DROIT

INTERVIEW. Yolaine Bancarel, nouvelle bâtonnière du Val-de-Marne : « Les avocats prennent de plein fouet les difficultés des juridictions »

INTERVIEW. Yolaine Bancarel, nouvelle bâtonnière du Val-de-Marne : « Les avocats prennent de plein fouet les difficultés des juridictions »
Yolaine Bancarel souhaite que ses confrères "aient un interlocuteur en leur bâtonnier"
Publié le 26/02/2024 à 10:08

Arrivée à la tête du barreau du 94 en janvier dernier, l’avocate tient à rappeler que la profession fait « l’interface entre la juridiction et le justiciable ». Par ailleurs, elle souhaite, au titre de son mandat, améliorer la communication avec ses confrères, mais aussi renouer le lien avec les acteurs économiques et associatifs du département.

JSS : Quel a été votre parcours avant le bâtonnat ?

Yolaine Bancarel : J’ai prêté serment le 10 mars 1993. Dans un premier temps, j’ai été collaboratrice et inscrite au barreau de Paris, car je n’ai pas trouvé tout de suite de collaboration dans le Val-de-Marne, ce qui était mon souhait initial. Je suis restée à Paris environ 10 mois, tout en continuant à poursuivre mes recherches pour intégrer le barreau du Val-de-Marne.

Je suis ensuite restée en collaboration pendant environ 7 ans, puis je me suis installée tout en effectuant également des vacations pour des confrères. J’ai commencé à voler de mes propres ailes après 10 ans de barre.

J’ai été membre du Conseil de l’Ordre pendant 6 années consécutives, durant lesquelles j’ai eu la charge de la Commission Mineurs. Je me suis mise ensuite en retrait de l’activité ordinale, dans la mesure où l’on ne peut pas faire plus de deux mandats à la suite. Je n’y suis revenue que le 1er janvier 2023 en me présentant à nouveau au suffrage de mes confrères, ce qui était, pour moi, une étape obligatoire avant même de me présenter au bâtonnat.

JSS : Pour quelles raisons avez-vous brigué le bâtonnat du Val-de-Marne ?

Y. B. : Je suis passionnée par ma profession, j’aime profondément mon métier. J’ai 30 ans d’exercice professionnel. Mais depuis quelques années, je ne me reconnaissais plus dans mon barreau. Ce n’est pas comme cela que j’envisageais ma profession. J’ai le sentiment que les liens se sont distendus, d’une part entre nous, mais également avec les magistrats. Je ne ressentais plus ce dynamisme et cet engouement que l’on doit avoir pour notre profession.

Je me suis demandé si je pouvais être utile, et si j’avais la volonté et la force d’essayer de changer les choses. Mais on ne réforme pas les choses en deux ans, c’est excessivement court, il y a tellement à faire. Si je peux amener ma petite pierre à l’édifice ce sera déjà beaucoup.

La mission que mes confrères m’ont confiée me passionne. J’espère être à la hauteur de leurs attentes et de leurs espérances. Dire que je suis heureuse d’être bâtonnier est un euphémisme. La moindre des choses, en retour, est que mon engagement pour mes confrères soit total.

JSS : Vous préférez utiliser le mot « bâtonnier » pour désigner votre fonction, plutôt que « bâtonnière ». Pourquoi ce choix ?

Y. B. : Je pense que c’est la fonction qui prime. « Madame le bâtonnier » donne le côté féminin, et il n’y a pas besoin de rajouter un « e ». Je trouve également que le mot « bâtonnière » est très difficile à entendre, et pour moi il était difficile à porter. Je ne me sens pas moins femme lorsque l’on m’appelle « Madame le bâtonnier » bien au contraire.

Mais chaque bâtonnier ou bâtonnière le vit différemment. Que l’on ait envie d’être appelée « Madame la bâtonnière », je le comprends, chacune a sa sensibilité.

JSS : Quelles sont vos priorités pour ce mandat ?

Y. B. : Il y en a plusieurs, à commencer par l’apaisement de mon barreau. Depuis la crise sanitaire, les choses ont été difficiles. Je pense qu’il est nécessaire que l’on puisse se retrouver, communiquer, faire des choses ensemble, avoir envie de les faire, et que le barreau aille de l’avant.

Nous devons renouer les liens avec la magistrature. On a la chance d’avoir l’écoute de nos chefs de juridiction, c’est important, c’est ce qui va nous permettre d’œuvrer dans l’intérêt de tous et notamment des justiciables.

Nous avons également des actions à mener avec la faculté, vivier des avocats de demain. Il nous faudra organiser des événements comme la Nuit du Droit, les concours d’éloquence, et des formations.

Puis vient la solidarité. Le barreau du Val-de-Marne est un barreau excessivement solidaire, tourné vers les autres. Je porte un projet avec des éléments dédiés à cette solidarité, sur les collectes de denrées alimentaires, de vêtements ou de fournitures scolaires. Notre serment le dit : nous jurons, entre autres, d’exercer notre profession avec humanité.

Nous nous sommes éloignés des acteurs économiques et associatifs du département. Je souhaite réellement que les sociétés et associations du Val-de-Marne puissent à nouveau regarder vers notre barreau. Pour cela, il faudra organiser des manifestations à leur intention. Je reste en lien avec le tribunal de commerce et souhaite me tourner vers la Chambre de commerce et d’industrie.

Cela suppose aussi de renouer le lien avec les deux Conseils des prud’hommes de notre département qui, comme le tribunal de commerce, ne sont pas dans l’enceinte du tribunal judiciaire (où se trouve le siège du barreau, ndlr). Il faudra être à leur écoute pour mettre en place des évènements qui puissent répondre à leurs préoccupations.

Je souhaite aussi venir en aide à mes confrères, et notamment à ceux qui peuvent se retrouver en difficulté. C’est quelque chose qui me préoccupe et cela sera l’une des priorités de mon mandat. Je souhaite faire en sorte que mes confrères aient un interlocuteur en leur bâtonnier. Ils m’ont fait confiance pour que j’occupe cette fonction, qu’ils me fassent confiance en cas de problème et qu’ils ne restent pas isolés dans leur cabinet. Ils savent que ma porte leur est toujours ouverte.

Il y a déjà des commissions dédiées, mais il faut que l’on retravaille dessus. J’ai des idées que je soumettrai au Conseil de l’Ordre, car un bâtonnier sans son Conseil de l’Ordre ne fait rien. Il y a de vrais débats sur la manière dont les choses doivent se mettre en place. Nous avons un Conseil de l’Ordre dynamique, avec des confrères qui ont très envie de s’investir. Je sais pouvoir compter sur eux et c’est excessivement précieux.

Et évidemment, l’enjeu de 2024 est celui des Jeux olympiques. Le barreau va devoir se positionner par rapport à cet enjeu, réfléchir à ce qu’il peut mettre en place et comment il va travailler avec la juridiction, car il y a aussi un enjeu de gestion des flux. Le barreau devra être présent et réactif.

JSS : Les cours criminelles départementales (CCD) ont été généralisées début 2023. Le barreau avait dénoncé la « vanité » d’une telle réforme. Avez-vous eu des premiers retours sur cette généralisation dans le Val-de-Marne ?

Y. B. : Je sais qu’un certain nombre de confrères ont déjà connu ces cours. En ce qui me concerne, c’est très récent.

C’est une question assez difficile. Je fais partie de ceux qui étaient contre les cours criminelles départementales. Je considère qu’un crime, quel qu’il soit, doit être évoqué devant un jury populaire et dès lors devant une cour d’assises. La cour d’assises a toujours été et restera, pour moi, la reine des juridictions. Pour un avocat, plaider devant une cour d’assises revêt des enjeux extrêmement importants, il faut se surpasser. Le format des cours criminelles n’est de mon point de vue pas adapté.

Je ne suis même pas certaine que l’enjeu économique qui pouvait postuler à leur création ait été satisfait. Si l’on en croit les rapports qui ont été établis, les résultats ne sont peut-être pas aussi probants qu’attendus, mais nous n’avons pas encore assez de recul. Il faut attendre et voir comment cela va évoluer.

Comme certains, j’avais beaucoup espéré du recours formé devant le Conseil constitutionnel, il s’est prononcé en validant les cours criminelles départementales, j’en prends acte.

JSS : De nouveaux modes amiables ont été introduits devant le tribunal judiciaire en novembre dernier. Quel est votre avis sur la politique de développement de la justice actuellement ?

Y. B. : Si le barreau ne m’avait pas accordé sa confiance, j’aurais poursuivi ma formation de médiateur. Je crois que cela répond à votre question !

Je possède le DU1 de médiateur et j’étais prête à faire le DU2, j’aurais ainsi poursuivi ma formation, mais ce n’est que partie remise. En revanche, je souhaite promouvoir les modes alternatifs de règlement des différends, auxquels je crois profondément.

JSS : Le barreau a signé en juillet dernier une tribune de la Conférence des bâtonniers et du barreau de Paris pointant « des délais en permanente augmentation pour obtenir une réponse judiciaire ». Est-ce toujours le cas sur le territoire du barreau ?

Y. B. : C’est bien sûr toujours le cas. Il y a beaucoup de moyens mis en œuvre, mais ils ne sont pas suffisants et cela impacte tout le monde : les greffes, les magistrats et, par voie de conséquence, les avocats. On nous a demandé, depuis de nombreuses années, avec la mise en œuvre du réseau privé virtuel des avocats, d’effectuer un travail qui originellement était dévolu aux greffes.

Il faut soulager la justice en lui donnant des moyens. Je sais que le garde des Sceaux s’en préoccupe. À partir du moment on l’on aura plus de greffiers et de magistrats, on travaillera plus facilement.

Il ne faut pas oublier que nous sommes l’interface entre la juridiction et le justiciable. Nous prenons de plein fouet les difficultés des juridictions et nous devons répondre aux justiciables mécontents de la lenteur de la justice qu’ils ne comprennent pas et parfois nous tiennent pour responsables.

Pour nous, cela devient intenable. Aussi compétents, diligents et engagés que nous pouvons l’être, il y a un moment ou la charge devient trop lourde.

JSS : Le Conseil de l’Ordre du barreau du Val-de-Marne a voté en juin dernier une motion relative à la loi de programmation du ministère de la justice pour 2023 à 2027. Il regrettait notamment le manque de concertation avec la profession dans le cadre de la conception du texte. Les relations entre le barreau et le ministère de la Justice ont-ils évolué depuis ?

Y. B. : Le barreau du Val-de-Marne, par sa taille, n’est pas l’interlocuteur privilégié de la Chancellerie ou des politiques. Mais nous avons des instances représentatives qui portent la parole des avocats, comme la Conférence des bâtonniers ou les barreaux d’Île-de-France au niveau régional. Et il y a surtout le Conseil national des barreaux.

Beaucoup de confrères méconnaissent le fonctionnement de nos instances représentatives. C’est un peu dommage car je me rends compte un peu plus chaque jour à quel point les uns et les autres travaillent de manière à faire que l’on soit entendus. Chaque fois que les instances représentatives nous interrogent, nous devons répondre présents, de manière que notre voix soit effectivement portée.

JSS : Quelles autres actualités de l’année 2023 ayant impacté la profession retenez-vous également ?

Y. B. : Nous accusons beaucoup de réformes, notamment en ce qui concerne la procédure pénale et la procédure civile. La législation est en perpétuel mouvement, ce qui rend parfois l’outil difficile à gérer. Un peu de constance serait utile, je crois.

Le développement de l’intelligence artificielle et ce que l’on peut en faire m’inquiète. Je trouve cela dangereux qu’une personne puisse avoir recours à l’intelligence artificielle pour régler des difficultés qui sont du ressort du conseil de l’avocat, même s’il y avait déjà les différents moteurs de recherche qui étaient utilisés pour apporter des réponses « clés en main », avec certaines intuitives et parfois pertinentes – encore faut-il savoir comment chercher –, et d’autres absolument pas et qui induisent le justiciable en erreur.

Il est nécessaire que le justiciable s’adresse au professionnel du droit qu’est l’avocat, ce d’autant que nous sommes très présents auprès du public, notamment grâce aux consultations juridiques gratuites dispensées dans nombre de mairies et d’établissements sur le département, l’interlocuteur naturel est et doit rester l’avocat.

La réforme du statut de l’élève avocat est également une réforme qui est nécessaire et urgente. Ce sera un enjeu pour l’avenir, et il nous faut mener à bien cette réflexion pour nos futurs jeunes confrères.

Propos recueillis par Alexis Duvauchelle

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