemands ont-ils volé un Diktat dans une layette à Rochecotte ?
Château de Rochecotte (c) Étienne Madranges
Publié le 03/12/2023 à 07:00

La glaçante disparition d’un Traité relié en cuir blanc adopté devant des Glaces

18 janvier 1871. Le chancelier Bismarck, dont les armées ont envahi la France vaincue après la capitulation de Napoléon III à Sedan, fait proclamer dans la galerie des Glaces à Versailles la création de l’Empire allemand. Il a réussi à faire céder le roi de Bavière qui résistait à son intégration dans le nouvel État impérial. Le roi de Prusse Guillaume 1er devient l’empereur germanique.

11 novembre 1918. L’Allemagne, après avoir commencé son invasion en bombardant l’emblématique cathédrale de Reims, après avoir détruit des dizaines de villes et villages du nord-est de la France, capitule. L’armistice met fin aux hostilités à l’issue d’un conflit qui a fait des millions de morts. L’étudiant serbe de Bosnie au prénom d’archange Gavrilo Princip ne se doutait pas en assassinant le 28 juin 1914 un archiduc d’Autriche et son épouse morganatique qu’il allait provoquer un tel chaos en Europe !

Juin 1919. Les Allemands sont contraints de signer à Versailles, dans cette même galerie des Glaces qu’ils appellent « Spiegelsaal » où leur empire avait été créé, le Traité de paix qui fait suite à l’armistice du 11 novembre 1918.

Deux exemplaires officiels sont établis : un original relié en cuir blanc, un second document relié en cuir marron, portant les signatures des plénipotentiaires allemands.

 

La Galerie des Glaces au château de Versailles

L’original porte le sceau en cire rouge de Clemenceau. Un sceau réalisé à partir d’une empreinte d’une monnaie athénienne, reproduisant la chouette de la déesse Athéna et un rameau d’olivier. Clemenceau aimait l’histoire de la Grèce antique et lisait le grec ancien.

Le Traité comporte 440 articles et 436 pages. Il impose à l’Allemagne des mesures très contraignantes et même particulièrement humiliantes. Il contient quelques curiosités. Ainsi, l’article 127 du Traité évoque les « indigènes habitant les anciennes possessions allemandes d’outre-mer ».

L’article 227 du Traité, en forme de loi pénale rétroactive, prévoit que « les puissances alliées et associées mettent en accusation publique Guillaume II de Hohenzollern, ex-empereur d’Allemagne, pour offense suprême contre la morale internationale et l’autorité sacrée des traités. Un tribunal spécial sera constitué pour juger l’accusé en lui assurant les garanties essentielles du droit de défense. Il sera composé de cinq juges nommés par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Italie et le Japon. Le tribunal jugera sur motifs inspirés des principes les plus élevés de la politique entre les nations avec le souci d’assurer le respect des obligations solennelles et des engagements internationaux ainsi que de la morale internationale. Il lui appartiendra de déterminer la peine qu’il estimera devoir être appliquée. »

Une annexe dispose que, dans les trois mois de la signature, l’Allemagne livrera à la France 500 étalons, 30 000 pouliches et juments, 2 000 taureaux, 90 000 vaches laitières, 1 000 béliers, 100 000 brebis et 10 000 chèvres. Mais curieusement pas de truies alors qu’elle doit en livrer 15 000 à la Belgique, de même que 40 000 génisses.

Le gouvernement allemand doit aussi fournir pendant 10 ans 7 millions de tonnes de charbon par an, et pendant 3 ans, 30 000 tonnes de sulfate d’ammoniaque chaque année.

Il contient également des dispositions judiciaires.

L’article 78 du Traité prévoit en effet diverses mesures judiciaires transitoires ou à effet immédiat et en particulier que les jugements rendus depuis le 3 août 1914 contre les Alsaciens-Lorrains pour crimes ou délits politiques par des juridictions allemandes sont réputés nuls, ou encore que les pourvois formés devant le Tribunal d’Empire sont transférés devant la Cour de cassation française.

Les deux exemplaires du Traité sont rangés dans des layettes, ces coffres en bois spécifiques destinés à l’archivage des actes diplomatiques importants entreposés dans les services du ministère des Affaires étrangères qui en ont la conservation.

1939. Les initiatives outre-Rhin du Reichskanzler provoquent l’échauffaison générale en Europe. La guerre se profile à l’horizon. Les militaires s’apprêtent à enfiler leur pantalon bleu horizon et à rejoindre leur garnison. Il n’est pas question de laisser l’ennemi s’emparer des biens culturels et des archives inestimables. Les fonctionnaires chargés de la conservation des documents historiques précieux les envoient, dans leurs layettes, en province et plus particulièrement dans le Val de Loire, dans divers châteaux comme Valençay dans l’Indre, Chambord dans le Loir-et-Cher ou Rochecotte à Saint-Patrice dans l’Indre-et-Loire. Ils décident d’envoyer l’original du Traité de Versailles, en cuir blanc, dans une cachette à Bordeaux, et le second exemplaire, en cuir marron, à Rochecotte, considéré comme un lieu sûr. Un lieu qui a la cote, où l’on multiplie les rayonnages, les pièges à rats, les mesures contre l’incendie et l’humidité afin de protéger au mieux les trésors de la nation.

Août 1940. Les Allemands sont à Saint-Patrice depuis quelques semaines. Ils sont pressés. Ils ne vont pas attendre dans la douceur tourangelle de fêter la Saint-Patrice le 17 mars pour trouver ce qu’ils cherchent ! Le chef du détachement chargé de retrouver certains documents sensibles et de s’en emparer est Karl Epting, collaborateur de l’ambassadeur d’Allemagne en France. Il est secondé par des soldats. A Rochecotte, il n’attend pas d’eux qu’ils tricotent ! Car le commando doit retrouver une layette. Une layette peut-être cachée dans une cave, peut-être posée sur une clayette, peut-être remisée dans une oubliette. Une layette qui contient le Diktat.

Ils fouillent dans le château de Rochecotte, au fronton duquel figure la devise des Talleyrand-Périgord, « Re que Diou », que l’on traduit parfois un peu vite par « Rien que Dieu », mais qui signifie en réalité « Il n’y a de Roi que Dieu ». Initialement construit par le Comte de Rochecotte, un chef de la chouannerie exécuté à Paris sur le Champ de mars pendant le Directoire, il est devenu la propriété au XIXe siècle de la duchesse de Dino et a abrité pendant des années son amant, le prince de Talleyrand.

 

La devise figurant au fronton du château de Rochecotte

Les Allemands veulent à tout prix retrouver le Diktat et s’en emparer. Le Diktat ? C’est ainsi qu’ils nomment avec mépris l’humiliant Traité de Versailles ! Ils finissent par le trouver dans une annexe du château. Pas en copie… mais en original ! Les agents du ministère se sont en effet trompés et ont envoyé à Bordeaux le second exemplaire en cuir marron alors que l’original en cuir blanc a malencontreusement été envoyé par erreur à Rochecotte.

Les Allemands volent ce dernier dans la nuit du 11 au 12 août 1940. Ils dérobent également le Traité de Saint-Germain-en-Laye qui avait établi la paix entre l’Autriche et les Alliés et entériné la fin de l’empire austro-hongrois.

Le Traité de Versailles ne sera ainsi resté qu’un an à Rochecotte. Il fut peut-être, selon une tradition orale non vérifiée, présenté à Berlin dans le wagon de Rethondes qu’Hitler avait fait transférer dans la capitale allemande. Il fut avec certitude remis au ministre Ribbentrop.

Après la fin de la guerre, on ne l’a jamais retrouvé. Les historiens n’excluent pas un transfert en Russie après l’intervention des Soviétiques dans la capitale allemande, mais penchent majoritairement pour sa destruction, soit par les Allemands pour effacer cette trace historique de leur humiliation, soit par les bombardements alliés sur Berlin.

Signé dans un lieu de splendeur, pour les uns avec ferveur, pour les autres à contrecœur, embelli par un relieur, caché avec candeur, cherché avec ardeur, dérobé sans pudeur, emporté par des pilleurs au profit d’un dictateur mû par la rancœur, le Traité de Versailles semble définitivement soustrait à ses conservateurs et au travail des chercheurs.

Étienne Madranges
Magistrat honoraire
Avocat à la Cour
201e

 

 

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