Lorsqu’une
entreprise est en difficulté, il est important qu’elle ait les bons réflexes.
Et si elle est placée sous contrôle judiciaire, il vaut mieux être avisé des
sanctions potentielles.
C’est la
troisième conférence organisée par la CPME 75 et la société
pluriprofessionnelle d’exercice (SPE) O3 Partners sur les procédures
collectives. « La préparation de dossiers et la collaboration avec les
organes d’experts sont nécessaires pour anticiper la procédure collective »,
affirme Isabelle Didier, avocate et directrice générale de la SPE. Elle anime
la discussion en partenariat avec sa collaboratrice Inès Te. Ce rendez-vous est
dédié à la prévention des risques pour une entreprise en difficulté. Les
procédures collectives ont évolué. Le but est maintenant d’accompagner dans
l’esprit d’entreprendre, pas de sanctionner, « cela serait contre-productif
».
Depuis
2023, les demandes de procédures collectives ont repris en nombre, mais tout de
même pas autant qu'avant la crise sanitaire. En 2019, d’après le ministère de
la Justice, il y a eu 61 046 requêtes alors que ce nombre a été presque divisé
par deux en 2020, pour un total de 34 940. Le « quoiqu’il en coûte » et les
aides de l’État ont entrainé cette baisse significative pendant la crise
sanitaire. En 2023, Isabelle Didier note l’exécution de 55 000 procédures
collectives. Seulement 10 % des dossiers aboutissent à une sanction. La
procédure en elle-même est juste une mesure économique et juridique qui a pour
but « de mettre un terme aux activités non profitables », et «
d’éliminer les gens susceptibles de nuire à la concurrence ».
«
L’après Covid » a démarré fort, et ces plus de cinquante mille entreprises
n’ont pas assez anticipé. L’avocate rappelle que « prévoir le risque, c’est
70 % de chance de réussir une restructuration financière et/ou
organisationnelle ». Il ne faut pas attendre pour demander des conseils aux
experts juridiques et financiers afin d’être conforme à la réglementation. Le
but est de minimiser les risques, l’avocate invite à prendre la mesure de
l’importance « d’une communication transparente, mais prudente avec les
employés, les actionnaires et les partenaires commerciaux ». En effet,
toutes les informations « ne doivent pas être mises sur la table ».
Isabelle Didier affirme « ça peut parfois précipiter les difficultés ».
Elle pointe du doigt la nécessité « d’une planification financière
rigoureuse » que requiert une entreprise, notamment pour sa trésorerie.
Elle est nécessaire à l’ouverture d’une procédure collective et à la faculté
d’assumer un redressement. Il faut noter que la fermeture d’une société
n’interdit pas l’ouverture d’une procédure collective ultérieure, dans l’année
suivante.
De droit
ou de fait, les dirigeants sont impliqués
La
procédure collective engage les dirigeants de droit ou/et de fait. Il peut
s’agir d’un gérant, un président, un directeur général, un corrélant ou un
membre du Conseil d’administration (CA). Plus largement, c’est une personne
morale ou physique, une personne publique, un associé, une maison mère ou même
un salarié qui gagnerait davantage que le dirigeant de droit. Être dirigeant de
fait ou de droit, c’est incarner le premier individu responsable soumis au
regard de la justice.
La
justice peut proclamer une interdiction de gérer dans trois cas différents : un
défaut de communication de renseignements, un manquement à l’obligation
d’informer le créancier en cas d’instance en cours ou au jour du jugement
d’ouverture, mais aussi lors d’une omission de déclaration de la cessation des
paiements dans les 45 jours. Le délai de 45 jours est nécessaire. Inès Te
explique : « Il y a une balance. Certaines entreprises peuvent être en
négatif, mais être payées le lendemain et retrouver un actif disponible. »
Au-delà de cette période, des sanctions sont applicables : pénales, civiles et
patrimoniales.
Durant
ces moments intenses, « certains chefs d’entreprise baissent les bras ».
Leur découragement peut mettre en cause leur responsabilité dans la procédure.
Parfois, un dirigeant perd des droits personnels et est interdit d’exercer.
Cette faillite, dite « personnelle » est considérée comme la « plus forte ».
Elle fait suite à des actions condamnables : disposer des biens de la
personne morale comme de ses propres biens, faire obstacle au bon déroulement
de la procédure collective, ou encore faire payer, après cessation des
paiements et en connaissance de cause, un créancier au préjudice des autres
créanciers. À contrario, les paiements peuvent être remis en cause si les
créanciers ont connaissance de la cessation de paiements.
Le
dirigeant s’expose à une privation du droit de vote, à une privation de droits
de la famille, mais aussi, entre autres, à une interdiction de témoigner en
justice, d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant les
juridictions. Ces décisions « restent rares », précise Isabelle Didier.
Pendant une procédure collective, le dirigeant est en quelque sorte «
protégé » par ce « chapeau ».
Lorsque
la justice saisit l’entreprise, les créanciers ne peuvent plus être engagés
contre cette dernière, seuls les mandataires judiciaires sont aptes. Lors d’une
faillite personnelle, les créanciers peuvent retrouver leur droit de poursuite
individuelle après la procédure collective. Dès la fin de cette dernière, à la
condamnation, les honoraires, les créanciers et les salariés sont remboursés.
Les
sanctions patrimoniales encourues
Après la
liquidation judiciaire, deux issues sont possibles. L’extinction de passif
reste « rare » selon l’avocate, après une liquidation. Le plus souvent, une
insuffisance d’actif se produit. Si l’actif est très inférieur au montant du
passif, le mandataire doit réduire le préjudice des créanciers. Il n’y a pas de
définition, dans le droit, d’insuffisance d’actif. C’est un faisceau d’éléments
à l’appréciation du juge. Il peut être traité dans un délai de trois ans après
l’ouverture de la procédure collective.
L'insuffisance
d’actif provient d’une faute de gestion, dite RIA. Le dirigeant a généré des
fautes de gestion qui causent des préjudices aux créanciers. Elles nécessitent
réparation. Inès Te complète : « C’est assez grave parce qu’on dit qu’on
perce l’écran de la personnalité morale. » Il faut donc aller chercher dans
le patrimoine du dirigeant. La faute de gestion n'a pas de définition à
proprement parler, elle reste à l’appréciation du juge.
Certaines
actions sont tout de même qualifiées comme telles, lors d’un retard de
cessation des paiements, d’irrégularités comptables, du non-respect des
obligations fiscales, mais aussi lors de fautes pénales, de mauvaises conduites
des affaires sociales ou même d’un désintérêt des affaires sociales. Il faut
donc établir un lien de causalité dit « souple ». La collaboratrice détaille : «
On parle de faute de gestion qui a contribué à une insuffisance d’actif, mais
pas directement. »
Le pénal
intervient
Selon
l’article L654-2 du Code du Commerce, la banqueroute due à une gestion
frauduleuse volontaire en situation de redressement ou liquidation judiciaire,
et qui aggrave la situation de l’entreprise, est un délit pénal. Le maintien
artificiel de l’entreprise en faillite, le détournement et la dissimulation
d’actifs, l’augmentation frauduleuse du passif et la mauvaise tenue de
comptabilité sont à l’origine de la banqueroute.
Jusqu’à
cinq ans d’emprisonnement peuvent être requis, 75 000 euros d’amende et
potentiellement des peines complémentaires s’ajoutent. Elles surviennent dans
les cas d’acte de disposition ou de paiement illicite, d’une violation d’un
plan de sauvegarde ou de redressement, d’une violation d’un plan de cession,
et/ou d’une organisation frauduleuse de l’insolvabilité.
En cas
de condamnation, le montant de l’amende varie selon l’appréciation des juges,
mais elle reste proportionnelle au nombre de fautes et au préjudice causé aux
créanciers. Les dirigeants de droit ou de fait peuvent être condamnés
solidairement ou non. Et, la répartition du montant de la sanction est
proportionnelle entre tous les créanciers. Si le dirigeant est aussi créancier,
il n’obtient pas de versement.
Tessa Biscarrat