Arrivée à la tête du barreau
du 94 en janvier dernier, l’avocate tient à rappeler que la profession fait « l’interface
entre la juridiction et le justiciable ». Par ailleurs, elle souhaite,
au titre de son mandat, améliorer la communication avec ses confrères, mais
aussi renouer le lien avec les acteurs économiques et associatifs du
département.
JSS : Quel a été votre
parcours avant le bâtonnat ?
Yolaine Bancarel : J’ai
prêté serment le 10 mars 1993. Dans un premier temps, j’ai été collaboratrice
et inscrite au barreau de Paris, car je n’ai pas trouvé tout de suite de
collaboration dans le Val-de-Marne, ce qui était mon souhait initial. Je suis
restée à Paris environ 10 mois, tout en continuant à poursuivre mes recherches
pour intégrer le barreau du Val-de-Marne.
Je suis ensuite restée en
collaboration pendant environ 7 ans, puis je me suis installée tout en effectuant
également des vacations pour des confrères. J’ai commencé à voler de mes
propres ailes après 10 ans de barre.
J’ai été membre du Conseil de
l’Ordre pendant 6 années consécutives, durant lesquelles j’ai eu la charge de
la Commission Mineurs. Je me suis mise ensuite en retrait de l’activité
ordinale, dans la mesure où l’on ne peut pas faire plus de deux mandats à la
suite. Je n’y suis revenue que le 1er janvier 2023 en me présentant
à nouveau au suffrage de mes confrères, ce qui était, pour moi, une étape
obligatoire avant même de me présenter au bâtonnat.
JSS : Pour quelles
raisons avez-vous brigué le bâtonnat du Val-de-Marne ?
Y. B. : Je
suis passionnée par ma profession, j’aime profondément mon métier. J’ai 30 ans
d’exercice professionnel. Mais depuis quelques années, je ne me reconnaissais
plus dans mon barreau. Ce n’est pas comme cela que j’envisageais ma profession.
J’ai le sentiment que les liens se sont distendus, d’une part entre nous, mais
également avec les magistrats. Je ne ressentais plus ce dynamisme et cet
engouement que l’on doit avoir pour notre profession.
Je me suis demandé si je
pouvais être utile, et si j’avais la volonté et la force d’essayer de changer
les choses. Mais on ne réforme pas les choses en deux ans, c’est excessivement
court, il y a tellement à faire. Si je peux amener ma petite pierre à l’édifice
ce sera déjà beaucoup.
La mission que mes confrères m’ont
confiée me passionne. J’espère être à la hauteur de leurs attentes et de leurs
espérances. Dire que je suis heureuse d’être bâtonnier est un euphémisme. La
moindre des choses, en retour, est que mon engagement pour mes confrères soit
total.
JSS : Vous préférez
utiliser le mot « bâtonnier » pour désigner votre fonction, plutôt
que « bâtonnière ». Pourquoi ce choix ?
Y. B. : Je
pense que c’est la fonction qui prime. « Madame le bâtonnier » donne
le côté féminin, et il n’y a pas besoin de rajouter un « e ». Je
trouve également que le mot « bâtonnière » est très difficile à
entendre, et pour moi il était difficile à porter. Je ne me sens pas moins
femme lorsque l’on m’appelle « Madame le bâtonnier » bien au
contraire.
Mais chaque bâtonnier ou
bâtonnière le vit différemment. Que l’on ait envie d’être appelée « Madame
la bâtonnière », je le comprends, chacune a sa sensibilité.
JSS : Quelles sont vos
priorités pour ce mandat ?
Y. B. : Il y
en a plusieurs, à commencer par l’apaisement de mon barreau. Depuis la crise
sanitaire, les choses ont été difficiles. Je pense qu’il est nécessaire que
l’on puisse se retrouver, communiquer, faire des choses ensemble, avoir envie
de les faire, et que le barreau aille de l’avant.
Nous devons renouer les liens
avec la magistrature. On a la chance d’avoir l’écoute de nos chefs de juridiction,
c’est important, c’est ce qui va nous permettre d’œuvrer dans l’intérêt de tous
et notamment des justiciables.
Nous avons également des
actions à mener avec la faculté, vivier des avocats de demain. Il nous faudra organiser
des événements comme la Nuit du Droit, les concours d’éloquence, et des
formations.
Puis vient la solidarité. Le
barreau du Val-de-Marne est un barreau excessivement solidaire, tourné vers les
autres. Je porte un projet avec des éléments dédiés à cette solidarité, sur les
collectes de denrées alimentaires, de vêtements ou de fournitures scolaires. Notre
serment le dit : nous jurons, entre autres, d’exercer notre profession
avec humanité.
Nous nous sommes éloignés des
acteurs économiques et associatifs du département. Je souhaite réellement que
les sociétés et associations du Val-de-Marne puissent à nouveau regarder vers
notre barreau. Pour cela, il faudra organiser des manifestations à leur
intention. Je reste en lien avec le tribunal de commerce et souhaite me tourner
vers la Chambre de commerce et d’industrie.
Cela suppose aussi de renouer
le lien avec les deux Conseils des prud’hommes de notre département qui, comme
le tribunal de commerce, ne sont pas dans l’enceinte du tribunal judiciaire (où
se trouve le siège du barreau, ndlr). Il faudra être à leur écoute pour
mettre en place des évènements qui puissent répondre à leurs préoccupations.
Je souhaite aussi venir en
aide à mes confrères, et notamment à ceux qui peuvent se retrouver en
difficulté. C’est quelque chose qui me préoccupe et cela sera l’une des
priorités de mon mandat. Je souhaite faire en sorte que mes confrères aient un
interlocuteur en leur bâtonnier. Ils m’ont fait confiance pour que j’occupe cette
fonction, qu’ils me fassent confiance en cas de problème et qu’ils ne restent
pas isolés dans leur cabinet. Ils savent que ma porte leur est toujours
ouverte.
Il y a déjà des commissions
dédiées, mais il faut que l’on retravaille dessus. J’ai des idées que je
soumettrai au Conseil de l’Ordre, car un bâtonnier sans son Conseil de l’Ordre
ne fait rien. Il y a de vrais débats sur la manière dont les choses doivent se
mettre en place. Nous avons un Conseil de l’Ordre dynamique, avec des confrères
qui ont très envie de s’investir. Je sais pouvoir compter sur eux et c’est
excessivement précieux.
Et évidemment, l’enjeu de
2024 est celui des Jeux olympiques. Le barreau va devoir se positionner par
rapport à cet enjeu, réfléchir à ce qu’il peut mettre en place et comment il va
travailler avec la juridiction, car il y a aussi un enjeu de gestion des flux.
Le barreau devra être présent et réactif.
JSS : Les cours
criminelles départementales (CCD) ont été généralisées début 2023. Le barreau
avait dénoncé la « vanité » d’une telle réforme. Avez-vous eu
des premiers retours sur cette généralisation dans le Val-de-Marne ?
Y. B. : Je
sais qu’un certain nombre de confrères ont déjà connu ces cours. En ce qui me
concerne, c’est très récent.
C’est une question assez
difficile. Je fais partie de ceux qui étaient contre les cours criminelles départementales.
Je considère qu’un crime, quel qu’il soit, doit être évoqué devant un jury
populaire et dès lors devant une cour d’assises. La cour d’assises a toujours
été et restera, pour moi, la reine des juridictions. Pour un avocat, plaider
devant une cour d’assises revêt des enjeux extrêmement importants, il faut se
surpasser. Le format des cours criminelles n’est de mon point de vue pas adapté.
Je ne suis même pas certaine
que l’enjeu économique qui pouvait postuler à leur création ait été satisfait. Si
l’on en croit les rapports qui ont été établis, les résultats ne sont peut-être
pas aussi probants qu’attendus, mais nous n’avons pas encore assez de recul. Il
faut attendre et voir comment cela va évoluer.
Comme certains, j’avais
beaucoup espéré du recours formé devant le Conseil constitutionnel, il s’est
prononcé en validant les cours criminelles départementales, j’en prends acte.
JSS : De nouveaux modes
amiables ont été introduits devant le tribunal judiciaire en novembre dernier.
Quel est votre avis sur la politique de développement de la justice
actuellement ?
Y. B. : Si
le barreau ne m’avait pas accordé sa confiance, j’aurais poursuivi ma formation
de médiateur. Je crois que cela répond à votre question !
Je possède le DU1 de
médiateur et j’étais prête à faire le DU2, j’aurais ainsi poursuivi ma
formation, mais ce n’est que partie remise. En revanche, je souhaite promouvoir
les modes alternatifs de règlement des différends, auxquels je crois
profondément.
JSS : Le barreau a signé
en juillet dernier une tribune de la Conférence des bâtonniers et du barreau de
Paris pointant « des délais en permanente augmentation pour obtenir une
réponse judiciaire ». Est-ce toujours le cas sur le territoire du
barreau ?
Y. B. : C’est
bien sûr toujours le cas. Il y a beaucoup de moyens mis en œuvre, mais ils ne
sont pas suffisants et cela impacte tout le monde : les greffes, les
magistrats et, par voie de conséquence, les avocats. On nous a demandé, depuis
de nombreuses années, avec la mise en œuvre du réseau privé virtuel des
avocats, d’effectuer un travail qui originellement était dévolu aux greffes.
Il faut soulager la justice
en lui donnant des moyens. Je sais que le garde des Sceaux s’en préoccupe. À
partir du moment on l’on aura plus de greffiers et de magistrats, on travaillera
plus facilement.
Il ne faut pas oublier que
nous sommes l’interface entre la juridiction et le justiciable. Nous prenons de
plein fouet les difficultés des juridictions et nous devons répondre aux
justiciables mécontents de la lenteur de la justice qu’ils ne comprennent pas
et parfois nous tiennent pour responsables.
Pour nous, cela devient
intenable. Aussi compétents, diligents et engagés que nous pouvons l’être, il y
a un moment ou la charge devient trop lourde.
JSS : Le Conseil de
l’Ordre du barreau du Val-de-Marne a voté en juin dernier une motion relative à
la loi de programmation du ministère de la justice pour 2023 à 2027. Il
regrettait notamment le manque de concertation avec la profession dans le cadre
de la conception du texte. Les relations entre le barreau et le ministère de la
Justice ont-ils évolué depuis ?
Y. B. : Le
barreau du Val-de-Marne, par sa taille, n’est pas l’interlocuteur privilégié de
la Chancellerie ou des politiques. Mais nous avons des instances
représentatives qui portent la parole des avocats, comme la Conférence des
bâtonniers ou les barreaux d’Île-de-France au niveau régional. Et il y a
surtout le Conseil national des barreaux.
Beaucoup de confrères
méconnaissent le fonctionnement de nos instances représentatives. C’est un peu
dommage car je me rends compte un peu plus chaque jour à quel point les uns et
les autres travaillent de manière à faire que l’on soit entendus. Chaque fois
que les instances représentatives nous interrogent, nous devons répondre
présents, de manière que notre voix soit effectivement portée.
JSS : Quelles autres
actualités de l’année 2023 ayant impacté la profession retenez-vous
également ?
Y. B. : Nous
accusons beaucoup de réformes, notamment en ce qui concerne la procédure pénale
et la procédure civile. La législation est en perpétuel mouvement, ce qui rend
parfois l’outil difficile à gérer. Un peu de constance serait utile, je crois.
Le développement de l’intelligence
artificielle et ce que l’on peut en faire m’inquiète. Je trouve cela dangereux
qu’une personne puisse avoir recours à l’intelligence artificielle pour régler
des difficultés qui sont du ressort du conseil de l’avocat, même s’il y avait
déjà les différents moteurs de recherche qui étaient utilisés pour apporter des
réponses « clés en main », avec certaines intuitives et parfois
pertinentes – encore faut-il savoir comment chercher –, et d’autres absolument
pas et qui induisent le justiciable en erreur.
Il est nécessaire que le
justiciable s’adresse au professionnel du droit qu’est l’avocat, ce d’autant
que nous sommes très présents auprès du public, notamment grâce aux consultations
juridiques gratuites dispensées dans nombre de mairies et d’établissements sur
le département, l’interlocuteur naturel est et doit rester l’avocat.
La réforme du statut de
l’élève avocat est également une réforme qui est nécessaire et urgente. Ce sera
un enjeu pour l’avenir, et il nous faut mener à bien cette réflexion pour nos
futurs jeunes confrères.
Propos
recueillis par Alexis Duvauchelle