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Le droit applicable aux influenceurs : entre absence de régime spécifique et multitude de règles applicables

Le droit applicable aux influenceurs : entre absence de régime spécifique et multitude de règles applicables
Publié le 12/09/2022 à 11:28

Quel que soit le secteur d’activité dans lequel l’influenceur opère – artistique, politique ou commercial –, il incarne le « gourou » suivi par des followers formant une communauté fondée sur le culte de la personnalité. Ainsi, la particularité ou l’essence de cette activité induit de multiples zones d’ombres, car de l’influence à la contrainte, il n’y a qu’un pas. Les influenceurs sont les acteurs incontournables de l’écosystème des réseaux sociaux, et ne peuvent échapper à la responsabilité du contenu quils diffusent sur les différents réseaux sociaux1. La mise en exergue du corpus de règles applicables à cette activité est l’objet de cette étude.

En effet, cette activité ne connaît pas de réglementation spécifique, à l’exception du secteur de la santé, comme l’illustre le Code de la santé publique à l’article L. 1453-1, 7°, mais aussi de la loi n° 2020-1266 du 19 octobre 20202 portant sur l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne, ce qui permet de déployer une protection de l’enfance dans le domaine de l’influence via le Code du travail.

Soutenir qu’il n’existe pas de règles spécifiques aux influenceurs est une affirmation à nuancer, même si elle résulte certainement de l’absence de statut juridique et de définition juridique de l’influenceur3. Il convient tout de même de préciser que l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) donne une définition de l’influenceur comme étant « un individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres et que son audience identifie4 ». Son activité est donc soumise aux exigences des bonnes pratiques établies par l’ARPP, en particulier celles de la recommandation « communication publicitaire digitale v45 ». Cette soumission au droit souple qui se concrétise par l’application des recommandations de l’ARPP, en général, n’exclut pas l’application de certains textes de droit classique. Ceci dit, la question de droit dédié ou non est rhétorique, car même en l’absence de statut juridique, l’influenceur est responsable du contenu qu’il poste.

Cette responsabilité se cristallise au travers des textes qui s’appliquent au statut de l’influence, mais aussi dans ceux qui visent son activité commerciale.

 

 


L’encadrement juridique de l’expression de l’influenceur

L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme consacre et protège la liberté d’expression sans distinction entre internautes « professionnels », ou simples utilisateurs des réseaux sociaux, offrant, de facto, la protection de la sacro-sainte liberté d’expression aux influenceurs.

Au demeurant, cette liberté d’expression n’est pas absolue, l’influenceur peut être tenu responsable s’il dépasse les limites admissibles à la liberté d’expression comme définie par les juges6. La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 lui est aussi applicable dans le cas d’injures ou de diffamation. Enfin, l’influenceur peut voir sa responsabilité pénale engagée en cas de propos racistes ou de cyber harcèlement.  

Quant à la responsabilité en tant qu’éditeur de contenu, l’influenceur est responsable du contenu qu’il diffuse au public, peu importe la taille de l’influence qu’il possède ou s’il est rémunéré ou non pour les posts publiés. Ainsi, dès lors que l’influenceur est le titulaire de comptes sur les réseaux sociaux, il se voit appliquer le statut « d’utilisateur d’un service de partage de contenu en ligne ». Il est donc considéré comme un directeur de publication au sens de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, et comme éditeur de contenu au sens de la loi sur la confiance dans l’économie numérique du 24 juin 2004.

 








 

L’encadrement de l’activité commerciale de l’influenceur

Depuis un arrêt de 20137, la Cour de cassation reconnaît les réseaux sociaux comme un support de publicité, même si cette dernière émane dun particulier. Toute la difficulté concernant le rôle de l’influenceur est d’établir le distinguo entre la publicité commerciale et la libre expression spontanée. En effet, le caractère publicitaire d’une vidéo ou d’un post est parfois difficile à déceler. De plus, ce phénomène est accentué par l’existence de la publicité informative. 

Cependant, la question de la qualification de publicité peut-être aisément résolue par l’existence ou non d’un partenariat contractualisé entre l’annonceur et l’influenceur. Lorsque les conditions de travail sont encadrées légalement, il n’y a nul doute sur le caractère commercial de la publicité qui nous est soumise. En revanche, l’absence de contrat est problématique mais ne dégage pas automatiquement le caractère publicitaire de la publication.

L’ARPP, dans sa recommandation « communication publicitaire digitale v4 », a introduit un certain nombre de bonnes pratiques et de règles déontologiques applicables à la publicité des influenceurs.

Selon cette autorité, la qualification publicitaire d’un contenu d’influenceur est retenue lorsque trois conditions cumulatives sont réunies : le contenu doit être la résultante d’un cadre d’engagement réciproque avec la marque, il doit viser la promotion de produits ou services, et la marque doit exercer un contrôle soit lors de l’édition, soit par validation du contenu. Par ailleurs, et pour éviter tout risque de confusion, la publicité doit contenir explicitement la mention de collaboration. 

Une parenthèse mérite d’être ouverte ici. La notion même de publicité, même si plusieurs textes y font référence, n’est cependant pas clairement établie. Concrètement, certains textes font référence à la publicité au détour de certaines notions, comme la publicité trompeuse, sans en offrir une définition directe. Par exemple, la directive 2006/114/CE offre une définition vague qui se décline en deux temps. La publicité couvre les situations de communication qui ont pour but la promotion de bien ou de services, et cela, dans le cadre d’une activité commerciale industrielle artisanale ou libérale. 

Quant à l’article 2 du décret n° 92-280 du 27 mars 1982, portant sur la publicité et les parrainages audiovisuels, ce dernier offre une définition sensiblement similaire à celle de la directive précédemment citée. Il faut donc constater que le droit souple est plus efficient sur la question de la publicité des influenceurs que le droit classique. 

L’application du droit de la consommation à la situation de l’influenceur est soumise à la reconnaissance en faveur de ce dernier, de la qualité de professionnel. La jurisprudence française, pour retenir la qualité de professionnel, fait usage de l’article liminaire du Code de la consommation en appliquant la méthode du faisceau d’indices. Ainsi, la rémunération et l’habitude sont les indices les plus importants pour conclure à l’existence ou non de cette qualité de professionnel. La jurisprudence européenne va dans le même sens en affirmant que la qualité de professionnel n’est pas forcément liée à celle de commerçant. 

La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, dite loi pour la confiance numérique, pose à son article 20 une obligation de transparence qui affirme que dans le cadre de la publicité, la personne pour laquelle la publicité a été réalisée doit clairement être identifiable, exigence de transparence reprise par la recommandation « communication publicitaire digitale » de l’ARPP. Cette obligation de transparence se retrouve aussi dans le Code de la consommation dans lequel un influenceur peut-être poursuivi pour pratiques commerciales trompeuses si la personne pour laquelle la publicité a été mise en œuvre n’est pas clairement identifiable (voir en ce sens les dispositions de l’article L. 121-2, 3°, ou encore, l’article L. 121-4, 11° du même code qui ajoute que doit clairement être indiqué le professionnel qui finance la publicité. L’article L. 121-4, 21° vise, quant à lui, le cas dans lequel l’influenceur affirmerait faussement ou donnerait une fausse impression de ne pas agir dans le cadre commercial).

Dans le cadre de la publicité comparative, les influenceurs réalisent souvent des vidéos dans lesquelles ils effectuent des comparatifs entre marques. Lorsque cette action est faite à des fins descriptives et non publicitaires, l’influenceur est alors protégé par le droit à l’information. Dans le cas contraire, et s’il perçoit une rémunération ou une quelconque contrepartie, son activité entre dans le champ professionnel, il peut donc faire l’objet de poursuites sur le fondement de l’article L. 122-1 du Code de la consommation, si cette comparaison est de nature à induire en erreur, à dénigrer ou à créer une confusion entre les marques.

Un autre fondement peut être avancé ici : celui de l’article 1240 du Code civil sur le dénigrement. Ce dernier consiste à jeter le discrédit sur les produits et services d’une entreprise, même en l’absence de toute situation de concurrence. Reste à apporter une nuance relative aux sujets d’intérêt général et ceux qui reposent sur une base factuelle suffisante, ici, leur divulgation repose sur le droit à la liberté d’expression et de la libre critique, à condition que son expression soit mesurée.

Quant au parasitisme, l’influenceur ne peut être condamné parce qu’il recherche des abonnés pour augmenter son influence, car ces derniers ne sont pas assimilables à une clientèle. Il n’y a donc pas de détournement de clientèle lorsqu’un influenceur invite les followers d’un autre influenceur à le suivre aussi. Ce qui est condamnable pour parasitisme, c’est l’usage de la notoriété d’un réseau social afin de se placer intentionnellement dans le sillage du réseau en question pour gagner en notoriété.

 

 

1) I. Boismery, La responsabilité des influenceurs : Comm. com. électr. 2022, étude 8. – T. Girard-Gaymard, Les influenceurs et le droit : D. 2020, p. 92. – M. Malaurie-Vignal, Les influenceurs et la mode – Approche pluridisciplinaire : de la difficulté à protéger influenceur, maison de mode et consommateur : Dalloz IP/IT 2020, p. 465.

2) Comm.com.électr.2021, étude 9, L.L’Honnen-Frossard.

3) www.ouest-france.fr/reflexion/editorial/editorial-reseaux-sociaux-zones-de-nondroit-7113801

4) ARPP, Recommandation publicité digitale v4.

5) op.cit.6

6) Cass. crim, 8 janvier 2019, n° 17-81.396, EOLAS : JurisData n° 2019-000066.

7) Cass. 1re civ., 3 juill. 2013, n° 12-22.633 : JurisData n° 2013-013917 ; Comm. com. électr. 2013, comm. 104, note A. Debet.

 



Ghizlane Loukili,

Doctorante en droit privé spécialité droit du numérique,

Université Hassan 1er de Settat (Maroc)




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