Dans un audit flash dont les
résultats ont été publiés le 20 décembre dernier, la juridiction financière
dépeint notamment « une réforme insuffisamment préparée et mal conduite »,
ainsi qu’un « dispositif d’assistance aux utilisateurs insuffisant ».
Une nouvelle procédure de secours entrera en vigueur le 1er
janvier.
La Cour des comptes a publié
le 20 décembre dernier les résultats
de son audit flash consacré au Guichet unique des entreprises,
lancé le 1er janvier 2023. Et le moins que l’on puisse dire, c’est
que la juridiction financière n’est pas tendre avec le législateur.
La création d’un guichet
unique électronique « constitue une réforme complexe, bouleversant
l’organisation des systèmes d’information des différents acteurs concernés »,
assure la Cour des comptes. La réforme a d’ailleurs abouti à de nombreux
dysfonctionnements qui ont mené le gouvernement à déclencher une procédure de
secours au mois de février. Les deux systèmes cohabitent depuis, bien que le nouveau
dispositif soit désormais considéré
comme pleinement fonctionnel.
Dans son audit, qui vise
selon elle à « identifier les causes des difficultés rencontrées et
apprécier dans quelle mesure les ajustements décidés permettent de résoudre les
problèmes constatés au démarrage du projet », la Cour des comptes
pointe du doigt une « mise en œuvre chaotique du Guichet unique ».
Elle rappelle qu’une mission interministérielle a été créée en 2019 juste après
la promulgation de la loi Pacte. C’est celle-ci qui a décidé d’une ouverture
partielle du Guichet unique le 1er janvier 2022 pour les formalités
de création uniquement, en conservant les centres de formalités des entreprises
que remplacerait un an plus tard le Guichet unique. Mais cette première phase
« n’a pas permis de vérifier la capacité du système à gérer des flux
d’information importants », déplore la Cour des comptes.
Une transition mal pensée
La raison principale selon la
Cour des comptes : les centres de formalités des entreprises (CFE),
prédécesseuses du Guichet unique, ont continué leur travail normalement durant
la phase de test, et « beaucoup d’utilisateurs ont continué à
s’adresser à eux ». Durant le premier semestre 2022, environ 7 000
formalités de création ont été réalisées auprès du Guichet unique. Ce chiffre
est ensuite monté à 12 000 en septembre, puis à 36 000 en décembre. En
2022, le Guichet unique avait enregistré 122 200 formalités de création
d’entreprises, soit seulement 6% du volume total de l’année. « Au mois
de décembre, ce pourcentage était de 16,4 %, illustrant la montée en charge du
nouveau portail », précise la Cour des comptes.
Pour une montée en charge
plus progressive, la mission interministérielle avait demandé en mai 2022 la
fermeture de deux des trois sites Internet de CFE. L’un d’entre eux (le site
Autoentrepreneur appartenant à l’Urssaf) a mis en place des bandeaux de
redirection vers le Guichet unique sans pour autant cesser son activité. Un
autre (CFE Métiers) a fermé en novembre 2022 après publication d’un décret.
« Ces fermetures n’ont donc eu que peu d’effets sur l’année 2022 pour
réorienter les formalités vers le Guichet unique », déplore la juridiction
financière, qui assure qu’« une fermeture progressive des différents
CFE au cours de l’année 2022 aurait permis une montée en charge du nouveau
portail sans attendre la date butoir du 31 décembre ». Cela aurait
permis « de traiter au fur et à mesure les interrogations des
déclarants, en évitant la saturation des services d’assistance et le
mécontentement qui s’en est suivi, tout en corrigeant les anomalies relevées ».
La Cour des comptes affirme aussi
qu’au moment de la bascule totale sur le nouveau système début 2023, les
fonctionnalités relatives aux modifications et aux cessations n’étaient pas
opérationnelles. La généralisation de la procédure unique de création
d’entreprise a elle aussi connu « d’importants dysfonctionnements ».
Un calendrier jugé « irréaliste »
Mais la procédure de secours
a elle aussi subi des problèmes. « Cette situation a fortement pénalisé
les entreprises, d’autant plus que le dispositif d’assistance aux utilisateurs
s’est révélé insuffisant », dénonce la Cour. Cette insuffisance était pourtant
soupçonnée dès juin 2022 par le directeur général de l’Insee. Le service
clients de l’Inpi avait reçu 4 000 appels en décembre 2021, 20 000 en
décembre 2022 et 60 000 en janvier 2023.
Un important échec qui
s’explique selon la Cour des comptes par « une échéance irréaliste
compte tenu de l’ambition du projet ». Selon elle, la loi Pacte n’a
pas été précédée d’une analyse suffisamment approfondie des impacts et des
modalités de mise en œuvre de cette réforme, aboutissant à des décisions
« sensiblement éloignées de la solution initialement envisagée ».
Côté technique par exemple, un système totalement nouveau a été mis en place.
Côté fonctionnel, la connexion avec le registre national des entreprises
n’avait pas été prise en compte. « Dans ces conditions, dès 2020,
l’objectif d’une ouverture du guichet unique des entreprises au 1er
janvier 2023 n’apparaissait pas réaliste », dénonce la Cour.
Et pourtant, « en
dépit de ces lacunes originelles, des inévitables difficultés rencontrées dans
le développement du projet et des nombreuses alertes émises par les différentes
parties prenantes », le gouvernement a fait le choix de respecter le
calendrier initial, « au détriment de la prise en compte de l’état réel
d’avancement du projet et de ses dysfonctionnements ».
La Cour des comptes juge
également qu’un directeur de projet aurait dû être désigné pour animer des
groupes de travail entre les représentants des partenaires du projet et des
utilisateurs, afin de « définir les besoins et les fonctionnalités,
assurer le pilotage de l’INPI et procéder quand cela était nécessaire aux
arbitrages techniques ». La juridiction financière assure même que
l’ensemble des acteurs n’a été intégré au processus qu’à l’été 2023…
La Cour note des
améliorations, mais conseille une poursuite de la procédure de secours
Dans son audit, la Cour des
comptes constate néanmoins une amélioration de la situation globale du Guichet
unique à l’automne 2023, avec une gouvernance et un pilotage du projet en cours
d’ajustement. Pour les formalités de création, la grande majorité des
dysfonctionnements avaient disparu dès l’été. Mais il reste « de
nombreux dysfonctionnements à traiter », tempère la Cour, en raison
d’actions correctives menées par la direction générale des entreprises depuis
le début du deuxième semestre 2023, qui « ne paraissent pas de nature à
résoudre l’ensemble des difficultés d’ici à la fin de l’année ». En ce
sens, elle estime donc qu’il n’est « pas possible d’exclure que
l’échéance du 1er janvier 2024, à partir de laquelle toutes les
formalités devaient être exclusivement réalisées sur le guichet unique, soit
marquée par d’importants dysfonctionnements ».
La Cour des comptes a aussi dénoncé
sévèrement « les conséquences d’une réforme insuffisamment préparée et
mal conduite qui pourraient donc se faire encore sentir pendant plusieurs
années sans avoir apporté aux entreprises la simplification attendue ».
Cela a le mérite d’être clair.
Une alerte qui a visiblement
inquiété le gouvernement, qui a décidé d’un nouvelle prolongation de la
procédure de secours jusqu’à la fin de l’année 2024, amenant à un aboutissement
du projet au 1er janvier 2025. « Une échéance qui aurait pu
être raisonnablement fixée au départ compte tenu de la complexité du projet et
aurait épargné des difficultés », déplore la Cour des comptes.
Un
arrêté du 26 décembre a détaillé les modalités de cette nouvelle
procédure entrant en vigueur le 1er janvier et qui sera active pour un
an. Il y est notamment inscrit les conditions pour que des soucis techniques
soient reconnus comme une difficulté grave de fonctionnement du service
informatique. Il faut que les dépôts de dossiers ne puissent pas être réalisés
en raison d’une indisponibilité globale ou spécifique du Guichet unique, mais
aussi que cette indisponibilité ne puisse pas être résolue par l’Inpi dans un
délai de 48 heures. Si ces deux conditions sont réunies, un collège stratégique
doit décider de lancer une procédure de continuité du service public.
Alexis
Duvauchelle