Le
Parlement a trouvé un accord, le 21 mars dernier, sur l’interdiction des cigarettes
électroniques jetables. Une loi qui affiche vouloir lutter contre le tabac chez
les jeunes, mais qui suscite des interrogations quant à sa réelle utilité.
Qu’elles
soient « goût pastèque », « ananas », « marshmallow »
ou encore « bubble gum », il ne sera probablement plus possible, d’ici
quelques mois, de se procurer des cigarettes électroniques jetables dans les
commerces. En effet, le Parlement a trouvé un accord, jeudi 21 mars dernier,
sur l’interdiction des puffs, a confirmé la ministre de la Santé sur X
(anciennement Twitter), Catherine Vautrin, à la suite de la décision : « Je
m[e] félicite [de cet accord] et saisis immédiatement la Commission européenne
pour qu’elle confirme la décision de la France. La lutte contre le tabagisme
doit se poursuivre ! »
Le
texte transpartisan, porté par la députée écologiste Francesca Pasquini, avait
été largement adopté par l'Assemblée nationale en décembre 2023, puis par le
Sénat au début du mois de février. Toutefois, ce dernier a apporté une
modification au texte en y introduisant une disposition spécifique : outre la
vente, la distribution et l'offre gratuite, la fabrication des appareils
électroniques sera passible d'une amende de 100 000 euros. Il convient
également de noter que l'article 2 du projet de loi précise que « la
perte de recettes résultant pour l’État est compensée à due concurrence par la
création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs ».
L'objectif
de l'interdiction des cigarettes électroniques jetables est clair : combattre
le tabagisme chez les jeunes, dans le cadre du plan gouvernemental visant à
obtenir « une génération débarrassée du tabac dès 2032 ». À
présent, l'Union européenne dispose de six mois pour approuver cette
interdiction des « puffs », tout comme elle l'a déjà fait pour la
Belgique.
D’ici
là, François Topart, chargé de plaidoyer et de recherche au Comité national
contre le tabagisme (CNCT), se félicite de la « très bonne nouvelle »
que constitue l’accord trouvé par le Parlement. « C’est quelque chose
que l’on demande depuis l’apparition des puffs sur le marché français »,
jubile-t-il, arguant que « les puffs sont un véritable produit d'initiation
à la nicotine pour les jeunes, surtout lorsque l’on vend des puffs aux goûts
sucrés à des adolescents âgés de 15 à 16 ans ». Un texte tellement attendu par le CNCT que
ce dernier s’est empressé de distinguer les auteurs de la proposition de loi lors
de la 3e édition de ses « Prix 5.3 », destinée à récompenser les « bonnes
et les mauvaises initiatives » en matière de tabac, qui avait elle
aussi lieu le 21 mars, hasard du calendrier.
Un faible rôle dans l’incitation à fumer du tabac
L’accueil
s’est en revanche avéré beaucoup moins chaleureux du côté des partisans du
maintien de la puff, dont certains semblent résignés. « Nous avons été
auditionnés et consultés par les députés et les parlementaires, donc nous ne
sommes pas surpris par l’aboutissement de ce projet et de cette interdiction »,
rapporte le président de la Fédération Interprofessionnelle de la Vape
(FIVAPE), qui regroupe les professionnels indépendants de la e-cigarette et des
e-liquides en France, Jean Moiroud.
Ce
dernier affirme que contrairement aux arguments développés pour défendre la proposition
de loi, la prévalence du tabagisme chez les jeunes n'augmenterait pas en raison
des puffs, bien au contraire : « La vape ne mène pas au tabac. Il
suffit de regarder la prévalence tabagique chez les jeunes, elle n'est pas liée
aux puffs. Elle diminue, alors que ces dispositifs (créés en 2019) sont
clairement de plus en plus répandus en France. »
Si François Topart affirme de son côté que les
cigarettes électroniques jetables ne sont « ni une bonne idée
pour la santé publique, ni une bonne solution pour réduire la prévalence du
tabagisme chez les jeunes », plusieurs
études semblent corroborer le point avancé par Jean Moiroud et Nicolas Govin.
En
mars 2022, l’Observatoire français des drogues et des tendances
addictives, en
collaboration avec la Direction du service national et de la jeunesse du
ministère des Armées, avait sondé un échantillon aléatoire de 23 701 jeunes
âgés de 17 ans participant à la journée défense et citoyenneté. Cette enquête
visait à suivre l’évolution des comportements de santé et les consommations de
substances psychoactives des jeunes Français de 17 ans. Les résultats ont
démontré qu’un jeune sur quatre, soit 25,1 %, avait fumé du tabac au cours du
mois précédant l’enquête, contre 34,1 % en 2017.
Et
bien que les puffs puissent jouer un rôle dans l’incitation des jeunes à fumer
du tabac, c’est uniquement « de manière réduite » nuance Nicolas
Govin : « Dans une étude du professeur et pneumologue Bertrand
Dautzenberg, il a été montré que seulement 5 % des utilisateurs de la puff vont
se mettre à fumer à cause de cela ».
Un
moyen de sevrage en moins ?
Au-delà,
Jean Moirod avance que ces dispositifs « parvenaient à convaincre
certaines catégories de fumeurs d'arrêter de fumer en raison de leur simplicité »
et indique « regretter » que cet aspect ait été « trop
peu mentionné lors des discussions ».
Le
tabacologue et addictologue Nicolas Govin estime de son côté qu'il est
illogique de poursuivre un objectif de risque zéro en interdisant les puffs : «
Le risque zéro n'existe pas, quoi que vous fassiez ! Lorsque vous respirez
la pollution ? Vous prenez un risque. Lorsque vous consommez du sucre ? Vous
prenez un risque. La quête du risque zéro est l’ennemie de la réduction des
risques. Dans ce contexte, la vape offre réellement une réduction des risques.
Bien sûr, je ne recommanderais pas à quelqu'un qui n'a jamais fumé de
commencer. Cependant, pour quelqu'un qui fumait précédemment et qui passe à la
vape, il diminue ses risques ».
Nicolas
Govin ajoute que « beaucoup de gens arrêtent de fumer et commencent par des
puffs avant de passer à des cigarettes électroniques plus traditionnelles. Les
puffs et les cigarettes électroniques peuvent aider les personnes qui
souhaitent arrêter de fumer, comme le prouvent les revues Cochrane (revues
scientifiques de recherche médicale) ». Par ailleurs, le tabacologue
indique que « de plus en plus de personnes commencent à fumer et
découvrir la nicotine avec les puffs mais ce sera toujours mieux de commencer
avec ça qu’avec une cigarette. De plus, je ne suis pas convaincu que des
personnes qui ont l’habitude de fumer des puffs saveur pêche souhaitent
découvrir le goût mégot froid. »
Attractifs,
les puffs peuvent contenir jusqu’à 5 % de nicotine
Sur le sujet, François Topart est inflexible :
en aucun cas ce dispositif ne permet de sortir du tabac, contrairement à
« une politique du paquet neutre ou encore une législation fiscale plus
stricte », martèle le chargé de plaidoyer et de recherche au CNCT.
Allant plus loin encore, l'Académie nationale de médecine (ANM) qualifiait le puff de « piège
particulièrement sournois pour les enfants et les adolescents » dans
un communiqué du 28 février 2023. Pour l'Académie, bien que le tabagisme chez
les collégiens soit en net recul (en classe de troisième : deux fois moins
d'expérimentations et quatre fois moins d'usage quotidien en 2021 par rapport à
2010), de même que l'usage de l’e-cigarette chez les 17 ans, la cigarette
électronique jetable représenterait malgré tout un obstacle à l'objectif de
quasi-disparition du tabagisme en France d'ici 2032.
L’institution souligne également que les puffs
sont conçus « pour être attirants pour les enfants et les adolescents
même sans nicotine ». Plusieurs critères sont avancés pour démontrer
l'aspect séduisant des puffs : leur prix compétitif, leur emballage attractif,
leurs différentes saveurs, leur disponibilité dans de nombreux points de vente,
ainsi que leur promotion par de nombreux influenceurs. L’ANM révèle notamment
qu’ « un sur dix adolescents âgés de 13 à 16 ans avait déjà essayé
la puff et que 28 % des utilisateurs d’e-cigarettes avaient commencé avec la
puff. En Angleterre, 8,6 % des 11-18 ans avaient vapoté en 2022, contre 4 % en
2021 ».
Avec de plus en plus de jeunes qui expérimentent
les puffs, l’Académie met surtout en garde contre les dangers de ces produits,
qui peuvent contenir jusqu'à 5 % de nicotine, devenant ainsi des produits
addictifs. Cependant, malgré ces préoccupations, les recommandations de l’ANM
ne préconisent pas une interdiction mais plutôt une sensibilisation auprès des
écoles et du grand public. Elle suggère ainsi de « renforcer la
réglementation, comme cela a été demandé en Suisse », en
mettant en place une fiscalité accrue, en imposant le paquet neutre, ou encore un
contrôle renforcé de l’effectivité de l’interdiction de la vente des puffs aux
mineurs.
La faute des buralistes ?
Car tout compte fait, le véritable problème ne serait-il
pas là ? Nicolas Govin ne s’en cache pas : selon lui, les buralistes,
qui se plaignent, sont pourtant responsables de la situation actuelle. « Aujourd’hui,
le but est d’interdire la puff pour les plus jeunes, mais je rappelle que cela
était déjà le cas, avant puisqu’elle était déjà interdite pour les moins de 18
ans ! Or, les buralistes les vendent aux mineurs sans demander leur âge.
C’est à eux de respecter les règles mises en place par le gouvernement. »
Une information confirmée par le chargé de
plaidoyer et de recherche du CNT François Topart : « On a fait une
enquête sur un échantillon de 505 bureaux de tabac et de 203 magasins de
vapotage, et on a constaté que 41 % des buralistes acceptent de vendre des
puffs à des jeunes de 17 ans et 28 % chez les magasins de vapotage ».
Toutefois, de l’avis de Nicolas Govin, l’interdiction
de vendre des cigarettes électroniques jetables aux mineurs, et, désormais, celle
d’en vendre « tout court » est susceptible d’entraîner certaines
dérives, car si les jeunes veulent vraiment se procurer des puffs, ils pourront
toujours le faire, comme le rappelle le tabacologue : « Déjà que les puffs
non rechargeables venaient d’on ne sait d’où avec on ne sait quels produits
dedans, ce qui était assez douteux, si en plus, vous les achetez sur un site
encore plus douteux, c’est pire ». En bref, comme pour tout, dès qu’il
y a prohibition, il y a des trafics et des marchés parallèles, résume Nicolas
Govin, qui illustre : « C’est un peu pareil que le cannabis
finalement. S’il était légalisé de manière très encadrée, il y aurait moins de
risques pour la santé publique, mais on préfère faire de la répression. »
L’impact environnemental, point de rassemblement
Reste que si cette loi divise pour de nombreuses
raisons, il semblerait qu'un point mette tout le monde d'accord : l'écologie.
Très peu abordée dans la proposition de loi, avec seulement un paragraphe qui
lui est consacré, cette thématique aurait dû être le véritable motif
d'interdiction, souligne Jean Moiroud.
« Dans notre filière, beaucoup d'acteurs
trouvent qu'il y a un côté très sensé dans cette future loi, admet le
président de la FIVAPE. C'est une ineptie environnementale de jeter une
batterie tous les uns ou deux jours dans le cadre du vapotage, alors qu'il
existe des équipements rechargeables beaucoup plus respectueux de
l'environnement. Là-dessus, il y a consensus sur cette approche environnementale.
Il aurait été tout à fait possible de baser les discussions sur cette
interdiction par rapport aux enjeux écologiques ».
Même son de cloche pour Nicolas Govin : « Je ne suis pas forcément contre l'interdiction des puffs non rechargeables, cela n'a pas de sens de jeter autant de batteries au lithium. Donc, s'il en existe des rechargeables autant s'en servir ».
Et en effet, les batteries au lithium présentes
dans les puffs sont rarement jetées dans les contenants indiqués, engendrant un
impact sur l’environnement fréquemment qualifié de « désastre
écologique ». En mai dernier, le média Reporterre publiait ainsi un
article cyniquement intitulé « Vapoteuse jetable, un succès toxique
pour l’environnement », citant une étude de l’Alliance contre le
tabac, publiée le 25 octobre 2022, qui alertait sur « un danger immédiat et
à long terme pour notre environnement ».
Aujourd’hui, si le président de la FIVAPE estime
que le secteur est résilient, puisque les commerces spécialisés pourront
toujours vendre des puffs dès lors qu'il est possible de recharger la batterie
et le liquide, il s’inquiète en revanche d’une potentielle ouverture vers
d'autres interdictions. Une hypothèse qui le préoccupe grandement : « Outre
l'interdiction d'une typologie de produit, il est possible de légiférer de
manière excessive. On peut interdire certains arômes, voire tous les arômes.
Même interdire certains dispositifs. Il n'y a pas de limites. »
Romain Tardino