CULTURE

Les œuvres béninoises en France, des restitutions en instance ?

Les œuvres béninoises en France, des restitutions en instance ?
Publié le 28/11/2023 à 16:00

Les collections publiques de l’Hexagone renferment quantité d’objets venus de toute la planète, en particulier du continent africain. Longtemps après leur arrivée - parfois de façon contestable -, s’impose régulièrement une question : sommes-nous fondés à les conserver ?

Mi-novembre, l’institut Art & Droit a organisé une discussion sur les restitutions spécifiques au Bénin. Étaient notamment présentes à cette conférence, son excellence Corinne Amori Brunet, ambassadrice du Bénin en France, Géraldine Bannier et Anne Brugnera, toutes deux membres de la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale. Le président de l’association, Gérard Sousi, a rappelé en introduction que ce sujet polymorphe fait sporadiquement l’objet de débats parlementaires. Ainsi depuis le texte du 23 juillet 2023, il n’est plus nécessaire de voter une loi pour sortir des collections publiques les œuvres spoliées dans le contexte des persécutions antisémites. Plus récemment, le 13 novembre, une commission paritaire mixte a adopté la proposition de loi sur la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques.

S’agissant du Bénin, Gérard Sousi cède la parole à José Pliya, Chargé de mission Tourisme Arts et Culture du président de la République du Bénin.  « Ancienne colonie française, le Bénin est indépendant depuis 1960.  Le pays compte plus de 12 millions d'habitants et se situe entre le Togo et le Nigeria. A l'origine des restitutions, il y a Le président Talon lorsqu’il a décidé de s'engager dans la course à la présidentielle en 2016. Il a alors défini un programme avec des piliers de développement. Il y avait évidemment l'agriculture, parce qu’au Nord, on a un climat extrêmement favorable. On a également une activité commerciale intense grâce au port de Cotonou qui permet d'accueillir des marchandises et de desservir les pays enclavés comme le Burkina Faso ou le Niger. Et puis, à la surprise générale, il a introduit un pilier inattendu qui est le tourisme. Bon, ça a beaucoup étonné. Mais il avait une vision assez claire. Le Bénin a un potentiel touristique colossal qui n'a jamais été mis en valeur. Au Nord, nous avons le dernier grand parc animalier d'Afrique de l'Ouest. Au Sud nous avons l'océan Atlantique propice à l’installation d’hôtels. »

Des racines fédératrices

Entre ses deux pôles favorables au tourisme, le territoire est riche d’un art antérieur à la colonisation occidentale. Il témoigne de la culture laissée par le royaume du Dahomey et les premiers envahisseurs du Bénin. « La dynastie des rois d’Abomey a régné sur le pays pendant trois siècles. Elle a imposé une langue, le fon, une religion, le Vaudou. Elle a favorisé la production des artistes de cours. » L’offre touristique doit aussi s’appuyer sur la culture béninoise. C’est pourquoi quatre grands projets muséaux sont imaginés : le musée d'Abomey pour retracer l’épopée des rois et des amazones, le musée d'art contemporain à Cotonou, le musée du Vaudou et le musée de l'esclavage à Ouidah, port d’où environ 2 millions d'esclaves sont partis autrefois.

Mais à propos du musée d’Abomey, quand s’est posée la question de savoir quoi y exposer, il est apparu que beaucoup de pièces emblématiques du pays se trouvaient dans des collections en France. Comment ? Parce que par exemple, en 1894, après deux ans de combat, l’armée du roi Gbéhanzin qui s’opposait à la présence sur ses côtes des comptoirs français est défaite par les troupes ennemies. Le commandant du corps expéditionnaire français, le général Dodds, envoie en France « le butin » de la campagne. C’est ainsi que 26 objets royaux parfaitement identifiés étaient exposés au musée des arts premiers, quai Branly. 

Géraldine Bannier, José Pliya, Corinne Amori Brunet, Anne Brugnera, Gérard Sousi

Le Bénin, soucieux de se réapproprier son histoire, a demandé auprès du président François Hollande leur retour, mais c’est finalement Emmanuel Macron qui répondra favorablement à la requête. Le Président français s’affirme clairement pour les restitutions lorsque les conditions adéquates sont réunies. Dans son discours prononcé à Ouagadougou fin 2017, il déclare : « Je ne peux pas accepter qu'une large part du patrimoine culturel de plusieurs pays africains soit en France. » Il confirme sa position en commandant auprès des deux universitaires Felwine Sarr et Bénédicte Savoy le « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain - Vers une nouvelle éthique relationnelle ». Ce travail aboutit entre autres à une liste d’objets africains qui peuvent être rendus sans délai, dont les 26 trésors pris en 1894. Notons que le musée du quai Branly renferme plus de 3000 œuvres béninoises issues d’expéditions scientifiques, de trocs, d’achats, de pillages, etc.

Pour les Béninois, ces 26 pièces ne sont pas des œuvres d’art. Ce sont des objets de culte, souvent liés au Vaudou, des totems, des statues anthropo-zoomorphes pour célébrer tel ou tel roi. Elles portent un sens qui appartient à l’histoire du pays. Suite au vote unanime des parlementaires français, elles sont retournées sur leur territoire originel le 10 novembre 2021 et ont été nationalisées comme trésor national du Bénin. Leur première exposition à Cotonou a connu un succès colossal. Elle a drainé 300 000 visiteurs en 4 mois. Organisée au palais présidentiel, en attendant la fin de la construction du musée d’Abomey, elle mêlait créations contemporaines et trésors recouvrés.  

Le président Talon, souhaite que ces objets soient accessibles à sa population, mais aussi qu’ils voyagent pour être mis en valeur au cours d’expositions temporaires dans les grands musées étrangers. De son point de vue, le reste du monde viendra plus facilement les voir en France, en Angleterre ou aux USA. Cette idée est le point de départ d’une série d’expositions qui associent judicieusement le travail des artistes d’hier et d’aujourd’hui.

Viser la coopération et le rayonnement

Le Bénin vise la coopération culturelle. « Ça, c’est très important, insiste le chargé de mission, il ne s'agit pas de revendications, il ne s'agit pas de revanche, mais il s'agit de travailler ensemble parce que le pays a bien conscience que l'entretien, le cofinancement du musée qui va servir d’écrin pour accueillir les trésors, leur entretien – elles ont survécu plus d’un siècle, et elles sont fragiles – appelle un gros travail avec le quai Branly. » Les équipes françaises viennent régulièrement former celles du Bénin. « Il n'y a pas de volonté de récupérer les 3000 œuvres béninoises identifiées dans les collections françaises, parce que les obligations sont complexes. Et quand bien même on nous les rendrait, on ne saurait pas trop quoi en faire. » Pour José Pliya, la majorité des Européens et des Américains, ne va jamais venir au Bénin, mais ce serait bien qu'elle voit l’art de ses créateurs ailleurs.

En revanche, il reste quelques œuvres hautement symboliques demandées par le président Talon dans une deuxième phase qui pour l’instant n’ont pas reçu d’accord du parlement français : les tablettes du fâ, œuvre mythique de divination du célèbre devin ''Guèdègbé'', et surtout la statue du dieu Bou actuellement au Louvre, etc. Les tractations entre les deux ministères de la Culture continuent.

L'esprit reste vraiment celui de la coopération pour José Pliya : « J'écoutais hier soir un débat parlementaire sur une commission qui vient de faire un rapport sur la relation entre l’Afrique et la France. Elle pointait du doigt la carence dans la politique française de valorisation, de communication de choses extrêmement fortes comme celle-là qui ne sont pas assez relayées. Du coup la perception en Afrique est biaisée. Elle est intoxiquée par d'autres qui ont des intérêts différents. La recommandation des parlementaires et de la rapporteuse, madame Tabarot disait qu’il y a une nécessité à être beaucoup plus proactif sur ces véritables avancées qui sont intelligentes, qui sont sensibles et qui sont non pas militaires, mais vraiment sur les arts, la culture. Elles rassemblent plus qu'elles n'opposent. Nous, on est vraiment, au Bénin, conscient de ça. »

 

C2M


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