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L’interdiction des « puffs », une fausse bonne idée ?

L’interdiction des « puffs », une fausse bonne idée ?
Publié le 30/03/2024 à 15:30

Le Parlement a trouvé un accord, le 21 mars dernier, sur l’interdiction des cigarettes électroniques jetables. Une loi qui affiche vouloir lutter contre le tabac chez les jeunes, mais qui suscite des interrogations quant à sa réelle utilité.  

Qu’elles soient « goût pastèque », « ananas », « marshmallow » ou encore « bubble gum », il ne sera probablement plus possible, d’ici quelques mois, de se procurer des cigarettes électroniques jetables dans les commerces. En effet, le Parlement a trouvé un accord, jeudi 21 mars dernier, sur l’interdiction des puffs, a confirmé la ministre de la Santé sur X (anciennement Twitter), Catherine Vautrin, à la suite de la décision : « Je m[e] félicite [de cet accord] et saisis immédiatement la Commission européenne pour qu’elle confirme la décision de la France. La lutte contre le tabagisme doit se poursuivre ! »

Le texte transpartisan, porté par la députée écologiste Francesca Pasquini, avait été largement adopté par l'Assemblée nationale en décembre 2023, puis par le Sénat au début du mois de février. Toutefois, ce dernier a apporté une modification au texte en y introduisant une disposition spécifique : outre la vente, la distribution et l'offre gratuite, la fabrication des appareils électroniques sera passible d'une amende de 100 000 euros. Il convient également de noter que l'article 2 du projet de loi précise que « la perte de recettes résultant pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs ».

L'objectif de l'interdiction des cigarettes électroniques jetables est clair : combattre le tabagisme chez les jeunes, dans le cadre du plan gouvernemental visant à obtenir « une génération débarrassée du tabac dès 2032 ». À présent, l'Union européenne dispose de six mois pour approuver cette interdiction des « puffs », tout comme elle l'a déjà fait pour la Belgique.

D’ici là, François Topart, chargé de plaidoyer et de recherche au Comité national contre le tabagisme (CNCT), se félicite de la « très bonne nouvelle » que constitue l’accord trouvé par le Parlement. « C’est quelque chose que l’on demande depuis l’apparition des puffs sur le marché français », jubile-t-il, arguant que « les puffs sont un véritable produit d'initiation à la nicotine pour les jeunes, surtout lorsque l’on vend des puffs aux goûts sucrés à des adolescents âgés de 15 à 16 ans ».  Un texte tellement attendu par le CNCT que ce dernier s’est empressé de distinguer les auteurs de la proposition de loi lors de la 3e édition de ses « Prix 5.3 », destinée à récompenser les « bonnes et les mauvaises initiatives » en matière de tabac, qui avait elle aussi lieu le 21 mars, hasard du calendrier.

Un faible rôle dans l’incitation à fumer du tabac

L’accueil s’est en revanche avéré beaucoup moins chaleureux du côté des partisans du maintien de la puff, dont certains semblent résignés. « Nous avons été auditionnés et consultés par les députés et les parlementaires, donc nous ne sommes pas surpris par l’aboutissement de ce projet et de cette interdiction », rapporte le président de la Fédération Interprofessionnelle de la Vape (FIVAPE), qui regroupe les professionnels indépendants de la e-cigarette et des e-liquides en France, Jean Moiroud.

Ce dernier affirme que contrairement aux arguments développés pour défendre la proposition de loi, la prévalence du tabagisme chez les jeunes n'augmenterait pas en raison des puffs, bien au contraire : « La vape ne mène pas au tabac. Il suffit de regarder la prévalence tabagique chez les jeunes, elle n'est pas liée aux puffs. Elle diminue, alors que ces dispositifs (créés en 2019) sont clairement de plus en plus répandus en France. »

Si François Topart affirme de son côté que les cigarettes électroniques jetables ne sont « ni une bonne idée pour la santé publique, ni une bonne solution pour réduire la prévalence du tabagisme chez les jeunes »,  plusieurs études semblent corroborer le point avancé par Jean Moiroud et Nicolas Govin.

En mars 2022, l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives, en collaboration avec la Direction du service national et de la jeunesse du ministère des Armées, avait sondé un échantillon aléatoire de 23 701 jeunes âgés de 17 ans participant à la journée défense et citoyenneté. Cette enquête visait à suivre l’évolution des comportements de santé et les consommations de substances psychoactives des jeunes Français de 17 ans. Les résultats ont démontré qu’un jeune sur quatre, soit 25,1 %, avait fumé du tabac au cours du mois précédant l’enquête, contre 34,1 % en 2017.

Et bien que les puffs puissent jouer un rôle dans l’incitation des jeunes à fumer du tabac, c’est uniquement « de manière réduite » nuance Nicolas Govin : « Dans une étude du professeur et pneumologue Bertrand Dautzenberg, il a été montré que seulement 5 % des utilisateurs de la puff vont se mettre à fumer à cause de cela ».

Un moyen de sevrage en moins ?

Au-delà, Jean Moirod avance que ces dispositifs « parvenaient à convaincre certaines catégories de fumeurs d'arrêter de fumer en raison de leur simplicité » et indique « regretter » que cet aspect ait été « trop peu mentionné lors des discussions ».

Le tabacologue et addictologue Nicolas Govin estime de son côté qu'il est illogique de poursuivre un objectif de risque zéro en interdisant les puffs : « Le risque zéro n'existe pas, quoi que vous fassiez ! Lorsque vous respirez la pollution ? Vous prenez un risque. Lorsque vous consommez du sucre ? Vous prenez un risque. La quête du risque zéro est l’ennemie de la réduction des risques. Dans ce contexte, la vape offre réellement une réduction des risques. Bien sûr, je ne recommanderais pas à quelqu'un qui n'a jamais fumé de commencer. Cependant, pour quelqu'un qui fumait précédemment et qui passe à la vape, il diminue ses risques ».

Nicolas Govin ajoute que « beaucoup de gens arrêtent de fumer et commencent par des puffs avant de passer à des cigarettes électroniques plus traditionnelles. Les puffs et les cigarettes électroniques peuvent aider les personnes qui souhaitent arrêter de fumer, comme le prouvent les revues Cochrane (revues scientifiques de recherche médicale) ». Par ailleurs, le tabacologue indique que « de plus en plus de personnes commencent à fumer et découvrir la nicotine avec les puffs mais ce sera toujours mieux de commencer avec ça qu’avec une cigarette. De plus, je ne suis pas convaincu que des personnes qui ont l’habitude de fumer des puffs saveur pêche souhaitent découvrir le goût mégot froid. »

Attractifs, les puffs peuvent contenir jusqu’à 5 % de nicotine

Sur le sujet, François Topart est inflexible : en aucun cas ce dispositif ne permet de sortir du tabac, contrairement à « une politique du paquet neutre ou encore une législation fiscale plus stricte », martèle le chargé de plaidoyer et de recherche au CNCT.

Allant plus loin encore, l'Académie nationale de médecine (ANM) qualifiait le puff de « piège particulièrement sournois pour les enfants et les adolescents » dans un communiqué du 28 février 2023. Pour l'Académie, bien que le tabagisme chez les collégiens soit en net recul (en classe de troisième : deux fois moins d'expérimentations et quatre fois moins d'usage quotidien en 2021 par rapport à 2010), de même que l'usage de l’e-cigarette chez les 17 ans, la cigarette électronique jetable représenterait malgré tout un obstacle à l'objectif de quasi-disparition du tabagisme en France d'ici 2032.

L’institution souligne également que les puffs sont conçus « pour être attirants pour les enfants et les adolescents même sans nicotine ». Plusieurs critères sont avancés pour démontrer l'aspect séduisant des puffs : leur prix compétitif, leur emballage attractif, leurs différentes saveurs, leur disponibilité dans de nombreux points de vente, ainsi que leur promotion par de nombreux influenceurs. L’ANM révèle notamment qu’ « un sur dix adolescents âgés de 13 à 16 ans avait déjà essayé la puff et que 28 % des utilisateurs d’e-cigarettes avaient commencé avec la puff. En Angleterre, 8,6 % des 11-18 ans avaient vapoté en 2022, contre 4 % en 2021 ».

Avec de plus en plus de jeunes qui expérimentent les puffs, l’Académie met surtout en garde contre les dangers de ces produits, qui peuvent contenir jusqu'à 5 % de nicotine, devenant ainsi des produits addictifs. Cependant, malgré ces préoccupations, les recommandations de l’ANM ne préconisent pas une interdiction mais plutôt une sensibilisation auprès des écoles et du grand public. Elle suggère ainsi de « renforcer la réglementation, comme cela a été demandé en Suisse », en mettant en place une fiscalité accrue, en imposant le paquet neutre, ou encore un contrôle renforcé de l’effectivité de l’interdiction de la vente des puffs aux mineurs.

La faute des buralistes ?

Car tout compte fait, le véritable problème ne serait-il pas là ? Nicolas Govin ne s’en cache pas : selon lui, les buralistes, qui se plaignent, sont pourtant responsables de la situation actuelle. « Aujourd’hui, le but est d’interdire la puff pour les plus jeunes, mais je rappelle que cela était déjà le cas, avant puisqu’elle était déjà interdite pour les moins de 18 ans ! Or, les buralistes les vendent aux mineurs sans demander leur âge. C’est à eux de respecter les règles mises en place par le gouvernement. »

Une information confirmée par le chargé de plaidoyer et de recherche du CNT François Topart : « On a fait une enquête sur un échantillon de 505 bureaux de tabac et de 203 magasins de vapotage, et on a constaté que 41 % des buralistes acceptent de vendre des puffs à des jeunes de 17 ans et 28 % chez les magasins de vapotage ».

Toutefois, de l’avis de Nicolas Govin, l’interdiction de vendre des cigarettes électroniques jetables aux mineurs, et, désormais, celle d’en vendre « tout court » est susceptible d’entraîner certaines dérives, car si les jeunes veulent vraiment se procurer des puffs, ils pourront toujours le faire, comme le rappelle le tabacologue : « Déjà que les puffs non rechargeables venaient d’on ne sait d’où avec on ne sait quels produits dedans, ce qui était assez douteux, si en plus, vous les achetez sur un site encore plus douteux, c’est pire ». En bref, comme pour tout, dès qu’il y a prohibition, il y a des trafics et des marchés parallèles, résume Nicolas Govin, qui illustre : « C’est un peu pareil que le cannabis finalement. S’il était légalisé de manière très encadrée, il y aurait moins de risques pour la santé publique, mais on préfère faire de la répression. »

L’impact environnemental, point de rassemblement

Reste que si cette loi divise pour de nombreuses raisons, il semblerait qu'un point mette tout le monde d'accord : l'écologie. Très peu abordée dans la proposition de loi, avec seulement un paragraphe qui lui est consacré, cette thématique aurait dû être le véritable motif d'interdiction, souligne Jean Moiroud.

« Dans notre filière, beaucoup d'acteurs trouvent qu'il y a un côté très sensé dans cette future loi, admet le président de la FIVAPE. C'est une ineptie environnementale de jeter une batterie tous les uns ou deux jours dans le cadre du vapotage, alors qu'il existe des équipements rechargeables beaucoup plus respectueux de l'environnement. Là-dessus, il y a consensus sur cette approche environnementale. Il aurait été tout à fait possible de baser les discussions sur cette interdiction par rapport aux enjeux écologiques ». 

Même son de cloche pour Nicolas Govin : « Je ne suis pas forcément contre l'interdiction des puffs non rechargeables, cela n'a pas de sens de jeter autant de batteries au lithium. Donc, s'il en existe des rechargeables autant s'en servir ».

Et en effet, les batteries au lithium présentes dans les puffs sont rarement jetées dans les contenants indiqués, engendrant un impact sur l’environnement fréquemment qualifié de « désastre écologique ». En mai dernier, le média Reporterre publiait ainsi un article cyniquement intitulé « Vapoteuse jetable, un succès toxique pour l’environnement », citant une étude de l’Alliance contre le tabac, publiée le 25 octobre 2022, qui alertait sur « un danger immédiat et à long terme pour notre environnement ».

Aujourd’hui, si le président de la FIVAPE estime que le secteur est résilient, puisque les commerces spécialisés pourront toujours vendre des puffs dès lors qu'il est possible de recharger la batterie et le liquide, il s’inquiète en revanche d’une potentielle ouverture vers d'autres interdictions. Une hypothèse qui le préoccupe grandement : « Outre l'interdiction d'une typologie de produit, il est possible de légiférer de manière excessive. On peut interdire certains arômes, voire tous les arômes. Même interdire certains dispositifs. Il n'y a pas de limites. »

Romain Tardino


1 commentaire
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Stéphane Martinez
- le mois dernier
Très bon article, ça fait plaisir de lire un vrai travail de journaliste sur ce sujet, c'est tellement rare !

Pour compléter un peu votre propos, je vous invite à consulter l'étude citée en source par l'Académie de médecine au sujet du vapotage des jeunes et du "piège" qu'ils décrivent et de comparer ses conclusions avec les affirmations de l'académie, c'est à se demander si eux l'ont lue et pourquoi leurs affirmations sont si différentes !

Merci encore.

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