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L’IA, « game changer » pour la gestion des contrats : l’exemple de Della dans Legisway

L’IA, « game changer » pour la gestion des contrats : l’exemple de Della dans Legisway
Publié le 20/10/2023 à 14:31

Lors d’une conférence, le groupe Wolters Kluwer a souligné que les algorithmes étaient désormais incontournables au sein des directions juridiques, et a présenté des cas pratiques d’utilisation de la technologie Della avec son outil Legisway, combinaison destinée à analyser des documents juridiques de façon pointue et massive. Édifiant.

« L’intelligence artificielle, c’est un game changer pour la gestion des contrats », assure Nicolas Sarraquigne, directeur commercial chez Wolters Kluwer Legal Software, lors d’une conférence sur le sujet organisée par le groupe de solutions logicielles, le 4 juillet.

Après une série d’évolutions numériques – stockage des contrats sur une base de données, mise en place de moteurs de recherche, développement d’outils de mesure pour extraire de la donnée, arrivée des smart contracts –, « les algorithmes ont débarqué à une vitesse extrêmement rapide », souligne François Guillebaud, ancien avocat au barreau de Paris, spécialiste en IT et nouvelles technologies, sales & marketing manager.

À tel point que s’il « y a deux-trois ans, on disait que les smart contracts étaient l’avenir du droit, se remémore-t-il, aujourd’hui, l’avenir du droit, c’est l’IA, et avec un besoin que l’on retrouve chez les professionnels du droit : avoir le temps de s’approprier ces technologies ; comprendre ce qu’il y a dans ce marché et identifier ses besoins ».

François Guillebaud précise cependant que toutes les directions juridiques des entreprises « ne sont pas au même niveau » en matière de besoins. Certaines ont ainsi déjà un outil pour centraliser leurs contrats mais souhaitent un outil pour générer des rapports, recevoir des alertes. En parallèle, d’autres acteurs veulent tout simplement avoir tous leurs contrats sur la même base de données. « Donc tout le monde n’a pas avancé à la même vitesse », estime le spécialiste.

Il ajoute que l’étude Future Ready Lawyers (Wolters Kluwer), qui s’interroge sur la façon dont l’IA est appréhendée par les directions juridiques, révèle par exemple que 70 % d’entre elles estiment que tout ce qui touche au machine learning est un sujet impactant et dont il faut obligatoirement se saisir pour être performant.

« Mais on note un décalage, indique-t-il, car seuls 28 % des acteurs interrogés comprennent bien ces sujets-là, c’est-à-dire qu’ils sont capables d’expliquer leurs besoins, de connaître les différents types d’IA qui existent. Donc on se trouve aujourd’hui dans une situation où quasiment toutes les directions juridiques sont convaincues qu’il faut une IA mais avec un delta où très peu savent exactement quel type de programme il leur faut. Il est donc important qu’elles soient accompagnées sur cet aspect. »

Della AI, un moteur « comme un mini ChatGPT » pour analyser les documents juridiques

« En 2015, se remémore pour sa part Nicolas Sarraquigne, j’avais assisté à une présentation lors de laquelle un collègue montrait comment on pouvait automatiser la lecture des factures : je m’étais dit “tiens, si on pouvait faire ça pour les contrats un jour !” Notre R&D avait répondu : “oublie, ce n’est pas pareil, il y a une subtilité dans les contrats qu’il n’y a pas dans les factures”. J’étais parti déçu (...) et finalement, en 2022, nous avons acquis la technologie Della », témoigne-t-il.

En effet, début 2023, le groupe a racheté ce fournisseur d’IA de pointe à destination des services juridiques, dont le système a été intégré à sa solution Legisway. « C’est un peu un mini ChatGPT », explique Nicolas Sarraquigne, puisque cette technologie repose elle aussi sur le traitement automatique du langage naturel. « À la différence qu’il s’agit d’un jeu de questions/réponses très ciblé, entraîné sur jeux de données très particuliers orientés métiers, puis sur de grandes masses d’informations documentaires avec des due diligences, des cabinets d’avocats ; donc sur des données qualitatives, quand les modèles de langage tels que ChatGPT sont conçus sur la base d’informations pas forcément qualifiées, dont la qualité n’a pas été vérifiée auparavant », avance pour sa part Grégoire Miot, expert Wolters Kluwer Legal Software et président de l'ELTA (European Legal Technology Association).

Le moteur, qui examine et analyse les documents juridiques, utilise des réseaux de neurones afin d’identifier les parties pertinentes des contrats en réponse aux requêtes qui lui sont soumises, et « apprend » par le biais des corrections qui lui sont remontées par les utilisateurs ainsi que par le nombre de contrats qu’elle doit analyser au fil du temps. « Cela fait maintenant 4-5 ans qu’il analyse des contrats, il commence donc à être très performant », commente Nicolas Sarraquigne.

Zoom sur l’extraction des points d’analyse

Comment cela fonctionne-t-il en pratique ? Nicolas Sarraquigne nous montre, lors de cette conférence, de quelle façon utiliser ce moteur d’IA dans l’outil Legisway de Wolters Kluwer.

Concernant l’analyse du contrat, deux façons de faire. Soit l’on saisit manuellement de façon facilitée un certain nombre d’informations dans les champs, même si un certain nombre d’éléments sont automatiquement calculés (dates de fin, de renouvellement…). Soit on donne une grille d’analyse à son ou ses contrat(s) pour déterminer une « checklist », c’est-à-dire l’ensemble des points d’analyse qu’on va demander à la technologie de suivre et d’extraire, à partir de questions/réponses – tout en sachant que « la façon de poser des questions a une incidence », spécifie le directeur commercial.

En fonction des réponses données – qui peuvent être corrigées par l’utilisateur et faire progresser l’IA ensuite –, on extrait ainsi des points d’analyse, soit par exemple pour une question de suivi des engagements que l’on a (ai-je une clause de responsabilité ? ai-je un plafond ?), ou tout simplement pour extraire des données simples : date de signature, date d’entrée en vigueur, date de contrat, qui vont ensuite alimenter le logiciel.

Dans l’exemple qui nous est projeté, il est intéressant de noter que le moteur a distingué, dans le contrat, la date de signature de la date d’entrée en vigueur. « Il y a bien deux dates dans le document mais, par la sémantique et par les mots qu’il y a autour de chacune des dates, il comprend que dans un cas on parle de signature, dans l’autre d’entrée en vigueur, explique Nicolas Sarraquigne. Généralement, la signature fait entrer en vigueur. Mais dans ce cas précis, l’entrée en vigueur est un mois plus tôt : il a donc su interpréter le mot “rétroactivement”, qu’il a associé tout seul à l’entrée en vigueur. »

Autre élément qui retient notre attention : sur la reconduction, automatiquement, le moteur calcule qu’il doit nous envoyer une alerte dans quatre ans moins trois mois, c’est-à-dire la durée initiale de trois ans + celle d’un an indiquée dans le contrat, moins le préavis de trois mois qui a également été extrait.

On remarque que le moteur identifie aussi des données plus subtiles, par exemple un passage sur la responsabilité, un autre sur la confidentialité, ou encore sur la juridiction compétente. Ce qui peut être utile à plus d’un titre : « dans votre contrathèque”, vous pouvez ainsi avoir tous les contrats regroupés par juridiction compétente, par exemple », illustre Nicolas Sarraquigne. On observe également que le moteur a extrait la loi applicable, mais aussi les entités, leurs numéros de SIRET, etc., « ce qui alimente les annuaires – c’est toujours du temps de gagné ».

Un prémâchage qui n’exclut pas le contrôle humain

Toutes ces informations-là constituent donc la checklist. « C’est ce qui sert ensuite à analyser, à extraire, pour avoir une fiche contrat de métadonnées afin de rechercher, d’analyser, de faire des reports. »

Par exemple, si le travail de checklist a été bien effectué, on peut avoir de l’extraction d'exclusivités, de règlement des différends, de résiliation, de résolution… sur lesquelles on va pouvoir, en tant qu’utilisateur, apporter, derrière, son analyse – finalité de l’outil. Par conséquent, si un de ces éléments semble requérir une vigilance particulière, il est possible de le « tagger » comme étant « à risque ».

« Cela signifie que quand on fera des audits de ses contrats, on pourra demander à avoir tous les contrats avec une clause à risque, ou une clause de confidentialité à risque », détaille Nicolas Sarraquigne. Ces audits permettent de connaître, sur tel périmètre contractuel, l’impact d’une question en particulier. « Lors de la crise sanitaire, tout le monde a cherché des clauses de force majeure dans ses contrats. Un tel outil aurait pu permettre de retrouver ces informations », avance Grégoire Miot.


Par ailleurs, si l’utilisateur estime nécessaire d’ajouter des informations que l’IA n’aurait pas mises en exergue, par exemple sur des clauses spécifiques, il peut le faire. « On prémâche juste son travail », rassure Nicolas Sarraquigne. Un « prémâchage » qui prend moins de trois minutes avec l’IA, contre une vingtaine de minutes en moyenne pour référencer un contrat manuellement. « À l’échelle d’un grand nombre de contrats, cela peut faire la différence », assure le directeur commercial.

Notons que le document reste toujours à l’écran pendant que l’IA fait son travail et à l’issue de l’analyse, car le moteur n’est pas infaillible et peut bien sûr se tromper. « C’est à l’utilisateur de lui confirmer qu’il a bien trouvé l’information : ce feedback utilisateur continue à alimenter le moteur d’apprentissage », rappelle Nicolas Sarraquigne.

La notion de contrôle est donc indispensable, avec des nuances, notamment en fonction du nombre de documents qui sont analysés. « La machine peut faire des erreurs, mais l’humain aussi. Or, si on a des milliers de contrats, on ne peut pas vérifier chacun d’entre eux. Donc le mieux à faire est d’effectuer des tests sur des échantillons, et cela permet de se dire qu’à l’échelle de l’ensemble des contrats, à 99 %, on a la certitude que le moteur va extraire la bonne information. »

De nombreux cas d’usage pour du « do it yourself »

Un autre cas d’usage est prévu à destination des opérationnels, nombreux dans les entreprises. Nicolas Sarraquigne explique : « Avant, on leur faisait saisir des contrats quand ils étaient signés, avec toute la difficulté pour eux de savoir quelles informations indiquer. Là, l’idée est de faire travailler la machine : on va lui demander d’analyser le contrat et cela permettra de faciliter le travail de l’opérationnel, en faisant en sorte que figurent, dans la base de contrats, l’intégralité des contrats, y compris ceux qui ont échappé à la procédure de référencement, de signature électronique. »

Troisième cas d’usage, tout récent : celui de l’analyse « en volume », comme évoqué précédemment, par exemple dans le cas où une entreprise rachèterait une société, et ferait face à un service qui n’a pas encore digitalisé ses contrats, alors qu’elle doit pourtant les intégrer rapidement en vue d’une analyse complète. Cette fonctionnalité va ici permettre de créer un « projet », c’est-à-dire un corpus de contrats qui ont un lien entre eux et dont on va extraire les informations, avec deux objectifs : les analyser, faire un report de ce qu’il y a dedans, et un référencement pour que ces informations rejoignent les autres dans la base de contrats. « Et même s’il y a de vieux contrats illisibles, où l’humain ne peut pas faire de “ctrl + F” pour rechercher les informations, il va quand même les OCRiser (opérer une reconnaissance optique de caractères, ndlr) pour laisser la possibilité à l’IA de les analyser. »

Pour Nicolas Sarraquigne, donc, le potentiel de cet outil laisse entrevoir « beaucoup de cas d’usage ». Au titre de ses avantages, il est également fait, garantit-il, pour être utilisé « très simplement par tout le monde » : « Il y a beaucoup de “do it yourself”, l’utilisateur est autonome : nous, les professionnels, nous sommes là pour l’accompagner, le guider, surtout quand il y a des contrats particuliers, on peut l’aider à poser des questions de façon optimale pour permettre à la checklist d’être améliorée. »

Et bien que l’intérêt purement économique semble moindre sur une base de quelques contrats, plus ces derniers sont nombreux, plus l’opération paraît intéressante. « Il y a dix ans, on proposait des services de saisie de reprise de données autour de 10 euros le contrat, pour 30-40 contrats par jour et par personne, se souvient Nicolas Sarraquigne. Aujourd’hui, même si cela reste un budget, le prix est bien moins important, et en termes de temps d’opération, cette dernière va prendre moins d’un mois, quand cela nécessite au moins six mois lorsque le travail est fait par un humain. On oscille donc entre sécurité juridique et productivité, c’est un point important. »

Accélérer la performance de l’IA, un « enjeu continu »

Quant à une potentielle ouverture réglementaire à l’extérieur du logiciel, question qui lui est posée, Nicolas Sarraquigne répond par la négative : « La complexité et la variété des clients avec lesquels notre groupe travaille serait trop complexe à gérer. C’est pour cette raison que la partie “interprétation réglementaire” restera dans les mains des juristes qui utilisent cet outil. » En revanche, le directeur commercial indique que ce dernier a déjà opéré une « petite incursion » en matière de déviations contractuelles. « On rappelle le standard à l’utilisateur, et l'utilisateur précise s’il y a une déviation, par exemple : sur telle clause, voici quel est mon référentiel standard, car c’est ma politique interne. »

Prochaine étape pour le groupe vis-à-vis de l’outil, indique-t-il : aller plus loin dans l’analyse par l’IA de ces déviations. « L’idée est de pouvoir faire quelque chose d’automatique, pas trop sujet à interprétation, même si l’IA n’a jamais la réponse absolue. » De son côté, Grégoire Miot, qui reconnaît qu’accélérer la performance de l’IA est un « enjeu continu », voit également d’autres défis : améliorer ce moteur d’IA sur l’écriture manuscrite, l’intégrer de plus en plus dans les suites Office, et aller plus loin sur les suggestions contextuelles afin que ces dernières soient plus précises. Bref, tout un programme… dans tous les sens du terme.

Bérengère Margaritelli

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