Le
14 novembre 2022 se tenait au centre Panthéon une conférence sur « Le mineur
et les autorités de l’asile ». Nous avons abordé la première partie de
cet événement, consacrée aux questions de procédure, le mois dernier sur notre
site, et dans l’édition papier du JSS du 23 novembre. Nous nous intéressons
cette fois-ci à la seconde partie, consacrée aux persécutions des mineurs. Pour
ces enfants, le traumatisme intervient avant, pendant et après l’exil. Le
pédopsychiatre et psychothérapeute Dominique Brengard parle de « grands
brûlés psychiques ».
Coralie
Capdeboscq, cheffe de la mission Vulnérabilités au sein de la division des
affaires juridiques, européennes et internationales de l’OFPRA, précise que 103
164 affaires de protection internationale ont été introduites auprès de
l’office en 2021. Sur cette masse, seulement 867 premières demandes présentées
par des mineurs non-accompagnés apparaissent. La méconnaissance de la procédure
explique ce chiffre réduit, d’autant qu’elle est vue comme secondaire. Il est
parfois admis à tort que l’aide sociale à l’enfance (ASE) parvient à tout
résoudre. Or, un mineur non-accompagné peut continuer à relever d’une
protection au titre de l’asile, laquelle ne s’arrête pas à ses 18 ou 21 ans,
mais perdure aussi longtemps que la crainte a des raisons d’exister en cas de
retour.
Pour
les mineurs non accompagnés, les taux de protection de l’OFPRA et de la Cour
nationale du droit d’asile (CNDA) sont élevés. La somme des deux arrive à un
taux supérieur à 80 %. S’agissant des profils, la très grande majorité se
compose de garçons de 16 ou 17 ans. Les premiers pays de provenance sont
l’Afghanistan, la Côte d’Ivoire, le Bangladesh, la Guinée et la Turquie.
L’OFPRA n’établit pas de statistiques selon les motifs des demandes, mais
observe malgré tout des tendances.
Pour
la demande des mineurs accompagnés – en France avec leurs parents –, les choses
se passent selon un mode assez standard. On constate une proportion importante
des demandes d’asile qui sont présentées pour des jeunes filles et des
fillettes mineures. Cela s’explique par le risque de mutilation sexuelle féminine.
C’est un motif de protection au titre de l’asile. Le profil majoritaire dans la
demande aujourd’hui est celui d’une mineure accompagnée par un parent sur le
territoire français, le parent ayant lui-même un statut administratif divers.
Il est demandeur d’asile, protégé, débouté ou en séjour. Les jeunes filles
proviennent de la zone subsaharienne et de la bande sahélienne. Dans ces
affaires, afin d’objectiver le besoin de protection, un certificat médical est
impérativement délivré par un médecin légiste au sein d’une unité médico
judiciaire (UMJ). Actuellement, environ 16 000 jeunes filles mineures sont
protégées par l’OFPRA sur ce fondement. Afin de s’assurer de l’effectivité de
la protection, un certificat médical est régulièrement demandé (tous les cinq
ans au minimum).
Quand
le mineur émet ses propres craintes
Un
jeune peut avoir des craintes personnelles. Dans ce cas, y compris dans le
cadre de la demande d’asile familiale, lorsque le mineur émet des craintes
propres pour des motifs distincts de ceux de ses parents, l’OFPRA sépare les
dossiers, conduit une instruction individuelle et motive une décision
particulière en principe au représentant légal. Dans certains cas, une audition
du mineur seul peut être organisée. L’article L. 531-13 du CESEDA dispose :
« L’OFPRA peut entendre individuellement un demandeur mineur dans les
mêmes conditions qu’un majeur s’il estime raisonnable de penser que ce mineur
aurait pu subir des persécutions ou des atteintes graves dont les membres de sa
famille n’auraient pas connaissance. » Il peut s’agir, par exemple, de son
orientation sexuelle. L’office prend en compte l’intérêt supérieur de l’enfant
à toutes les étapes de la procédure. Il y a des cas, comme un mariage forcé, où
les représentants légaux, donc les parents, peuvent être impliqués directement
dans les violences à l’égard du mineur. Dans une telle situation, la
notification ou la non-notification de la décision individuelle au représentant
légal dépendra de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le mineur est entendu en
principe, par l’intermédiaire des déclarations de ses parents, et
individuellement si nécessaire, lorsqu’il a atteint l’âge de discernement.
À
propos des motifs que peuvent faire valoir les enfants, la Convention de Genève
de 1951 ne fait pas de distinction selon l’âge. L’acte final de la conférence
des plénipotentiaires a recommandé au gouvernement de prendre les mesures
nécessaires pour la protection des réfugiés mineurs, et notamment les enfants
isolés. L'article 1 de la Convention de Genève de 1951 n’avance pas de
motif lié à l’âge, mais il désigne comme réfugié toute personne « craignant
avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa
nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions
politiques ». Le terme de persécution n’a pas été défini dans la
Convention de Genève, il renvoie néanmoins à des violations graves des droits
humains ainsi que des droits spécifiques des enfants.
Le
mineur demandeur d’asile peut être exposé à un risque de persécution pour les
mêmes motifs que l’adulte, mais aussi pour des motifs qui lui sont imputés.
L’article L. 511-5 du CESEDA, qui a transposé l’article 10 § 2 des directives
européennes dites « Qualification », rappelle que lorsque l’autorité compétente
évalue si un mineur craint avec raison d’être persécuté, il est indifférent que
celui-ci possède effectivement les caractéristiques liées au type de la
persécution. Par exemple pour les opinions politiques, un mineur peut bien sûr
être actif politiquement dans le cadre d’un engagement dans un mouvement de
jeunesse d’un parti politique. Cependant, dans la réalité des demandes d’asile
observées, ce sont les opinions politiques des parents, des membres de la
famille qui, d’une certaine façon, « retombent » sur le mineur. C’est le cas
même si l’enfant n’a pas de connaissance précise de l’activité politique du
parent susceptible de générer des craintes.
L’OFPRA
adapte ses attentes en matière d’information. Le mineur n’en reçoit pas
forcément l’intégralité. Ainsi, des opinions peuvent être reprochées à un jeune
Afghan par le régime taliban actuel. Se combinent des raisons d’ordre
politique, religieux, ethnique. S’agissant du culte, un enfant n’a aucune prise
sur sa religion qui lui vient de son éducation. Il est considéré comme ayant
une croyance religieuse spécifique, celle attribuée à ses parents. En août
2014, Daech a perpétré un génocide à l’encontre des Yézidis d’Irak. Les filles
mineures ont été réduites en esclavage sexuel, et les garçons enrôlés de force
comme soldats. L’OFPRA a participé à un programme de réinstallation de ces
femmes et de ces enfants. Quelques formes de persécution sont spécifiques aux
enfants : enfant soldat, enfant sorcier, traite d’enfant, bacha bazi, etc.
Le
prisme de l’intérêt supérieur de l’enfant
Les
craintes personnelles évoluent en permanence, souligne Priscillia de Corson,
juge-assesseur à la CNDA. Entendre un mineur dans l’exposé de ses craintes
comporte une difficulté intrinsèque. Le Comité des droits de l’enfant a
identifié quatre dispositions pour accompagner toute action visant à protéger
les mineurs. Il s’appuie sur quatre articles :
-
l’article 2, l’obligation pour les États de respecter les droits qui sont
énoncés dans la Convention et de les garantir à tout enfant relevant de leurs compétences,
sans discrimination aucune, bien entendu aux enfants nationaux comme aux
enfants étrangers ;
-
l’article 3-1, lequel dit que l’intérêt supérieur de l’enfant est une
considération primordiale qui doit dicter l’analyse de la situation et la manière
de recevoir son récit de persécutions ;
-
l’article 6, le droit à l’enfant, à la vie et l’obligation des États parties à
assurer, dans la mesure du possible, la survie et le développement de l’enfant
;
-
et l’article 12, le droit de l’enfant d’exprimer librement son opinion sur
toute question l’intéressant, et que ses opinions soient dument prises en
considération. Cette ligne et quelques principes directeurs du HCR guident la
manière d’étudier la demande d’asile d’un mineur.
La
protection du mineur du fait de celle de ses parents n’exclut aucunement de
l’interroger et de l’amener à s’exprimer sur ses craintes propres,
particulièrement pour les pays où il a un statut secondaire. Outre son âge, des
facteurs doivent être pris en compte, tels que les droits spécifiques des
enfants, leur maturité, leurs connaissances ou souvenirs de la situation dans
leur pays d’origine, leur vulnérabilité. Il faut rester attentif à la
détermination de l’âge, ne pas essayer de faire passer pour adultes des jeunes,
et respecter les garanties procédurales qui leur sont réservées.
L’établissement des faits et le recueil du récit des mineurs permettent aux
jeunes d’exprimer leurs opinions et de participer de manière significative aux
procédures. Pour les plus petits, c’est leur représentant qui s’exprime pour
eux. Il convient d’avoir la certitude qu’il respecte l’intérêt de l’enfant.
Si
le mineur est en capacité de se faire entendre, il faut établir une relation de
confiance pour libérer sa parole. Il arrive que le jeune éprouve du mal à faire
état de ses craintes, soit que ses parents lui interdisent d’en parler, soit
qu’il ait peur de la personne titulaire de l’autorité, amenée à analyser sa
demande de protection internationale. Certains utilisent les témoignages
rédigés par les passeurs, d’autres se méfient de représailles... une multitude
de contextes peuvent emprisonner la livraison du récit. Dans cette position
inconfortable pour un enfant, un adulte, moins vulnérable, a une plus grande
capacité à résister aux influences externes. Pour les mineurs non accompagnés,
L’OFPRA considère l’existence du discernement dès l’âge de 13 ans, d’autres
institutions lui préfèrent l’âge de 16 ans.
La
maturité de l’enfant, ses aptitudes de communication et de compréhension sont
de toutes façons très diverses. S’il ne peut pas verbaliser, l’autorité se base
sur des éléments objectifs, par exemple sur les craintes auxquelles fait face
le groupe avec lequel il est arrivé. Les informations sur la situation typique
des mineurs dans son pays d’origine sont également à connaître. Pour apprécier
la gravité des persécutions, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant
exige une évaluation des préjudices depuis son point de vue, sachant que son
seuil de tolérance est plus faible que celui d’un adulte.
Les
enfants ont des besoins sociaux, économiques et culturels. Selon le Comité des
droits de l’enfant, le droit à la survie et au développement ne peut être
assuré que de manière holistique. C’est-à-dire en mettant en œuvre toutes les
autres dispositions de la convention, notamment les droits à la santé, à une
alimentation adéquate, à la Sécurité sociale, à un niveau de vie suffisant, à
un environnement sain et sûr et à l’éducation et aux loisirs. Bafouer un de ces
droits implique une persécution. La charge de la preuve est assouplie dans le
cas de l’analyse des craintes d’un enfant mineur. Moins d’éléments lui sont
demandés, et par conséquent, la personne en charge de l’analyse du dossier doit
réaliser plus de démarches pour récolter elle-même des informations. Si les
faits ne peuvent pas être vérifiés ou si l’enfant est incapable d’expliquer
totalement sa demande, la personne qui statue doit prendre une décision sur la
base de toutes les circonstances connues. Cela entraine parfois une application
large de la notion de bénéfice du doute.
Le
cas des enfants soldats
En
2018, plus de 24 000 violations graves contre des enfants ont été recensées
dans des zones en conflit, dont 12 000 meurtres ou mutilations. Ces chiffres ne
tiennent compte que des cas portés à la connaissance des Nations unies. Les
traités généralement ratifiés s’accordent sur le fait que l’enrôlement est
impossible avant 15 ans. 18 ans ne constituent donc pas une limite unanimement
observée.
Il
existe une distinction d’enrôlement « volontaire » entre armées
régulières et milices. Les interdictions de recruter les mineurs sont beaucoup
plus vives dans les milices. En revanche, une tolérance est observée pour
l’engagement « volontaire » de mineurs dans les armées étatiques. En
réalité, le jeune se présente seul au recrutement, parce que sa famille n’a
pas, comme l’armée, les moyens de le nourrir ; parce qu’il fuit le mariage précoce
que ses parents lui ont prévu, ou toute autre persécution à son encontre.
Quant
à l’enrôlement forcé, l’agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), le
Comité des droits de l’enfant, et les autres institutions internationales le
classent évidemment comme une persécution, et les tribunaux pénaux
internationaux le qualifient même de crime de guerre. Ces enfants sont des
victimes lourdement atteintes. Les personnes qui évaluent leur situation se
trouve souvent face à un problème de clauses d’exclusion. En effet, non
seulement ces jeunes ont été témoins d’exactions et d’atrocités, mais ils ont
été conduits à en commettre eux-mêmes.
Que
faire ? Il s’agit d’évaluer leur maturité affective, psychologique et
intellectuelle. Le raisonnement classique en matière d’exclusion suit son
cheminement : évaluer les actes pour savoir s’ils répondent à ceux qui peuvent
donner lieu à une exclusion ; établir si l’enfant a commis un crime qui relève
de ce champ-là, et si en le commettant il a entrainé sa responsabilité pénale ;
puis, si une responsabilité individuelle existe, est-ce que l’exclusion est
proportionnée ?
Traumatisme
et reconstitution du récit
Le
service de consultation pédopsychiatrique du service public traite des enfants
depuis la périnatalité (les 1000 premiers jours) jusqu’à 18 ans (décret de
septembre 2022). Dix unités mobiles périnatales ont été créées, mais les moyens
restent insuffisants. Le pédopsychiatre et psychothérapeuthe Dominique
Brengard, martèle : « Les enfants entendus ont été traumatisés. » Il
faut en tenir compte. Le traumatisme est comparable à une effraction de
contenant à trois niveaux : psychique, familial et communautaire.
Au
niveau intrapsychique, chaque membre de la famille peut être impacté. Le choc
émotionnel reçu est si brutal que le contenant ne peut pas lui résister. Il met
en place des moyens de défense pour essayer de survivre, c’est-à-dire ne pas
devenir fou ou ne pas développer des symptômes somatiques graves de stress
(infarctus…). Le traumatisme intervient avant, pendant et après l’exil.
Dominique Brengard parle de « grands brûlés psychiques ». Les syndromes
post-traumatiques complets ou partiels s’observent sous forme de troubles du
sommeil avec cauchemar, des réminiscences, de sidération psychique, de troubles
importants de la mémoire, d’inhibition cognitive, de difficultés
d’apprentissage, de troubles du comportement, de déréalisation, de dissociation,
de déni, de honte. Dès lors, la reconstitution fiable du récit et sa
temporalité exige une psychothérapie. Plus un enfant est jeune, plus il
s’exprime par le corps. Il montre des symptômes somatiques, des gestes, des
comportements qu’il faut décoder en fonction du contexte. De cinq ans à la
préadolescence, les dessins constituent un bon vecteur pour libérer la parole.
Simultanément, il est essentiel d’informer l’enfant sur sa situation
administrative et juridique.
Au
jeune âge est associée l’absence de discernement, de possibilité de parler, et
surtout de connaissances de ses droits. Raison pour laquelle l’enfant va
toujours passer par l’intervention d’un tiers qui l’aide, par exemple un
éducateur, énonce Brigitte Jeannot, avocate au barreau de Nancy. La procédure
est susceptible de retraumatiser le mineur, car elle amène à revenir sur
l’ensemble de son parcours de vie. La question du non-retour dans le pays
d’origine, conséquence de la protection internationale est aussi parfois un
élément de blocage, et globalement l’absence d’évaluation de l’intérêt
supérieur de l’enfant influe aussi.
À
cela s’ajoutent les obstacles institutionnels envisageables, il n’est pas
évident de savoir si tel jeune relève ou pas de l’asile. Les personnes qui
s’occupent d’un mineur essayent de qualifier la situation qu’il a pu vivre dans
son pays. C’est délicat car l’enfant peut avoir des réactions de repli et
refuser de parler de son parcours. De multiples types de persécutions donnent
lieu à une demande d’asile : les persécutions en rapport avec l’appartenance à
un groupe social, l’orientation sexuelle, celles dirigées à l'encontre des
enfants sorciers et des enfants albinos, les mariages forcés, les enfants
exploités maintenus en servitude, soumis au travail forcé, obligés de se livrer
à la mendicité, soit dans leur pays d’origine, soit même parfois en France,
etc.
Les
mineurs accompagnés de leurs parents ne sont pas entendus en général. Beaucoup
de travailleurs sociaux ne connaissent pas les dispositions de la loi du 10
août 2018. Ils ignorent l’importance, dès la demande d’asile des parents,
d’évoquer la situation des enfants. Le système est déclaratoire. L’autre
difficulté majeure tient, répétons-le, au recueil de la parole. Le récit de la
personne et sa crédibilité sont appréciés. Or un individu vulnérable traumatisé
réclame du temps pour établir un lien de confiance et délivré son témoignage.
Le protocole d’Istanbul est un guide précieux qui aide à comprendre ces
situations. Il aborde concrètement la manière de conduire ce type d’entretien.
C2M