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Entretien croisé entre les directeurs scientifiques et rédacteurs du rapport « Notariat et numérique » et le président de la Chambre des notaires du 92

Entretien croisé entre les directeurs scientifiques et rédacteurs du rapport « Notariat et numérique » et le président de la Chambre des notaires du 92
Publié le 28/10/2022 à 11:25

 

Le 16 novembre prochain, les principales conclusions de la recherche « Notariat et numérique » dirigée par Manuella Bourassin, professeure de droit privé, Corine Dauchez, maîtresse de conférences en droit privé, et Marc Pichard, professeur de droit privé à l’université Paris Nanterre, seront présentées lors d’un colloque organisé au Conseil supérieur du notariat (CSN). Le rapport qu’ils ont remis fin 2021 à l’Institut des Études et de la Recherche sur le Droit et la Justice présente et analyse la mutation numérique de la profession notariale. Pour mener à bien ces travaux, le notariat des Hauts-de-Seine s’est fortement mobilisé aux côtés des chercheurs. À travers cette interview croisée, les directeurs scientifiques rédacteurs du rapport et le président de la Chambre des notaires du 92 nous éclairent sur la réalité numérique de la profession.

 

 

En novembre 2021 a été rendu le rapport « Notariat et numérique. Le cybernotaire au cœur de la République numérique ». La Chambre des notaires des Hauts-de-Seine a été associée à cette recherche dès son origine. Pourriez-vous revenir sur la genèse de ce partenariat ?

Corine Dauchez : En 2017, la Mission de recherche Droit et Justice du ministère de la Justice a lancé un appel à projet sur le thème « Droit, justice et numérique ». Avec le soutien de notre laboratoire, le Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique de l’université Paris Nanterre, nous avons décidé d’y répondre en proposant une recherche tournée vers les politiques et les pratiques numériques du notariat. D’emblée, nous nous sommes rapprochés de la Chambre des notaires des Hauts-de-Seine pour qu’elle appuie et facilite les enquêtes de terrain auprès de tous les membres de la Compagnie.

Manuella Bourassin : Ce rapprochement était tout à fait naturel compte tenu du partenariat très actif et ancien entre la Chambre et le master Droit notarial de l’université Paris Nanterre dont nous assurons la direction*. Les relations étroites entre l’université et le notariat local expliquent certainement l’accueil très enthousiaste que la Chambre du 92, par l’intermédiaire de son président d’alors, a réservé à notre projet de recherche.

Guy Durand : Effectivement, la Chambre des notaires des Hauts-de-Seine est très attachée au développement de ses relations avec l’université. Ce partenariat est précieux pour la formation, tant initiale que continue, des notaires. La Chambre a également pleinement conscience qu’au-delà de la formation des notaires, l’université est un lieu d’excellence académique avec lequel le notariat a tout intérêt à collaborer. L’utilité d’une recherche menée par des universitaires sur la transformation numérique de la profession n’a donc pas échappé au président de l’époque, Maître Guy Kermin, qui a immédiatement assuré les professeurs Manuella Bourassin, Corine Dauchez et Marc Pichard, du soutien de la Chambre.

 


Notariat et numérique, Le cybernotaire au cœur de la République numérique, Manuella Bourassin,

Corine Dauchez, Marc Pichard, Lexis Nexis, 334 pages


En quoi la participation de la Chambre des notaires des Hauts-de-Seine était-elle cruciale pour la recherche ?

Corine Dauchez : Pour mener cette recherche, nous souhaitions adopter une démarche originale, à la fois académique et empirique, car nous tenions à ce que nos travaux ne soient pas déconnectés de la réalité. Notre recherche ambitionnait de dresser un portrait du cybernotaire qui soit aussi fidèle que possible. Dès lors, en complément des réflexions menées dans les disciplines au cœur de notre sujet (droit privé, mais aussi droit public, économie, sociologie, informatique), nous avons décidé de réaliser des enquêtes de terrain afin de révéler la réalité des pratiques et des perceptions relatives au numérique dans les offices. Ces enquêtes ont pris la forme d’entretiens individuels et aussi de questionnaires diffusés par voie électronique à l’ensemble des acteurs des offices du 92, et ce entre 2018 et 2021.

Marc Pichard : Dans l’optique de saisir la réalité de la digitalisation de la profession notariale et de rendre compte d’éventuelles différences entre les services et les fonctions exercées dans les offices, il nous a paru essentiel d’interroger non seulement les notaires, mais également leurs collaborateurs, qu’il s’agisse des clercs, des archivistes, des standardistes, des caissiers, des formalistes… Notre recherche est ainsi collaborative en ce sens que tous les membres de l’office ont été interrogés. L’implication de la Chambre des notaires des Hauts-de-Seine a été tout à fait précieuse, car elle a été un excellent relais pour la diffusion de nos questionnaires à tous les acteurs du notariat local, ce qui a permis de recueillir un nombre de réponses très significatif.

Guy Durand : La Chambre des notaires a été particulièrement séduite par l’aspect empirique et collaboratif de la recherche. À la demande des directeurs de recherche, elle a missionné trois notaires afin qu’ils participent à la conception des questionnaires à diffuser auprès des acteurs des offices du département. Ont ainsi intégré l’équipe de recherche Maître Xavier Blanchet, Maître Laurent Scoriels et Maître Luc Thomas. Elle a ensuite mobilisé tous les membres de la Compagnie afin qu’ils répondent aux questionnaires. La démarche « inclusive » était tout à fait séduisante, car elle permettait d’associer les collaborateurs qui sont peu interrogés. Ils ont trouvé là l’occasion de donner leur avis sur la transformation de leur métier sous l’influence du numérique.

Manuella Bourassin : Les taux de réponses ont été très élevés pour ce type d’enquête. Alors que le taux de retour aux questionnaires Internet est souvent inférieur à 10 %, le premier questionnaire adressé à tous les notaires et collaborateurs des offices du 92 à l’hiver 2018 a été entièrement rempli par 30 % d’entre eux et même par 40 % des notaires libéraux du département. Concernant le second questionnaire destiné à identifier les politiques digitales développées dans les offices, plus de 70 % des notaires dirigeants y ont répondu mi-2019. Le succès rencontré par ces questionnaires, puis par les entretiens individuels menés en 2021 à la sortie de la crise sanitaire, tient sans aucun doute pour une bonne part au soutien apporté par la Chambre.

 

 

Le notariat des Hauts-de-Seine s’est-il pleinement emparé du numérique ?

Guy Durand : Si l’on parle de la Chambre des notaires des Hauts-de-Seine, la mobilisation sur le sujet du numérique est considérable. En effet, notre Chambre participe à la Commission numérique de la Chambre interdépartementale de Paris. Elle est ainsi associée à tous les projets déployés par Paris notaires services (PNS) et financés par un fonds d’innovation « Recherche et développement » créé en 2018. Une part conséquente du budget de la Chambre des notaires des Hauts-de-Seine est d’ailleurs consacrée à alimenter ce fonds. Tout ceci lui permet d’accéder à des projets et à des réalisations numériques d’envergure reposant notamment sur la blockchain, comme le registre dématérialisé des sociétés non cotées, ou l’intelligence artificielle. Additionné au financement de la base immobilière (base BIEN) et à la participation au réseau intranot92, l’investissement dans le numérique est le deuxième poste de dépenses le plus important de la Chambre derrière les dépenses de personnel, ceci sans compter les dépenses relatives à la formation des notaires.

Marc Pichard : Les enquêtes que nous avons réalisées confortent, à l’échelle des offices, ce fort investissement dans le numérique. Elles montrent qu’au sein du département des Hauts-de-Seine, les offices sont majoritairement engagés dans le zéro papier, grâce notamment aux actes authentiques électroniques et aux échanges dématérialisés avec les partenaires publics ou privés de la profession, ainsi que dans le recours à la visioconférence, y compris pour recevoir les actes authentiques. Pour autant, cette évolution générale doit être nuancée, car la révolution numérique ne gagne pas tous les offices à la même vitesse. L’intensité de l’engagement dans le numérique est largement dépendant de la situation financière de l’office et du budget qui peut être consacré à sa transformation digitale. Ainsi avons-nous montré que le notariat à deux vitesses, dont on entend souvent parler, n’est pas seulement économique, il est également numérique.

 

« La révolution numérique, loin d’avoir ébranlé le service public notarial, l’a donc consolidé dans ses missions juridiques à l’égard des citoyens mais également dans sa fonction politique. »

 

Avez-vous, à travers vos recherches, identifié une culture numérique propre au notariat ?

Manuella Bourassin : Tout à fait. Contrairement aux idées reçues, le notariat est une profession à la pointe de la technologie, qui a su prendre très tôt la vague numérique. Il ressort de nos enquêtes qu’une très large majorité des acteurs des offices, sans distinction significative selon les fonctions exercées, adhèrent à cette digitalisation de la profession. Il existe donc une véritable culture numérique dans le notariat. Cependant, l’adhésion générale au numérique a pu être nuancée, car la plupart des acteurs des offices soulignent également que le numérique peut occasionner des erreurs dans les actes, outre une dépendance des officiers publics vis-à-vis de divers prestataires de services numériques, autant de périls qu’ils considèrent impérieux de conjurer. En conséquence, des résistances au « tout numérique » s’observent et s’expliquent par la préoccupation de l’ensemble des acteurs des offices de préserver les valeurs traditionnelles du notariat et sa raison d’être, à savoir la sécurité juridique et l’authenticité, qui sont l’une et l’autre au cœur du service public délégué par l’État aux notaires.

 

 

Au-delà de l’approche empirique, vous avez adopté une approche institutionnelle et analysé l’impact de la révolution numérique sur le service public notarial. Pouvez-vous nous exposer vos principales conclusions sur ce point ?

Corine Dauchez : Les politiques numériques mises en place par les instances de la profession pour intégrer les évolutions technologiques ont bouleversé le service public notarial. Elles ont permis de transposer l’authenticité dans le monde numérique et au-delà d’associer le service public notarial à la construction de la publicité foncière en ligne et de l’enrichir d’une nouvelle mission de service public relative à la diffusion des données immobilières. La révolution numérique, loin d’avoir ébranlé le service public notarial, l’a donc consolidé dans ses missions juridiques à l’égard des citoyens, mais également dans sa fonction politique. En effet, les pouvoirs publics trouvent dans le notariat un solide allié pour la mise en œuvre des politiques de transformation numérique de l’État, tout autant que pour renforcer la souveraineté étatique dans le monde phygital, à la fois physique et numérique, où elle peine à s’imposer.

 

Propos recueillis par Constance Périn

 

* Voir site Internet de ce master : https://master-notarial.parisnanterre.fr/professionnalisation/

 

 

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