Quel
que soit le secteur d’activité dans lequel l’influenceur opère – artistique,
politique ou commercial –, il incarne le « gourou » suivi par des followers formant une
communauté fondée sur le culte de la personnalité. Ainsi, la particularité ou
l’essence de cette activité induit de multiples zones d’ombres, car de
l’influence à la contrainte, il n’y a qu’un pas. Les influenceurs sont les
acteurs incontournables de l’écosystème des réseaux sociaux, et ne peuvent échapper à la
responsabilité du contenu qu’ils diffusent sur les
différents réseaux sociaux1. La mise en exergue du
corpus de règles applicables à cette activité est l’objet de cette étude.
En
effet, cette activité ne connaît pas de réglementation spécifique, à
l’exception du secteur de la santé, comme l’illustre le Code de la santé
publique à l’article L. 1453-1, 7°, mais aussi de la loi n° 2020-1266 du 19
octobre 20202 portant sur l’exploitation commerciale de l’image
d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, ce qui permet de
déployer une protection de l’enfance dans le domaine de l’influence via le Code
du travail.
Soutenir qu’il n’existe pas de règles spécifiques aux
influenceurs est une affirmation à nuancer, même si elle résulte certainement
de l’absence de statut juridique et de définition juridique de l’influenceur3.
Il convient tout de même de préciser que l’Autorité de régulation professionnelle
de la publicité (ARPP) donne une définition de l’influenceur comme étant « un
individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine
spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son
audience identifie4 ». Son activité est donc soumise aux
exigences des bonnes pratiques établies par l’ARPP, en particulier celles de la
recommandation « communication
publicitaire digitale v45 ». Cette soumission au droit souple
qui se concrétise par l’application des recommandations de l’ARPP, en général,
n’exclut pas l’application de certains textes de droit classique. Ceci dit, la
question de droit dédié ou non est rhétorique, car même en l’absence de statut
juridique, l’influenceur est responsable du contenu qu’il poste.
Cette responsabilité se cristallise au travers des textes
qui s’appliquent au statut de l’influence, mais aussi dans ceux qui visent son
activité commerciale.
L’encadrement
juridique de l’expression de l’influenceur
L’article 10 de la Convention européenne des droits de
l’homme consacre et protège la liberté d’expression sans distinction entre
internautes « professionnels », ou
simples utilisateurs des réseaux sociaux, offrant, de facto, la
protection de la sacro-sainte liberté d’expression aux influenceurs.
Au
demeurant, cette liberté d’expression n’est pas absolue, l’influenceur peut
être tenu responsable s’il dépasse les limites admissibles à la liberté
d’expression comme définie par les juges6. La loi sur la liberté de
la presse du 29 juillet 1881 lui est aussi applicable dans le cas d’injures ou
de diffamation. Enfin, l’influenceur peut voir sa responsabilité pénale engagée
en cas de propos racistes ou de cyber harcèlement.
Quant à la responsabilité en tant qu’éditeur de contenu,
l’influenceur est responsable du contenu qu’il diffuse au public, peu importe
la taille de l’influence qu’il possède ou s’il est rémunéré ou non pour les
posts publiés. Ainsi, dès lors que l’influenceur est le titulaire de comptes
sur les réseaux sociaux, il se voit appliquer le statut « d’utilisateur d’un
service de partage de contenu en ligne ». Il est donc considéré comme un
directeur de publication au sens de la loi du 29 juillet 1982 sur la
communication audiovisuelle, et comme éditeur de contenu au sens de la loi sur
la confiance dans l’économie numérique du 24 juin 2004.
L’encadrement
de l’activité commerciale de l’influenceur
Depuis un arrêt de 20137, la Cour de
cassation reconnaît les réseaux sociaux comme un support de publicité, même si
cette dernière émane d’un particulier. Toute la difficulté concernant le rôle de
l’influenceur est d’établir le distinguo entre la publicité commerciale
et la libre expression spontanée. En effet, le caractère publicitaire d’une
vidéo ou d’un post est parfois difficile à déceler. De plus, ce phénomène est
accentué par l’existence de la publicité informative.
Cependant,
la question de la qualification de publicité peut-être aisément résolue par
l’existence ou non d’un partenariat contractualisé entre l’annonceur et
l’influenceur. Lorsque les conditions de travail sont encadrées légalement, il n’y a nul doute sur le
caractère commercial de la publicité qui nous est soumise. En revanche,
l’absence de contrat est problématique mais ne dégage pas automatiquement le
caractère publicitaire de la publication.
L’ARPP,
dans sa recommandation « communication publicitaire digitale v4 », a introduit
un certain nombre de bonnes pratiques et de règles déontologiques applicables à
la publicité des influenceurs.
Selon
cette autorité, la qualification publicitaire d’un contenu d’influenceur est
retenue lorsque trois conditions cumulatives sont réunies : le contenu doit
être la résultante d’un cadre d’engagement réciproque avec la marque, il doit
viser la promotion de produits ou services, et la marque doit exercer un
contrôle soit lors de l’édition, soit par validation du contenu. Par ailleurs,
et pour éviter tout risque de confusion, la publicité doit contenir explicitement la mention de collaboration.
Une parenthèse mérite d’être ouverte ici. La notion même
de publicité, même si plusieurs textes y font référence, n’est cependant pas
clairement établie. Concrètement, certains textes font référence à la publicité
au détour de certaines notions, comme la publicité trompeuse, sans en offrir
une définition directe. Par exemple, la directive 2006/114/CE offre une
définition vague qui se décline en deux temps. La publicité couvre les
situations de communication qui ont pour but la promotion de bien ou de
services, et cela, dans le cadre d’une activité commerciale industrielle
artisanale ou libérale.
Quant à l’article 2 du décret n° 92-280 du 27 mars 1982,
portant sur la publicité et les parrainages audiovisuels, ce dernier offre une
définition sensiblement similaire à celle de la directive précédemment citée. Il
faut donc constater que le droit souple est plus efficient sur la question de
la publicité des influenceurs que le droit classique.
L’application du droit de la consommation à la situation
de l’influenceur est soumise à la reconnaissance en faveur de ce dernier, de la
qualité de professionnel. La jurisprudence française, pour retenir la qualité
de professionnel, fait usage de l’article liminaire du Code de la consommation
en appliquant la méthode du faisceau d’indices. Ainsi, la rémunération et
l’habitude sont les indices les plus importants pour conclure à l’existence ou non de cette qualité de professionnel.
La jurisprudence européenne va dans le même sens en affirmant que la qualité de
professionnel n’est pas forcément liée à celle de commerçant.
La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, dite loi pour la
confiance numérique, pose à son article 20 une obligation de transparence qui
affirme que dans le cadre de la publicité, la personne pour laquelle la publicité
a été réalisée doit clairement être identifiable, exigence de transparence
reprise par la recommandation « communication publicitaire digitale » de
l’ARPP. Cette obligation de transparence se retrouve aussi dans le Code de la
consommation dans lequel un influenceur peut-être poursuivi pour pratiques
commerciales trompeuses si la personne pour laquelle la publicité a été mise en
œuvre n’est pas clairement identifiable (voir en ce sens les dispositions de
l’article L. 121-2, 3°, ou encore, l’article L. 121-4, 11° du même code qui
ajoute que doit clairement être indiqué le professionnel qui finance la
publicité. L’article L. 121-4, 21° vise, quant à lui, le cas dans lequel
l’influenceur affirmerait faussement ou donnerait une fausse impression de ne
pas agir dans le cadre commercial).
Dans le cadre de la publicité comparative, les
influenceurs réalisent souvent des vidéos dans lesquelles ils effectuent des comparatifs entre marques. Lorsque cette action est
faite à des fins descriptives et non publicitaires, l’influenceur est alors
protégé par le droit à l’information. Dans le cas contraire, et s’il perçoit
une rémunération ou une
quelconque contrepartie, son activité entre
dans le champ professionnel, il peut donc faire l’objet de poursuites sur le
fondement de l’article L. 122-1 du Code de la consommation, si cette
comparaison est de nature à induire en erreur, à dénigrer ou à créer une confusion
entre les marques.
Un autre fondement peut être avancé ici : celui de
l’article 1240 du Code civil sur le dénigrement. Ce dernier consiste à jeter le
discrédit sur les produits et services d’une entreprise, même en l’absence de
toute situation de concurrence. Reste à apporter une nuance relative aux sujets
d’intérêt général et ceux qui reposent sur une
base factuelle suffisante, ici, leur divulgation repose sur le droit à la
liberté d’expression et de la libre critique, à condition que son expression
soit mesurée.
Quant au parasitisme, l’influenceur ne peut être
condamné parce qu’il recherche des abonnés pour augmenter son influence, car
ces derniers ne sont pas assimilables à une clientèle. Il n’y a donc pas de
détournement de clientèle lorsqu’un influenceur invite les followers d’un autre influenceur à le suivre aussi. Ce
qui est condamnable pour parasitisme, c’est l’usage de la notoriété d’un réseau
social afin de se placer intentionnellement dans le sillage du réseau en
question pour gagner en notoriété.
1) I. Boismery, La responsabilité des
influenceurs : Comm. com. électr. 2022, étude 8. – T. Girard-Gaymard, Les
influenceurs et le droit : D. 2020, p. 92. – M. Malaurie-Vignal, Les
influenceurs et la mode – Approche pluridisciplinaire : de la difficulté à
protéger influenceur, maison de mode et consommateur : Dalloz IP/IT 2020, p.
465.
2) Comm.com.électr.2021, étude 9,
L.L’Honnen-Frossard.
3)
www.ouest-france.fr/reflexion/editorial/editorial-reseaux-sociaux-zones-de-nondroit-7113801
4) ARPP, Recommandation publicité
digitale v4.
5) op.cit.6
6) Cass. crim, 8 janvier 2019, n°
17-81.396, EOLAS : JurisData n° 2019-000066.
7) Cass. 1re civ., 3 juill. 2013, n°
12-22.633 : JurisData n° 2013-013917 ; Comm. com. électr. 2013, comm. 104, note
A. Debet.
Ghizlane
Loukili,
Doctorante
en droit privé spécialité droit du numérique,
Université Hassan 1er de Settat (Maroc)