SOCIÉTÉ

Pourquoi les ados sont-ils attirés par le monde virtuel ?

Pourquoi les ados sont-ils attirés par le monde virtuel ?
Publié le 03/04/2024 à 07:00

L’âge dit ingrat est difficile à comprendre pour les adultes. Pendant cette phase, certains enfants se complaisent dans des univers qui les monopolisent. Le monde virtuel en particulier leur fournit un de ces espaces qu’ils affectionnent.

Le Centre de recherches psychanalyse, médecine et société, Université Paris Cité s’est focalisé sur le rapport des jeunes au numérique. Xanthie Vlachopouloul psychologue, maître de conférences en psychologie clinique et psychopathologie des réalités virtuelles, voit un mouvement d’aller-retour permanent, des problématiques du processus adolescent aux réponses apportées par le monde virtuel. Dépendance, image du corps, séparation, failles narcissiques, la chercheuse explique le rôle clé du monde virtuel à l’adolescence.

L’adolescence est un processus

« La séparation psychique d’avec les parents est nécessaire pour devenir adulte, rappelle Xanthie Vlachopoulou. L’adolescent est confronté à l’impératif de se détacher de ses images parentales pour accéder à la subjectivation ». L’adolescence est un processus. Il ne suffit pas de vieillir et de laisser passer le temps pour devenir adulte. C’est un cheminement psychique. « Se construire, bâtir son identité est un travail qui commence dès la naissance et se poursuit tout au long de la vie. Mais, dans ce passage de l’enfance à l’âge adulte, la question de la construction et de la consolidation de son être en revendiquant son individualité est fondamentale » explique la psychologue. Façonner sa personnalité constitue un enjeu central. Mais cette route ne va pas sans difficulté. Des impasses peuvent surgir et plonger le jeune dans l'embarras. Il se trouve alors en quête de solutions, d’apaisement. Dans cette hypothèse, le monde virtuel apparaît comme pourvoyeur de solutions. Comment ? Pourquoi ? Que propose-t-il de si attrayant ?

« L’adolescence commence avec l’arrivée de transformations corporelles, parfois si brusques que le jeune a du mal à maintenir, dans son esprit, une image de lui constante, et a assuré tant l’unité que la cohésion de son corps qui lui échappent. Il devient l’observateur passif et impuissant d’un corps changeant » poursuit l’intervenante. Le jeune peine à se reconnaître. Néanmoins, il prend, peu à peu, conscience de l’irrémédiable disparition de ses caractéristiques d’enfant qui laisse place à un corps d’homme ou de femme. 

Modeler son apparence

Dans la plupart des lieux numériques, l’internaute commence par créer son espace personnel. Il choisit un identifiant, un mot de passe, un nom, un prénom, une image pour le représenter… Dans bon nombre de jeux, d’applications, avant toute action, l’internaute doit créer un avatar, ce personnage qui deviendra sa représentation pixelisée. Le joueur choisit les éléments qui constituent l’identité de cette image qu’il diffuse. L’informatique offre un large éventail de possibilités concernant le physique, le visage, les pouvoirs, le sexe, le caractère… Le jeune fabrique un personnage à sa guise. Et par ce biais, il se dote d’une nouvelle identité, et de caractéristiques qui ont du sens pour lui.

Les selfies aussi, lui permettent de modeler librement son apparence, de se dévoiler tout en cachant ce qu’il souhaite. Il affiche une image idéalisée de lui-même, ou au contraire désidéalisée. Il utilise par exemple des filtres pour s’embellir et satisfaire son narcissisme. Mais à l'inverse, il se transforme aussi de manière monstrueuse, comme un négatif à la perfection. Il met en scène quelque chose du vécu de la transformation adolescente.

Maxime, 15 ans, adolescent mince, à la voix douce et au corps d’enfant, témoigne de l’importance de l'image dans son investissement du virtuel : « Mon avatar préféré, c’est un tank, un archétype qui encaisse tous les dégâts. C’est le plus résistant. Je l’ai fait très très grand et super musclé (rire). C’est un peu un ogre par rapport à ma corpulence. Il fait 2,40 mètres ».

Le monde virtuel peut également constituer un refuge pour des jeunes mal dans leur peau, soucieux de se cacher. « Par écran interposé, les boutons d’acné, les signes ingrats de l’adolescence peuvent être dissimulés, oubliés le temps de l’aventure virtuelle » souligne la psychologue. Les communications à distance permettent aussi d’aller vers l’autre plus facilement, puisque allégées d’une apparence parfois mal acceptée, ou mal assumée par le jeune.

Des bénéfices narcissiques

« Les transformations physiques et psychiques qui caractérisent le processus adolescent sollicitent les bases narcissiques que le jeune a construites depuis l’enfance. Elles déstabilisent l'équilibre psychique notamment quand l’adolescent doit s’appuyer sur une image de lui déjà fragile ». L’adolescence réactive les failles de la petite enfance. Le monde virtuel offre bon nombre de bénéfices narcissiques. Poster une image de soi sur Instagram, Snapchat, Facebook, une vidéo sur Youtube, attendre les réactions, les commentaires, le nombre de vues, de like, fait partie du quotidien de la plupart des adolescents. Les réseaux sociaux misent sur le besoin d’être vus et admirés. Ils sont investis, souvent, comme des tentatives de colmater des failles narcissiques.

Martin, 17 ans, exprime son besoin d’attirer l’attention, d’être valorisé. Cela se retrouve dans son monde virtuel : « Je joue un personnage qui est au centre de l’attention, qui va prendre les coups pour que les autres puissent passer derrière. Mais l’attention est centrée sur mon personnage. » En pratique, les jeux virtuels effacent les différences sociales, économiques, ou d'âge des joueurs. Les hiérarchies disparaissent. Et tout est possible dans cet environnement fictif.

Se confronter à la séparation

La question de la séparation est centrale en cette période de vie. « Grandir. Se construire en tant qu’individu autonome, devenir adulte suppose de pouvoir prendre de la distance avec ses investissements d’enfant. Faire ses choix, prendre du recul avec ceux qui jusqu’à présent étaient acceptés sans être questionnés. Les parents se trouvent ainsi confrontés à des mouvements de rejet, de colère, de confrontation, de remise en question de leurs valeurs et sont détrônés de leur piédestal » développe Xanthie Vlachopoulou.

L’adolescent cherche à construire son opinion propre. Quitte à prendre d’autres chemins que ceux suivis par les parents. À travers l’élaboration d’un avatar, par exemple, il choisit les éléments de son identité. Il ne reste pas, passivement, soumis au désir des adultes. Ces mouvements de différenciation sont précieux, mais quelquefois perçus par les adultes, comme un échec. La relation enfant-parent évolue. Ces derniers se trouvent contraints de s’adapter, d’accepter l’individu en construction qui se présente à eux. Chacun se trouve ici confronté à la perte, plus ou moins heureuse, de la relation existante.

Le monde virtuel apparaît, lui, constant, persistant, durable. Il continue d’exister, même quand le jeune n’est pas connecté. Sur la toile, l'adolescent peut jouer sans fin. Internet ne met pas de limite, ne disparaît pas. Seul un tiers, généralement un parent, peut imposer une coupure. Les jeux en ligne ignorent donc la séparation, surtout que, même mort, l’avatar peut ressusciter !

En somme, explique Xanthie Vlachopouloul, dans l’univers virtuel, le jeune triomphe de la mort. Elle n’est plus irrévocable. Le jeu sur ordinateur constitue un espace rassurant où les relations virtuelles offrent un étayage permanent. De même, sur les réseaux sociaux, les mises à jour continues d'informations, de contacts, d'abonnements, livrent une sensation d'attention incessante.

Contrôle et dépendance

Par le truchement du digital, certains jeunes se séparent des préceptes parentaux, de leur dépendance d’enfant envers les adultes. Mais, ils entrent, sans le percevoir, sous une autorité extra familiale, souligne la psychologue, … celle du monde virtuel. Jeux vidéo, et réseaux sociaux génèrent un sentiment de maîtrise. Le jeune contrôle son apparence, l’image qu’il diffuse de lui, via son profil numérique, son avatar. Ailleurs, il se trouve démuni, notamment face aux changements immaitrisables de son corps qui s’imposent. Dans le monde numérique, le jeune décide, là où d’ordinaire, l’humain n’a pas de pouvoir. La séparation n’a pas lieu, la mort n’existe pas, les récompenses narcissiques pleuvent. Une sensation de toute puissance rôde.

Maricygne Di Matteo

 

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