Lundi
1er janvier, c’est la première présidente de la cour d’appel de Poitiers qui a
pris la tête de la CNPP. Un organe assez peu connu, qui joue pourtant un rôle
primordial, puisqu’il est fréquemment consulté par le Parlement, comme cela a
été le cas fin janvier, lorsqu’il a été entendu sur la définition pénale du
viol. Par ailleurs, en 2024, la Conférence va notamment être chargée de la
déclinaison de la loi de programmation et d’orientation du ministère de la
Justice, nous révèle Gwenola Joly-Coz dans cet entretien.
JSS
: La Conférence nationale des premiers présidents fait assez peu parler d’elle.
Pouvez-vous nous expliquer quel est son rôle ?
Gwenola
Joly-Coz :
Historiquement, les 36 premiers présidents de cours d’appel ont voulu se réunir
de manière informelle, en se disant : il faut que l’on se rencontre, que l’on
discute ! Ils ont donc créé la Conférence nationale des premiers présidents, en
dehors de tout lien avec la Chancellerie ou la Cour de cassation. Dès que la
Conférence a été créée, elle a rapidement été reconnue par l’institution comme
étant un lieu de dialogue important, et a tout de suite été sollicitée. Elle
est devenue une interlocutrice privilégiée, que ce soit pour le pouvoir
législatif, les directeurs d’administration centrale ou encore le premier
président de la Cour de cassation.
Certes,
vous le disiez, la CNPP est relativement discrète, mais elle n’en est pas moins
très vivante, très active. Elle est à la fois un organe délibératif – nous
échangeons, nous réfléchissons à l’institution, nous prenons des motions ;
c’est un lieu où la pensée circule, où les premiers présidents essaient de
réfléchir ensemble aux grands enjeux pour la justice et les justiciables –, et
un organe consultatif. Aujourd’hui, la Conférence est ainsi consultée sur
quasiment tous les textes de loi.
Je
précise qu’il existe également la CNPG, c’est-à-dire la Conférence nationale
des procureurs généraux, car bien sûr, tout le travail d’animation des cours se
fait en dyarchie avec les procureurs généraux. Et à ce titre, je ne résiste pas
à l’envie de vous confier une drôle de coïncidence, puisqu’actuellement, le
procureur qui préside la CNPG n’est autre qu’Éric Corbaux, le procureur général
près la cour d’appel de Poitiers ! Je crois que c’est la première fois que les
deux chefs d’une même cour d’appel se retrouvent en même temps à la tête de
leur Conférence respective !
JSS
: Justement, comment êtes-vous arrivée à la tête de la CNPP ?
G.J.C.
: Cela s’est fait en réalité en
plusieurs phases. En tant que « jeune » première présidente (Gwenola
Joly-Coz a été installée dans ses fonctions de première présidente le 15
octobre 2020, ndlr), je suis entrée à la Conférence. La première étape a
été d'intégrer le bureau, composé de cinq personnes, par le biais de la
cooptation : ce sont les membres du bureau de l’époque qui sont venus à moi en
me demandant si cela pouvait m’intéresser.
Pendant
deux ans, j’ai appris, j’ai vu comment cela se passait. Et puis, quand le
bureau a commencé à réfléchir à qui pourrait se présenter à la présidence, j’ai
présenté ma candidature. J’ai finalement été élue par les 36 premiers
présidents, pour prendre, au 1er janvier, la suite d’Isabelle Gorce,
première présidente de Bordeaux. Cette dernière fait d’ailleurs aujourd’hui
partie du nouveau bureau, également composé de Tristan Gervais de Lafond
(Montpellier), Marc Jean-Talon (Nancy) et Marie-Christine Leprince (Rouen).
JSS
: Vous disiez que la Conférence était reconnue par l’institution comme étant un
lieu de dialogue important. A quels titres ? N’y a-t-il pas un risque de
déconnexion avec les problématiques rencontrées par les justiciables ?
G.J.C.
: Les premiers présidents, c’est la
haute hiérarchie judiciaire. Ce sont les 36 derniers magistrats choisis par le
Conseil supérieur de la magistrature pour diriger l’institution. On parle donc
ici d’une communauté de personnes qui ont une très grande connaissance de l’institution.
Car quand on arrive là, on est plutôt en fin de parcours professionnel, on a eu
de nombreuses responsabilités au sein de divers organes. C'est pour cette
raison qu’il s’agit d’une communauté riche de pensée, avec une grande
expérience.
Mais
attention, être hiérarques ne nous empêche pas d’être fortement ancrés sur les
territoires de toute la France – Agen, Caen, Amiens, Pau, etc. ; car il
n’y a pas que Paris, Bordeaux ou Marseille –, en lien avec la réalité, sur le
terrain. On ne reste pas avec nos fourrures sous les ors de la République. Et
surtout, il faut rappeler que les premiers président sont avant tout des juges.
On a beau être premiers présidents, on est toujours juges, on n’est pas
déconnectés de l'activité juridictionnelle des tribunaux.
JSS
: Comment se passe concrètement la consultation de la Conférence ? Sur quels
sujets a-t-elle été entendue depuis que vous en avez pris les rênes ?
G.J.C.
: Quand l’Assemblée nationale et le
Sénat ont un sujet de préoccupation, un texte de loi en préparation ou en
réflexion, ils proposent au préalable à la Conférence d’en discuter, pour que
nous leur disions quel est notre point de vue sur le sujet, quels problèmes
pourraient se poser judiciairement.
Concrètement,
je suis donc chargée de sonder les 36 premiers présidents, en leur indiquant
que je vais être entendue tel jour sur tel sujet : cela ouvre le dialogue. Bien
sûr, comme c’est un organe collectif, vous l’aurez compris, il s’agit de rendre
ensuite un avis qui représente la communauté des 36 présidents. Cela se fait
tout simplement lors d’un échange verbal en visio, lors duquel je délivre nos
différentes préconisations.
La CNPP, organe délibératif et consultatif, réunit régulièrement les 36 premiers présidents des cours d'appel © Pôle communication, CA de Paris
Pour
vous donner quelques exemples, en janvier, nous avons été consultés sur
l’ordonnance de protection immédiate, et la semaine d’après, nous avons été
entendus par l’Assemblée nationale sur la définition pénale du viol. Sans
savoir ce que l’Assemblée nationale fera finalement, je peux vous dire que
cette dernière s’interroge sur la notion de consentement, pour l’intégrer ou
non dans l’incrimination de viol.
Nous les praticiens, qui connaissons la « vraie »
vie des cours d’assises, des qualifications de viols, on leur a donc indiqué ce
que l’on pensait du consentement dans la définition de l’infraction pénale de
viol.
JSS
: La CNPP va notamment être chargée de la déclinaison de la loi de
programmation et d’orientation pour le ministère de la Justice…
G.J.C.
: Au moment où je prends la tête de
la Conférence, l’année 2024 s’ouvre sous le signe de l’enthousiasme pour
l’institution judiciaire, car elle dispose de moyens inédits, formidables,
négociés par le ministre de la Justice. Sur ce point, la loi de programmation
et d’orientation du 20 novembre 2023 est une occasion historique, il faut en
être conscients. Ça fait 30 ans que je suis magistrate, on n’a jamais eu autant
de moyens. Le ministère a également annoncé que c’était en effet avec la
Conférence que ces moyens allaient être déclinés.
L’exemple
le plus emblématique est celui des effectifs. Plus de 1 500 recrutements
de magistrats ont été annoncés. La question à laquelle doit répondre la
Conférence est donc la suivante : comment fait-on pour répartir ces magistrats
sur le territoire. En clair, on se demande si je pense qu’il faut plutôt mettre
un juge d’instruction à La Rochelle ou un juge d’application des peines à Dunkerque.
Ce travail, c’est donc entre le ministère et les premiers présidents qu’il est
fait.
La
justice va aussi être dotée d’un budget comme elle n’en a jamais eu. Cela va
nous amener à réfléchir à notre organisation. Par exemple, à l’augmentation de
notre capacité numérique, à la modernisation de l’institution : comment
faire pour que les citoyens aient un meilleur accès à la justice, qu’ils
puissent suivre leur affaire numériquement plus facilement, etc. Là aussi, la
Conférence va donc être à la manœuvre pour pointer les priorités ; par exemple,
en matière d’affaires familiales, comment faire pour que les justiciables aient
accès rapidement à des informations fiables.
JSS
: Ce budget largement augmenté ne peut-il pas entraîner des jalousies quant à
son affectation ?
G.J.C.
: C’est justement parce qu’on est en
communauté et parce que nous ne sommes que 36 que l’on peut réfléchir ensemble
et choisir la manière la plus équilibrée de distribuer ce budget. Pour que tous
les ressorts puissent en profiter de façon équitable, sur la base de critères
mis en place ensemble, et pour que dans chaque territoire, tout soit fait au mieux.
JSS
: Lors de ses vœux à la Justice, Éric Dupond-Moretti a annoncé que la priorité
serait à la réduction des délais. Comment cela peut-il être mis en place
?
G.J.C.
: Le garde des Sceaux a fixé des
objectifs. Certes, beaucoup de moyens ont été accordés, maintenant, l’un des
défis est de réduire les délais, car les citoyens l’ont dit : la justice est
trop lente. Nous les premiers présidents, avec les moyens humains et budgétaires
qui nous ont été alloués, et avec les présidents des tribunaux, nous allons
particulièrement veiller à organiser les équipes autour des magistrats,
renforcées par les nouveaux juristes assistants, de sorte que ces équipes
s’organisent au mieux pour réduire les délais. Aujourd’hui, nous sommes à un
tournant, et les premiers présidents veulent répondre présents.
JSS
: Quelles autres réformes allez-vous porter ?
G.J.C.
: Il y a une autre réforme importante
qui est la réforme statutaire, avec la loi organique du 20 novembre 2023 relative à
l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire. Le
garde des Sceaux voulait que les plus hauts responsables de l'institution, donc
les premiers présidents, soient évalués en fonction de leur compétence à
conduire le changement. Dans la loi, désormais, on va donc demander aux
premiers présidents d’être les managers de l’institution, ceux qui sont capables
d’emmener l’institution vers demain.
JSS
: On a la promesse de futurs progrès, mais il ne faut pas oublier qu’il y a eu des
chantiers entrepris ces dernières années. Est-ce que vous constatez déjà des
changements ?
Bien
sûr, je trouve que ça bouge, il se passe des choses ! Les recrutements qui ont
eu lieu ces dernières années étaient déjà importants : on a déjà réussi à
baisser les stocks d’affaires, c’était l’objectif il y a deux ans. Rien que
dans mon ressort, les stocks ont considérablement diminué. Donc la conduite du
changement est en cours, et je vous l’assure, l'institution judiciaire est
complètement mobilisée, notamment à travers le rôle d’impulsion des premiers
présidents et des premières présidentes.
Propos
recueillis par Bérengère Margaritelli