Annoncé
en octobre 2022, le tout premier projet d'exploitation d'un gisement de lithium
dans l'Allier avance. La Commission nationale du débat public (CNDP) a
récemment annoncé qu’un débat public, portant sur ce projet inédit de mine dans
l’Hexagone, se tiendrait au printemps 2024. Un questionnaire préliminaire au
débat a été mis en ligne pour recueillir les attentes du public sur ce sujet.
Les citoyens seront invités à participer localement, mais aussi à travers la
France.
Alors que les
crises récentes ont mis en lumière l'impérieuse nécessité de reconstituer une
capacité productive souveraine, la réindustrialisation doit tenir compte de
nouvelles contraintes environnementales et des enjeux « d'acceptabilité sociale ». Le débat organisé
questionnera, au-delà des frontières de l’Allier, les enjeux de planification
de la nouvelle industrie de l’or blanc en France.
Du kaolin
au lithium
EMILI. Le premier projet de mine de
lithium en France sonne doux. Il recouvre cependant des enjeux
environnementaux, socio-économiques et nationaux particulièrement forts. Le 24
octobre 2022, Imerys, entreprise française spécialisée dans la production et la
transformation de minéraux industriels, a annoncé le lancement du premier
projet d’exploitation de lithium en France. Objectif : fournir les gigafactories nationales
(voire européennes) de batteries pour
voitures électriques. Ce n’est pas seulement la première mine de lithium en
France, à l’heure où, après des décennies de délocalisations, la
réindustrialisation est redevenue une priorité nationale. Cette mine doit aussi
être « l'un des plus grands projets d'extraction
de lithium de l'Union européenne », précise l’industriel dans un
communiqué.
L’origine de cette mine remonte à 2005,
quand Imerys achète l’activité des kaolins de Beauvoir, à Echassières dans
l’Allier, pour y extraire et transformer ce minerai granitique, destiné à la
fabrication de vaisselle et de carrelage. Par le passé, la présence de lithium
dans ce gisement avait été ignorée en raison d’une demande insuffisante.
L’évolution des conditions de marché et l’intérêt porté au lithium ont conduit
l’entreprise française à initier de nouvelles études à partir de 2015, rendues
possibles grâce à l’obtention cette même année d’un Permis Exclusif de
Recherche. Deux premières campagnes de sondages en 2021 et 2022 ont permis de
confirmer une concentration et une quantité économiquement attractives de
lithium. Selon les dernières évaluations rendues publiques par Imerys, « le projet permettrait d’atteindre une
production de 34 000 tonnes d'hydroxyde de lithium par an pour une durée d’au
moins 25 ans. Une quantité qui permettrait d'équiper, à plein régime, 700 000
batteries de véhicules électriques. Ce qui couvrirait 35 % de l'objectif fixé par le gouvernement français pour réduire la dépendance aux importations de lithium
», indique l’industriel. Dans son argumentaire, Imerys
rappelle que ce métal est principalement extrait en Australie, au Chili, en
Argentine et en Chine, premier raffineur mondial, mais aussi que l’Europe et la
France, dépendantes des importations en la matière ont ajouté le minerai à la
liste des matières premières critiques.
Montant de l’investissement pour Imerys :
1 milliard d’euros. Montant des soutiens publics : 1 million d’euros via le
Plan France Relance en 2020, 18 millions d’euros via le plan d’investissement
France 2030. Une première phase pilote, mise en service en 2025, permettrait de
produire 13 000 tonnes de lithium par an, avant le démarrage de la phase
commerciale en 2027. Dire que le projet a les faveurs de l’actuel gouvernement
- qui a fait de l’électrification l’alpha et l’omega de la transition
écologique et de la réindustrialisation - relève de l’euphémisme. Lors de son
lancement, le Ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a salué «
un projet, exemplaire sur le
plan environnemental et climatique (qui) contribuera à l’objectif fixé par le
président de la République de produire 2 millions de véhicules électriques en
France d’ici 2030 et sera soutenu par le gouvernement ». Si tous
les choix technologiques pour l’extraction du minerai ne sont pas arrêtés,
Imerys a affirmé qu’elle construirait un projet de mine «
plus écologique » s’il en est, en «
produisant du lithium avec
des émissions inférieures de moitié à celles de toutes les autres exploitations
[…] existantes aujourd’hui dans le monde. » Dans le
détail : eau utilisée en circuit fermé, mine souterraine pour minimiser les
nuisances sonores et la dispersion de poussière, transport de la roche par
pipelines ou par train vers l’unité de conversion, dont l’emplacement reste
encore à déterminer. Imerys a aussi détaillé ses promesses pour l’emploi : «
plus de 1 000 emplois
directs et indirects créés à terme dans la région Auvergne Rhône-Alpes ».
Une industrie vitale difficile à
faire accepter
Mais, renouer avec le passé minier, en
France comme ailleurs en Europe, n’a rien d’évident. En Bretagne, par exemple,
la protestation prend de l'ampleur pour contrecarrer tout projet d'extraction
minière dans la future réserve naturelle de la baie d'Audierne, qui abrite le
deuxième gisement le plus important du pays. Début 2022, un projet avait aussi
été avorté à la suite de nombreuses revendications en Serbie, où l’entreprise
australienne Rio Tinto avait prévu d'exploiter le plus grand gisement de
lithium d’Europe. Dans son pré-cadrage publié en décembre 2023, l'Autorité
Environnementale (Ae) a fait le point sur les impacts à étudier pour les
phases pilote et industrielle du projet EMILI. Sans surprise, le premier enjeu
concerne la santé humaine et la biodiversité, le lithium étant un irritant
(cutané, oculaire et des voies respiratoires), reprotoxique et perturbateur
endocrinien. Les phases de transformation du minerai nécessitent également des
produits polluants comme l'acide chlorhydrique, l'acide fluorhydrique, voire
des cyanures. Deuxième enjeu : la ressource en eau, dans un contexte de
changement climatique, quand le besoin de prélèvement pour le projet d'ensemble
est évalué à plus d’un million de mètres cubes par an. «
En l'état actuel, le site
envisagé dans l'ouest de l'Allier ne pourrait pas fournir cette quantité d'eau », détaille l’Ae. Enfin, les
consommations en énergie (électricité et gaz) devront répondre aux «
enjeux énergétiques
nationaux ». L'Ae insiste sur la nécessité pour les
porteurs de projet de prendre des mesures d'évitement, de réduction et de
compensation pour atténuer ces impacts. Pour faire connaître leurs plans,
Imerys et RTE (Réseau de Transport d'Électricité) ont saisi conjointement la
Commission Nationale du Débat Public (CNDP) au sujet du projet EMILI, en
juillet dernier. La CNDP garantit le droit à l’information et à la
participation de toute personne vivant en France sur les projets ou les
politiques à impact environnemental. Ce droit est inscrit à l’article 7 de la
Charte de l’environnement. Le 6 septembre dernier, la Commission a donc décidé
d'organiser un débat public.
Organiser
la discussion à l’échelle nationale
« Cela fait 40 ans qu’il n’y a pas eu de projet de mine sur le territoire,
du moins pas de cette ampleur (...) », commente Marc Papinutti, actuel président
de la CNDP, pour expliquer la tenue d’un débat. « La Commission travaille d’ores et déjà sur des projets de décarbonation
de l’industrie, notamment dans l’industrie automobile, comme sur les sites des
gigafactories des Hauts-de-France. Le lithium est une des parties importantes
de la chaîne industrielle. C’est pourquoi la CNDP a considéré qu’il était
opportun d’avoir un débat large sur ce projet industriel, et pas simplement
local ». Des réunions publiques pourront donc se
tenir dans toute la France, et non pas exclusivement dans l’Allier. La
spécificité du débat tient aussi au département. « Un territoire un peu différent de ceux sur lesquels
nous avons travaillé ces dernières années », précise
le président de la CNDP. « Les infrastructures industrielles y sont peu développées. Le territoire
est rural, éloigné des grandes métropoles, non assujetti à des enjeux de
développement urbain », détaille Mathias Bourrissoux, président de
la commission particulière en charge d’organiser le débat. «
Nous espérons que toutes les
parties prenantes et l’ensemble des personnes se sentant concernées par ce
projet pourront, à un moment donné, s’informer sur le débat et y participer en
donnant leur avis en ligne s'ils le souhaitent. Nous développons à ce titre une
plateforme numérique. Le débat pourra être suivi en distanciel et présentiel
». Actuellement en cours de préparation, il devrait se
tenir de mars à juillet 2024. Ses modalités exactes seront présentées par la
commission particulière du débat public, début février.
Pour quels débouchés ? L’objectif est de
considérer toutes les retombées territoriales : de l’alimentation en énergie à
la question des transports, en passant par le logement, ou encore la formation
des travailleurs. Il s’agit aussi de questionner l’opportunité du projet : «
se demander pourquoi ce
projet et pas un autre ? », insiste Mathias Bourrissoux,
rappelant que d’autres sites en France sont aussi envisagés dans le cas du
lithium. Au-delà du cas particulier de la mine de l’Allier, ce débat questionne
bien plus largement les enjeux de planification de la nouvelle industrie de
l’or blanc en France : « qu’en est-il de ce projet par rapport à d’autres plus ou moins avancés
aujourd’hui ? Comment comparer les procédés entre eux très différents d’une
mine à l’autre ? Quel serait le procédé qui représente le meilleur avantage coût/
bénéfices? Un débat public ne sert pas à trancher sur la réalisation d’un
chantier industriel. D’autres garde-fous et procédures existent pour cela. Le
débat public prépare en amont l’évaluation environnementale », insiste
Mathias Bourrissoux. « Il s’agit d’instruire et d’explorer un projet complexe dans toutes ses
dimensions, pour en sortir un maximum d’enseignements utiles pour toutes les
procédures à suivre dans lesquelles s’engagerait le porteur de projet ». D’après
la CNDP, environ 60% des projets débattus subissent des modifications, à
l’issue des débats.
Delphine
Schiltz