Alors que l’avenir du projet
de loi pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration est incertain,
après l’adoption d’une motion de rejet préalable lundi 11 décembre à
l’Assemblée nationale, zoom sur les dispositions actuelles du droit concernant
l’emploi de travailleurs étrangers, à l’occasion d’un webinaire organisé au
cours du mois de novembre par le cabinet Voltaire avocats.
L’emploi de travailleurs
étrangers passe, dans un certain nombre de cas, par l’obligation pour
l’employeur de solliciter une autorisation de travail. Ce n’est le cas si
l’employé fait partie de l’Espace économique européen, de l’Union européenne ou
de la Suisse. « Pour ces salariés, l’employeur va seulement avoir
l’obligation de vérifier la nationalité, avec une copie de la carte nationale
d’identité ou du passeport », explique Alexandra Dabrowiecki, avocate
en droit social au sein du cabinet Voltaire avocats, lors d’un webinaire
organisé au mois de novembre et consacré aux risques pour les entreprises
d’employer des personnes sans papiers.
Dans d’autres situations, il
n’est pas non plus nécessaire d’obtenir une autorisation. C’est le cas pour les
travailleurs déjà titulaires d’un titre de séjour qui va inclure une
autorisation de travail, comme par exemple une carte de résident de 10 ans ou
résident « longue durée – UE » délivrée par la France. L’employeur
devra néanmoins vérifier auprès de la préfecture la validité de l’autorisation.
Pour des missions inférieures
à trois mois et pour certains secteurs d’activités ou certaines missions liées
aux Jeux olympiques de Paris 2024, l’employé n’a pas besoin de solliciter
d’autorisation de travail, quel que soit son pays d’origine.
Pour tous les étrangers qui
ne se trouvent pas dans ces situations, l’employeur va devoir demander une
autorisation de travail délivrée par la préfecture. La procédure est désormais
informatisée et la demande s’effectue sur un site Internet. Un dispositif qui
se veut simple, mais « les retours ne sont pas toujours très positifs
et beaucoup d’employeurs doivent appeler régulièrement les préfectures pour
faire avancer le dossier », regrette Alexandra Dabrowiecki.
Une vérification va être
ensuite faite par la préfecture. Objectif : veiller à ce que le
recrutement de l’employé étranger ne fasse pas concurrence aux salariés déjà
présents. C’est ce qu’on appelle l’opposabilité de la situation de l’emploi.
Pour cela, l’employeur a l’obligation de publier une offre d’emploi sur le
territoire pendant un délai de 3 semaines. Une condition qui ne s’applique pas
aux métiers en tension.
Trois types de sanctions en
cas d’emploi d’un étranger sans autorisation de travail
L’employeur a d’ailleurs
l’obligation de vérifier les documents nécessaires pour employer ou conserver
un travailleur étranger. « Une obligation de vigilance renforcée »,
assure François Hubert, avocat en droit social chez Voltaire avocats. « Cela
implique de s’assurer que, en fonction de la nationalité du salarié étranger,
l’autorisation de travail n’est pas forcément la même, et qu’il faut parfois la
demander à la préfecture, cela demande du temps. »
La vigilance de l’employeur
doit être d’autant plus grande que les sanctions en cas de manquements sont
particulièrement importantes, avec trois types de sanctions qui s’appliquent en
cas de manquement au moment de l’embauche, sur la durée de l’emploi, ou encore au
moment du renouvellement du contrat du salarié.
Le patron peut d’abord
s’exposer à des sanctions prudhommales, puisque comme tout salarié, le salarié
étranger, même sans autorisation de travail, peut faire valoir ses droits
devant le conseil des prudhommes si l’employeur n’a pas respecté ses
obligations à son égard. « Il peut s’exposer à des sanctions
pécuniaires devant le conseil », assure François Hubert
Si le salarié étranger
n’avait pas de titre de travail pour exercer l’activité et que l’employeur a
rompu le contrat, certaines sommes lui sont dues, entre autres des salaires,
comme prévu par le Code du travail. « L’employeur peut aussi s’exposer
à des dommages et intérêts si le salarié démontre des préjudices particuliers,
notamment dans l’hypothèse où l’employeur devait faire des démarches pour
faciliter le renouvellement de l’autorisation de travail du salarié étranger et
qu’il n’a pas fait le nécessaire », poursuit l’avocat.
Une grande prudence pour
éviter le risque pénal
Des sanctions pénales sont
également prévues. Deux types d’infractions sont ici applicables en cas
d’absence d’autorisation de travail : emploi irrégulier d’un travailleur
étranger et travail dissimulé. Dans la première infraction, « les
peines sont particulièrement importantes », avertit François Hubert.
L’employeur s’expose en effet à cinq années d’emprisonnement et 15 000
euros d’amende. Pour une personne morale, l’amende peut être portée à
75 000 euros.
Des peines complémentaires
peuvent également s’ajouter, comme l’interdiction pendant cinq ans d’exercer l’activité
professionnelle dans laquelle l’infraction a été commise, l’exclusion des
marchés publics pour une durée de cinq ans au plus, ou encore la fermeture des
locaux ou établissements concernés par l’infraction.
L’infraction de travail
dissimulé est également durement punie, avec jusqu’à trois ans d’emprisonnement
et 45 000 euros d’amende, sans compter de possibles circonstances
aggravantes qui augmenteraient la peine, comme par exemple le recours par
l’employeur à plusieurs travailleurs étrangers sans autorisation. Dans ce cas,
l’amende peut monter jusqu’à 75 000 euros. Des risques qui doivent pousser
les recruteurs à faire preuve d’une attention particulière, puisque « l’employeur,
même s’il n’a pas l’intention de méconnaître la réglementation du travail et en
matière d’entrée de séjour des étrangers et de droit d’asile, peut rapidement
se retrouver devant le juge pénal », explique l’avocat en droit
social.
Dernier type de
sanction : les sanctions administratives. La violation de l’interdiction
d’embauche de travailleur étranger sans titre expose l’employeur a deux
sanctions pouvant être cumulables. La première est une contribution spéciale à l’Office
français de l’immigration et de l’intégration (OFII), d’un montant de
20 050 euros par salarié en 2023. La seconde est une contribution
forfaitaire représentative des frais de réacheminement. Le montant varie en
fonction du pays d’origine de l’étranger concerné par la mesure. Elle est par
exemple de 3 266 euros pour une personne originaire d’Amérique et de 2 124
euros pour une personne originaire du Maghreb. Ce montant peut s’appliquer même
si le salarié étranger n’est finalement pas éloigné du territoire français.
Toutes ces sanctions forment « un
arsenal législatif particulièrement important », assure François
Hubert.
Bien surveiller le
renouvellement d’autorisation de travail
L’attention des employeurs
doit donc être totale au moment du recrutement, mais aussi tout au long du
salariat de la personne étrangère dans l’entreprise, notamment au moment du
renouvellement d’un contrat de travail. « En tant qu’avocats
spécialisés en droit social, nous avons régulièrement des entreprises qui nous
appellent pour nous demander conseil », témoigne Alexandra
Dabrowiecki, qui cite par exemple le cas de l’embauche d’un étudiant étranger
en situation régulière, puisque présentant un titre de séjour, et qui après la
fin de ses études change de statut et doit solliciter un titre de séjour en
accord avec son nouveau statut de salarié. « On se retrouve parfois
dans des situations où le salarié n’obtient pas son renouvellement dans
l’immédiat et reste quelques mois sans autorisation de travail »,
explique-t-elle. Dans ce cas, la loi oblige l’employeur à procéder à la rupture
du contrat de travail, puisqu’il lui est interdit de conserver à son service un
étranger non muni d’un titre de séjour l’autorisant à travailler.
La législation distingue ici
le salarié en CDI de celui en CDD. Dans le cas d’un CDI, le salarié en
situation régulière est protégé par une procédure particulière avec une
convocation à un entretien préalable au licenciement avec une cause réelle et
sérieuse. Mais dans le cas d’un salarié étranger perdant son droit à travailler,
une procédure allégée est disponible. « Le seul fait qu’il soit en
situation irrégulière constitue une cause objective qui justifie la rupture de
son contrat de travail », explique Alexandra Dabrowiecki. C’est ce
qu’indique un arrêt de la Cour de cassation du 4 juillet 2012.
« D’après la jurisprudence,
il n’y a pas à convoquer le salarié en entretien préalable. Cet allègement de
la procédure est cohérent avec l’obligation pour l’employeur de rompre dans les
meilleurs délais le contrat de travail », assure l’avocate.
L’employeur devra en plus verser une indemnité forfaitaire au moins égale à
trois mois de salaire, ou bien le montant cumulé des indemnités de licenciement
et de préavis, au plus favorable pour le licencié.
Le salarié en CDD protégé
financièrement lui aussi
Pour le salarié en CDD en revanche,
la perte de l’autorisation de travail ne fait pas partie des motifs de rupture
anticipée du contrat. « Néanmoins, comme cela concerne l’ordre public, la
perte du droit au séjour et du droit au travail sur le sol français va en
principe permettre en principe de rompre le contrat plus rapidement »,
estime pour autant Alexandra Dabrowiecki.
Une mesure de protection sera
cependant appliquée pour le salarié, puisque l’employeur devra lui verser tous
les salaires dus jusqu’à la fin du CDD ou l’équivalent de trois mois de
salaire, là aussi au plus favorable pour le licencié. « Le salarié
étranger ne se retrouve pas sans rien et il y a quand même un coût pour
l’employeur, ce qui est normal, comme pour n’importe quelle rupture »,
assure l’avocate chez Voltaire avocats.
Comme les employeurs oublient
parfois de prêter attention à la date d’expiration du titre de séjour et
peuvent ainsi se retrouver avec un salarié en situation irrégulière, Alexandra
Dabrowiecki préconise « de prévoir, au moment de la conclusion du
contrat, que celui-ci est conclu à la condition que le salarié dispose d’un
document l’autorisant à travailler à la date de prise de fonctions. Si
l’autorisation de travail est obtenue, le contrat peut être exécuté. À défaut
pour le salarié de pouvoir présenter ce titre et l’autorisation de séjour, le
contrat devient caduque. »
L’avocate insiste aussi sur l’obligation
contractuelle d’information à la charge du salarié, qui consiste à prévoir dans
le contrat de travail que le travailleur étranger devra informer l’employeur de
tout changement de situation, comme une demande de prolongation ou de
renouvellement de l’autorisation de travail. « L’employeur est
responsable, mais [cette obligation] peut aussi l’aider à responsabiliser le
salarié », explique-t-elle. Alexandra Dabrowiecki conseille également
la mise en place de systèmes automatisés d’alerte, afin de s’assurer
régulièrement que les autorisations de travail et les titres de séjour des
salariés étrangers sont toujours valables et d’anticiper les démarches
administratives à mettre en œuvre.
La suspension du contrat de
travail, une décision risquée
Dans le cas d’un salarié se
retrouvant en situation irrégulière car dans l’attente du renouvellement de son
autorisation de travail ou du changement de statut, la loi oblige l’employeur à
rompre le contrat de travail. « Une solution de suspension n’est pas
conforme à la loi et n’est donc pas sans risques », avertit Alexandra
Dabrowiecki, qui assure cependant qu’il ne faut pas se précipiter. Si
l’employeur sait qu’une demande de renouvellement est en cours et que l’employé
a reçu un récépissé l’autorisant à travailler pendant la durée de la procédure,
alors il n’y a pas à suspendre le contrat. Autre cas, pour certains titres de
séjour, pendant trois mois maximum à partir de la date de demande de
renouvellement, le salarié est autorisé à travailler.
Dans les autres situations,
si l’employeur est en lien avec la préfecture qui lui indique qu’il y a de
grandes chances pour que le salarié obtienne ce renouvellement, l’avocate
conseille aux dirigeants de suspendre le contrat de travail, « tout en
étant très précautionneux dans la rédaction du courrier qui va formaliser cette
suspension pour dire que celle-ci est fondée sur des éléments pratiques montrant
de grandes chances que le titre soit renouvelé ». Avec une consigne
claire adressée à ses clients entrepreneurs : « Toujours conserver
des preuves de leurs échanges avec la préfecture. »
Alexis
Duvauchelle