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INTERVIEW. « Beaucoup de femmes se censurent » : Voix d’Oratrices, un nouveau concours d’éloquence 100 % féminin

INTERVIEW. « Beaucoup de femmes se censurent » : Voix d’Oratrices, un nouveau concours d’éloquence 100 % féminin
Publié le 04/03/2024 à 09:00

Avocate en devenir et créatrice de la plateforme Tuteur Law, Louise Denoyes a créé le mois dernier le premier concours d’éloquence intergénérationnel uniquement réservé aux femmes. Objectif : les accompagner et les soutenir dans une aventure d’art oratoire. La créatrice nous dévoile les coulisses de la conception « d’un des projets les plus significatifs de [sa] vie ».

JSS : Comment vous est venue l’idée de créer Voix d’Oratrices ?

Louise Denoyes : J’ai participé à plusieurs concours d’éloquence, concours de pitch, et prises de parole ces deux dernières années, et cet exercice m’a séduite. C’est un exercice que je trouve très riche intellectuellement, et que je me plais beaucoup à préparer. En réalité, plus que l’éloquence, c’est aussi le jeu de l’écriture, de la tournure des phrases, de l’émotion, qui m’intéresse. C’est d’ailleurs mon goût prononcé pour l’éloquence qui me guide à choisir la profession d’avocate, avec l’idée de défendre des gens, des idées, et de porter la voix pour les autres.

Très timide étant plus jeune, la pratique du théâtre et de la comédie musicale au Cours Florent durant plus de 5 ans m’a donné gout à la prise de parole en public.

Aussi, je me suis rapidement rendue compte d’une part que la parole était une chance, une vraie libération. À titre personnel, étant enfant, parler en public était à la fois ma plus grande peur et mon plus gros fantasme/exutoire. J’étais sans cesse en quête de m’exprimer, et de chercher un moyen de libérer mes émotions, mes idées et mes centres d’intérêts. C’est notamment passé par la musique, le chant, l’écriture, et enfin par l’éloquence.

JSS : Pourquoi avoir fait le choix de réserver ce concours aux femmes ?

L.D. : Oser prendre la parole dans le cadre d’un concours d’éloquence peut être un véritable défi, mais je pense que la parole peut sauver, et que le monde gagnerait beaucoup à entendre les idées que les femmes ont à apporter.

Je me suis rendu compte que peu de femmes osaient prendre la parole, en dépit de toute l’ingéniosité, de l’expérience, de l’intelligence et de la richesse qu’elles avaient à communiquer. Il suffit d’ailleurs de se rendre à des concours d’éloquence pour constater que la majorité des participants et des finalistes sont des hommes. Je pense que cela est essentiellement dû au fait que beaucoup de femmes se censurent, et j’aimerais faire évoluer cela, en menant les femmes, dans un climat plein de bienveillance, à oser être mises sur le devant de la scène, à croire en elles, et à imposer ; faire résonner leur voix.

Par ce projet, j’ai envie de me battre pour que les femmes osent prendre la parole et porter leur voix, sur les traces de Gisèle Halimi et Simone Veil, deux femmes que j’admire beaucoup.

Finalement, ce premier concours d’éloquence intergénérationnel uniquement réservé aux femmes est né de la combinaison de trois grands combats de ma vie : le droit, le droit des femmes et la liberté d’expression.

Aimé Césaire ne voulait-il pas que sa bouche soit « la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche » ?

JSS : Comment avez-vous pu concrétiser cette envie ? Quels sont vos partenaires dans ce projet ?

L.D. : Ayant déjà lancé un projet entrepreneurial seule (la plateforme d’accompagnement sur mesure Tuteur Law pour les étudiants en droit et lycéens qui se destinent à la filière ndlr), j’avais désormais envie d’une aventure plus solidaire, d’une aventure qui réunirait des personnes autour d’une même cause.

J’ai alors naturellement proposé à ma plus fidèle alliée, Nathalie Denoyes, de rejoindre l’aventure à mes côtés, puis très rapidement d’autres personnes m’ont ensuite contactée pour porter ensemble ce projet.

« La parole peut sauver, et le monde gagnerait beaucoup à entendre les idées que les femmes ont à apporter. »

En outre, cette envie a été concrétisée par une simple mise en application de l’idée. Parfois, ce n’est pas si compliqué, il suffit de passer à l’action, de fixer le planning et le programme de l’évènement, de bien choisir l’équipe avec laquelle avancer et de faire connaitre son projet au plus grand nombre.

À l’heure actuelle, le projet étant très récent, nous n’avons pas de partenaires, mais cela ne saurait tarder… Les partenariats sont évidemment en cours de réflexion. Nous aimerions nous lier à des associations qui défendent la cause des femmes, à des associations d’art oratoire, à des associations liées à l’engagement des jeunes, et enfin, à des personnalités inspirantes qui incarnent le fait d’oser et de porter leur voix.

JSS : Quelles seront les conditions pour participer au concours et qu’y aura-t-il à la clef ?

L.D. : Ce concours d’éloquence sera accessible à toutes les femmes, de tous âges et sans condition de participation. Il aura lieu chaque année du mois de février au mois de mars, avec une finale qui se tiendra dans un lieu unique et prestigieux le 7 ou 8 mars, journée internationale pour les droits des femmes, date symbolique.

Dans chaque catégorie, sera désignée une grande gagnante qui remportera un prix et une somme d’argent qui sera communiquée en temps et en heure. Puis une autre candidate sera choisie par les votes du public, qui se verra alors remettre un prix du public.

JSS : Sur quels types de sujets les participantes devront-elles s’exprimer ?

L.D. : Les sujets seront divers, avec toutefois une volonté de mettre en avant des sujets en lien avec des femmes qui nous précèdent, je pense notamment à Simone Veil, Gisèle Halimi, et Jeanne Chauvin, première femme avocate à avoir plaidé. En outre, des sujets liés à des combats pour le droit des femmes ou encore à la société et l’engagement au sens large.

Il pourra également s’agir de sujets de société pour permettre aux femmes de s’inscrire dans l’évolution de la société pour les générations futures.

JSS : Savez-vous déjà où se déroulera la première finale en 2025 ? Et de qui sera composé le jury ?

L.D. : Nous savons d’ores et déjà où se déroulera la première finale en mars 2025, je laisse toutefois un peu de suspense ! C’est un lieu unique et prestigieux, lourd d’histoire, et dans lequel je pense peu de personnes sont déjà allées.


L. Denoyes (ici lors de la semaine Paris 1 Paris Sorbonne Entrepreneuriat) souhaite que son concours devienne « une véritable référence de l’engagement des femmes » © L.D. 

Quant au jury, il est en cours de constitution. Il s’agira essentiellement de femmes ayant un rôle central dans la société, éloquentes, entrepreneuses, avocates, et de personnalités publiques inspirantes.

JSS : Quelles seront les autres spécificités de ce concours ?

L.D. : Le concours proposera également une catégorie dite « binôme », ouverte aux femmes qui se sentiraient davantage à l’aise pour prendre la parole à deux. Cette catégorie pourrait donc concerner un binôme mère-fille, petite fille-grand-mère, ou encore entre deux amies.

J’aimerais que ce premier concours d’éloquence dédié aux femmes devienne une véritable référence de l’engagement des femmes, de la prise de paroles des femmes, de l’abandon des craintes, de l’affranchissement de ces barrières « invisibles ». Qu’il ait lieu chaque année à la même date, comme un rendez-vous pour nous rappeler que la lutte pour libérer la parole des femmes se poursuit. Qu’il devienne un grand évènement, chaleureux, nombreux, et rempli d’ambitions, et que toutes les femmes du public qui n’ont pas osé se lancer en sortent en disant « finalement, moi aussi je veux y participer l’année prochaine ». Ce serait l’une de nos plus belles victoires.

JSS : De quelles (autres) façons la voix des femmes peut-elle être portée aujourd’hui ? Quelles sont les initiatives dans ce sens qui devraient être davantage mises en avant selon vous ?

L.D. : Les initiatives visant à promouvoir la voix des femmes sont essentielles pour favoriser l’égalité des genres et l’inclusion.

Par exemple, je suis membre de deux associations qui s’engagent pour le droit des femmes, ONU Femmes France et La Fondation des femmes. Dans le cadre de ces deux associations, j’ai pu participer à diverses collectes de produits hygiéniques dans des Monoprix à Paris, destinés ensuite à être distribués à des femmes dans le besoin et leurs bébés. Cette forme d’engagement, que l’on pourrait qualifier « sur le terrain », est une initiative que je salue et qui témoigne d’une vraie solidarité.

D’autres initiatives mériteraient également d’être mises en avant, telles que le soutien à l’entrepreneuriat féminin afin de renforcer la voix des femmes dans le monde des affaires, ou encore le soutien au financement de projets créés par des femmes, la promotion de la visibilité des femmes dans les médias, la création de formations au leadership féminin, l’encouragement à la participation des femmes dans certains domaines tels que la politique, les sciences, la technologie ou l’entrepreneuriat. Mais cela doit également passer par l’éducation, dès le plus jeune âge, au fait d’oser et de ne pas s’auto-censurer.

Propos recueillis par Allison Vaslin

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