JUSTICE

Le Conseil d'État enjoint à l'Arcom de se prononcer sur le respect, par CNews, de ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information

Le Conseil d'État enjoint à l'Arcom de se prononcer sur le respect, par CNews, de ses obligations en matière de pluralisme et d'indépendance de l'information
Publié le 13/02/2024 à 17:12

Cette décision du 13 février fait suite à la saisine de la juridiction par Reporters sans frontières en 2022, l’Arcom ayant rejeté sa demande de mise en demeure de la chaîne de respecter les exigences issues de la loi de 1986 relative à la liberté de communication. Le secrétaire général de l’association, Christophe Deloire, a salué un dénouement qui devrait selon lui « changer la donne » en amenant « le régulateur de l’audiovisuel à être enfin à la hauteur des enjeux ».

L’Arcom va devoir de nouveau plancher sur le cas CNews. Le Conseil d’État vient de juger, dans une décision du 13 février 2024, que pour apprécier le respect, par une chaîne de télévision, du pluralisme de l’information, l’Autorité de régulation devait prendre en compte la « diversité des courants de pensée et d’opinions représentés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés ». La plus haute juridiction administrative a ainsi enjoint à l’Arcom de réexaminer dans un délai de six mois le respect par CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information.

Une demande de mise en demeure adressée en 2021

Pour recontextualiser l’affaire, le Conseil d’État rappelle que Reporters sans frontières avait demandé fin 2021 à l’Arcom de mettre en demeure la chaîne TV de respecter les exigences selon lesquelles les chaînes de télévision doivent assurer l’honnêteté, le pluralisme et l’indépendance de l’information, en vertu de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. L’association faisait notamment valoir que la chaîne « n’assurait pas une diversité suffisante des points de vue exprimés à l’antenne », particulièrement « à l’occasion des débats sur des questions prêtant à controverse ».

L’Arcom ayant rejeté cette demande, estimant qu’elle ne devait prendre en compte, pour apprécier le respect de ce pluralisme, que l’équilibre des temps de parole accordés aux personnalités politiques, et que la plainte de l’association ne mettait pas en évidence un manquement de la part de CNews en la matière, Reporters sans frontières avait finalement saisi le Conseil d’État en avril 2022.

Aujourd’hui, le Conseil d’État a donc jugé qu’« en s’en tenant à la seule prise en compte du temps d’antenne accordé aux personnalités politiques pour l’appréciation des obligations du service en matière de pluralisme de l’information, l’Arcom a fait une inexacte application des dispositions de la loi », peut-on lire dans la décision. Autrement dit : l’Arcom ne doit pas se limiter à vérifier les temps de parole des personnalités politiques. Elle doit aussi veiller à ce que les chaînes assurent, même en suivant une certaine ligne éditoriale, « l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinions » en prenant en compte « la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés », affirme la juridiction, « chroniqueurs, animateurs et invités » compris, détaille-t-elle par ailleurs dans un communiqué. 

L’indépendance s’apprécie au regard d’un ensemble de caractéristiques

Dans sa demande adressée à l’Arcom, l’association pointait également des manquements de la part de CNews dans son obligation d’indépendance de l’information. Elle mettait en exergue des immixtions dans la programmation de la chaîne de la part du principal actionnaire de la chaîne. Alors que l’Arcom avait répondu qu’elle ne pouvait se prononcer que si « un manquement était établi » au cours d’une « séquence identifiée », le Conseil d’État estime que l’indépendance ne s’apprécie pas seulement au regard d’extraits d’une émission spécifique, mais également à l’échelle de l’ensemble des conditions de fonctionnement de la chaîne et des caractéristiques de sa programmation. Dans son communiqué, la juridiction explique donc qu’« il appartient à l’Arcom de se prononcer à nouveau en procédant à cet examen ».

Précisons qu’elle n’a en revanche pas donné raison à l’association sur les autres points dont il était question dans cette affaire. Le Conseil d’État souligne à ce titre dans sa décision que la place des émissions de débat dans la programmation de CNews ne remet pas en question son format de service consacré à l’information, contrairement à ce que soutenait Reporters sans frontières, d’après qui la chaîne devait être regardée comme un média d’opinion, au vu de ses programmes où l’information « se réduit à un simple rappel des titres ».

De la même façon, à l’association qui dénonçait un manquement de la chaîne à son obligation d’honnêteté dans le traitement de l’information, en raison de la diffusion de plusieurs séquences « tendancieuses » et « mises en scène » (et notamment l’une d’entre elle faisant intervenir une femme voilée) et de la « focalisation excessive » des émissions sur certains sujets, le Conseil d’État répond que l’Arcom avait déjà adressé des mises en garde à la chaîne et que les éléments apportés par l’association à l’appui de ses allégations sont insuffisants.

« Une décision historique pour la démocratie et le journalisme »

Ce qui n’a pas empêché Christophe Deloire, le secrétaire général de Reporters sans frontières, de se réjouir immédiatement sur X (ex-Twitter) : « C'est la deuxième fois en 14 mois que [l'association] gagne devant le Conseil d’État contre l'Arcom ». En décembre 2022, dans une tout autre matière, le Conseil d'État avait en effet donné raison à l’association en jugeant que l'Autorité de régulation avait compétence pour ordonner à l’opérateur satellitaire Eutelsat de mettre fin à la diffusion de bouquets satellitaires russes de propagande vers la Russie, le Belarus et les territoires occupés de l’Ukraine.

S’agissant du « cas » CNews, Christophe Deloire salue, ce 13 février, une décision « historique pour la démocratie et le journalisme », qui va « vraiment changer la donne » en amenant « le régulateur de l’audiovisuel à être enfin à la hauteur des enjeux » : « l'Arcom va devoir renforcer le contrôle qu'il exerce sur le respect des obligations de pluralisme et d'indépendance de l'information dans l'ensemble du paysage audiovisuel français (...) La décision du Conseil d’État réaffirme l’importance du pluralisme interne dans les médias audiovisuels à l’heure où la conversation publique court plus que jamais le risque d’être fragmentée, et le caractère indispensable de l’indépendance de l’information » écrit le secrétaire général.

De son côté, l’Arcom a annoncé par voie de presse avoir « pris connaissance de la décision » et indiqué qu’elle réexaminerait, « conformément [à ses termes] », le recours de l’association, tout en actant que la juridiction avait eu une « interprétation renouvelée » de la loi de 1986 en renforçant sa capacité de contrôle des obligations des médias.

Désormais, l’Arcom a donc six mois pour passer au crible le respect, par CNews, de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information.

Bérengère Margaritelli (avec communiqué)

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