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Emploi de travailleurs sans-papiers : quels risques pour les entreprises ?

Emploi de travailleurs sans-papiers : quels risques pour les entreprises ?
Publié le 13/12/2023 à 12:14

Alors que l’avenir du projet de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est incertain, après l’adoption d’une motion de rejet préalable lundi 11 décembre à l’Assemblée nationale, zoom sur les dispositions actuelles du droit concernant l’emploi de travailleurs étrangers, à l’occasion d’un webinaire organisé au cours du mois de novembre par le cabinet Voltaire avocats.

L’emploi de travailleurs étrangers passe, dans un certain nombre de cas, par l’obligation pour l’employeur de solliciter une autorisation de travail. Ce n’est le cas si l’employé fait partie de l’Espace économique européen, de l’Union européenne ou de la Suisse. « Pour ces salariés, l’employeur va seulement avoir l’obligation de vérifier la nationalité, avec une copie de la carte nationale d’identité ou du passeport », explique Alexandra Dabrowiecki, avocate en droit social au sein du cabinet Voltaire avocats, lors d’un webinaire organisé au mois de novembre et consacré aux risques pour les entreprises d’employer des personnes sans papiers.

Dans d’autres situations, il n’est pas non plus nécessaire d’obtenir une autorisation. C’est le cas pour les travailleurs déjà titulaires d’un titre de séjour qui va inclure une autorisation de travail, comme par exemple une carte de résident de 10 ans ou résident « longue durée – UE » délivrée par la France. L’employeur devra néanmoins vérifier auprès de la préfecture la validité de l’autorisation.

Pour des missions inférieures à trois mois et pour certains secteurs d’activités ou certaines missions liées aux Jeux olympiques de Paris 2024, l’employé n’a pas besoin de solliciter d’autorisation de travail, quel que soit son pays d’origine.

Pour tous les étrangers qui ne se trouvent pas dans ces situations, l’employeur va devoir demander une autorisation de travail délivrée par la préfecture. La procédure est désormais informatisée et la demande s’effectue sur un site Internet. Un dispositif qui se veut simple, mais « les retours ne sont pas toujours très positifs et beaucoup d’employeurs doivent appeler régulièrement les préfectures pour faire avancer le dossier », regrette Alexandra Dabrowiecki.

Une vérification va être ensuite faite par la préfecture. Objectif : veiller à ce que le recrutement de l’employé étranger ne fasse pas concurrence aux salariés déjà présents. C’est ce qu’on appelle l’opposabilité de la situation de l’emploi. Pour cela, l’employeur a l’obligation de publier une offre d’emploi sur le territoire pendant un délai de 3 semaines. Une condition qui ne s’applique pas aux métiers en tension.

Trois types de sanctions en cas d’emploi d’un étranger sans autorisation de travail

L’employeur a d’ailleurs l’obligation de vérifier les documents nécessaires pour employer ou conserver un travailleur étranger. « Une obligation de vigilance renforcée », assure François Hubert, avocat en droit social chez Voltaire avocats. « Cela implique de s’assurer que, en fonction de la nationalité du salarié étranger, l’autorisation de travail n’est pas forcément la même, et qu’il faut parfois la demander à la préfecture, cela demande du temps. »

La vigilance de l’employeur doit être d’autant plus grande que les sanctions en cas de manquements sont particulièrement importantes, avec trois types de sanctions qui s’appliquent en cas de manquement au moment de l’embauche, sur la durée de l’emploi, ou encore au moment du renouvellement du contrat du salarié.

Le patron peut d’abord s’exposer à des sanctions prudhommales, puisque comme tout salarié, le salarié étranger, même sans autorisation de travail, peut faire valoir ses droits devant le conseil des prudhommes si l’employeur n’a pas respecté ses obligations à son égard. « Il peut s’exposer à des sanctions pécuniaires devant le conseil », assure François Hubert

Si le salarié étranger n’avait pas de titre de travail pour exercer l’activité et que l’employeur a rompu le contrat, certaines sommes lui sont dues, entre autres des salaires, comme prévu par le Code du travail. « L’employeur peut aussi s’exposer à des dommages et intérêts si le salarié démontre des préjudices particuliers, notamment dans l’hypothèse où l’employeur devait faire des démarches pour faciliter le renouvellement de l’autorisation de travail du salarié étranger et qu’il n’a pas fait le nécessaire », poursuit l’avocat.

Une grande prudence pour éviter le risque pénal

Des sanctions pénales sont également prévues. Deux types d’infractions sont ici applicables en cas d’absence d’autorisation de travail : emploi irrégulier d’un travailleur étranger et travail dissimulé. Dans la première infraction, « les peines sont particulièrement importantes », avertit François Hubert. L’employeur s’expose en effet à cinq années d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Pour une personne morale, l’amende peut être portée à 75 000 euros.

Des peines complémentaires peuvent également s’ajouter, comme l’interdiction pendant cinq ans d’exercer l’activité professionnelle dans laquelle l’infraction a été commise, l’exclusion des marchés publics pour une durée de cinq ans au plus, ou encore la fermeture des locaux ou établissements concernés par l’infraction.

L’infraction de travail dissimulé est également durement punie, avec jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende, sans compter de possibles circonstances aggravantes qui augmenteraient la peine, comme par exemple le recours par l’employeur à plusieurs travailleurs étrangers sans autorisation. Dans ce cas, l’amende peut monter jusqu’à 75 000 euros. Des risques qui doivent pousser les recruteurs à faire preuve d’une attention particulière, puisque « l’employeur, même s’il n’a pas l’intention de méconnaître la réglementation du travail et en matière d’entrée de séjour des étrangers et de droit d’asile, peut rapidement se retrouver devant le juge pénal », explique l’avocat en droit social.

Dernier type de sanction : les sanctions administratives. La violation de l’interdiction d’embauche de travailleur étranger sans titre expose l’employeur a deux sanctions pouvant être cumulables. La première est une contribution spéciale à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), d’un montant de 20 050 euros par salarié en 2023. La seconde est une contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement. Le montant varie en fonction du pays d’origine de l’étranger concerné par la mesure. Elle est par exemple de 3 266 euros pour une personne originaire d’Amérique et de 2 124 euros pour une personne originaire du Maghreb. Ce montant peut s’appliquer même si le salarié étranger n’est finalement pas éloigné du territoire français.

Toutes ces sanctions forment « un arsenal législatif particulièrement important », assure François Hubert.

Bien surveiller le renouvellement d’autorisation de travail

L’attention des employeurs doit donc être totale au moment du recrutement, mais aussi tout au long du salariat de la personne étrangère dans l’entreprise, notamment au moment du renouvellement d’un contrat de travail. « En tant qu’avocats spécialisés en droit social, nous avons régulièrement des entreprises qui nous appellent pour nous demander conseil », témoigne Alexandra Dabrowiecki, qui cite par exemple le cas de l’embauche d’un étudiant étranger en situation régulière, puisque présentant un titre de séjour, et qui après la fin de ses études change de statut et doit solliciter un titre de séjour en accord avec son nouveau statut de salarié. « On se retrouve parfois dans des situations où le salarié n’obtient pas son renouvellement dans l’immédiat et reste quelques mois sans autorisation de travail », explique-t-elle. Dans ce cas, la loi oblige l’employeur à procéder à la rupture du contrat de travail, puisqu’il lui est interdit de conserver à son service un étranger non muni d’un titre de séjour l’autorisant à travailler.

La législation distingue ici le salarié en CDI de celui en CDD. Dans le cas d’un CDI, le salarié en situation régulière est protégé par une procédure particulière avec une convocation à un entretien préalable au licenciement avec une cause réelle et sérieuse. Mais dans le cas d’un salarié étranger perdant son droit à travailler, une procédure allégée est disponible. « Le seul fait qu’il soit en situation irrégulière constitue une cause objective qui justifie la rupture de son contrat de travail », explique Alexandra Dabrowiecki. C’est ce qu’indique un arrêt de la Cour de cassation du 4 juillet 2012.

« D’après la jurisprudence, il n’y a pas à convoquer le salarié en entretien préalable. Cet allègement de la procédure est cohérent avec l’obligation pour l’employeur de rompre dans les meilleurs délais le contrat de travail », assure l’avocate. L’employeur devra en plus verser une indemnité forfaitaire au moins égale à trois mois de salaire, ou bien le montant cumulé des indemnités de licenciement et de préavis, au plus favorable pour le licencié.

Le salarié en CDD protégé financièrement lui aussi

Pour le salarié en CDD en revanche, la perte de l’autorisation de travail ne fait pas partie des motifs de rupture anticipée du contrat. « Néanmoins, comme cela concerne l’ordre public, la perte du droit au séjour et du droit au travail sur le sol français va en principe permettre en principe de rompre le contrat plus rapidement », estime pour autant Alexandra Dabrowiecki.

Une mesure de protection sera cependant appliquée pour le salarié, puisque l’employeur devra lui verser tous les salaires dus jusqu’à la fin du CDD ou l’équivalent de trois mois de salaire, là aussi au plus favorable pour le licencié. « Le salarié étranger ne se retrouve pas sans rien et il y a quand même un coût pour l’employeur, ce qui est normal, comme pour n’importe quelle rupture », assure l’avocate chez Voltaire avocats.

Comme les employeurs oublient parfois de prêter attention à la date d’expiration du titre de séjour et peuvent ainsi se retrouver avec un salarié en situation irrégulière, Alexandra Dabrowiecki préconise « de prévoir, au moment de la conclusion du contrat, que celui-ci est conclu à la condition que le salarié dispose d’un document l’autorisant à travailler à la date de prise de fonctions. Si l’autorisation de travail est obtenue, le contrat peut être exécuté. À défaut pour le salarié de pouvoir présenter ce titre et l’autorisation de séjour, le contrat devient caduque. »

L’avocate insiste aussi sur l’obligation contractuelle d’information à la charge du salarié, qui consiste à prévoir dans le contrat de travail que le travailleur étranger devra informer l’employeur de tout changement de situation, comme une demande de prolongation ou de renouvellement de l’autorisation de travail. « L’employeur est responsable, mais [cette obligation] peut aussi l’aider à responsabiliser le salarié », explique-t-elle. Alexandra Dabrowiecki conseille également la mise en place de systèmes automatisés d’alerte, afin de s’assurer régulièrement que les autorisations de travail et les titres de séjour des salariés étrangers sont toujours valables et d’anticiper les démarches administratives à mettre en œuvre.

La suspension du contrat de travail, une décision risquée

Dans le cas d’un salarié se retrouvant en situation irrégulière car dans l’attente du renouvellement de son autorisation de travail ou du changement de statut, la loi oblige l’employeur à rompre le contrat de travail. « Une solution de suspension n’est pas conforme à la loi et n’est donc pas sans risques », avertit Alexandra Dabrowiecki, qui assure cependant qu’il ne faut pas se précipiter. Si l’employeur sait qu’une demande de renouvellement est en cours et que l’employé a reçu un récépissé l’autorisant à travailler pendant la durée de la procédure, alors il n’y a pas à suspendre le contrat. Autre cas, pour certains titres de séjour, pendant trois mois maximum à partir de la date de demande de renouvellement, le salarié est autorisé à travailler.

Dans les autres situations, si l’employeur est en lien avec la préfecture qui lui indique qu’il y a de grandes chances pour que le salarié obtienne ce renouvellement, l’avocate conseille aux dirigeants de suspendre le contrat de travail, « tout en étant très précautionneux dans la rédaction du courrier qui va formaliser cette suspension pour dire que celle-ci est fondée sur des éléments pratiques montrant de grandes chances que le titre soit renouvelé ». Avec une consigne claire adressée à ses clients entrepreneurs : « Toujours conserver des preuves de leurs échanges avec la préfecture. »

Alexis Duvauchelle

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