Notre série « Droit et animaux de la rue » s’appuie sur un ensemble d’interventions ayant eu lieu lors d’un webinaire organisé par la commission « Droit et animaux » du barreau de Paris. Elle part du constat que les animaux errants sont estimés à 300 à 500 millions dans le monde. Si aux Pays-Bas, la politique et la réglementation en place permettent aujourd’hui de placer le pays en tête des États comptabilisant le moins d’animaux errants, en France, environ 49 000 chiens et 42 000 chats seraient concernés. De quoi présenter un certain nombre d’enjeux juridiques et judiciaires, comme le souligne l’avocate Marie-Bénédicte Desvallon, responsable de la commission. Et en particulier, au-delà des problématiques liées à la biodiversité, à l’ordre public, à la sécurité, voire à la salubrité publique, qui se posent de façon légitime, quid de la question de la protection de ces animaux ? · La protection des chiens des sans-abri, ou le juridique à l'épreuve du terrain ; · Les actes de cruauté par les enfants sur les animaux, un phénomène qui gangrène La Réunion ; · Animaux en divagation : une responsabilité partagée
· La gestion des chats
errants progresse à pas de fourmi
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La
vétérinaire Nathalie Sanerot fait état d’une difficile conciliation entre les textes et la réalité sur le terrain. Alors que la
législation protégeant les droits des animaux a été récemment renforcée, et
parce que la prévention peut éviter la répression et la maltraitance animale,
elle souligne l’existence de dispositifs solidaires pour aider les plus démunis
à accéder aux soins vétérinaires.
En
2022, la France recensait 330 000 sans-abri en France, selon le site Statista.
Les statistiques dénombrant le pourcentage d’entre eux qui détiendraient par
ailleurs un animal de compagnie - un chien, en très grande majorité - varient
sensiblement d’une source à l’autre (10 à 70 % (!)), toutefois, sur le terrain,
le constat est clair : le nombre de compagnons à quatre pattes à la rue est
conséquent.
Et
bien que le fait de détenir un chien soit légal pour une personne sans domicile
fixe, il n’en reste pas moins que ce droit est assorti des mêmes obligations
que celles que doivent observer les maîtres ayant une habitation. Des
obligations parfois rendues difficiles par la vie dans la rue.
Des
textes protecteurs parfois difficiles à appliquer
Nathalie
Sanerot est vétérinaire, inspectrice de santé publique vétérinaire et cheffe de
service des formations École nationale des services vétérinaires chez France Vétérinaire
international (ENSV-FVI). Invitée dans le cadre du webinaire organisé par la
commission « L’Animal et le droit » du barreau de Paris, elle
rappelle que « tout propriétaire doit placer son animal dans des
conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce et a
interdiction d’exercer des mauvais traitements sur cet animal », comme
le requièrent les articles L214-1 et L214-3 du Code rural et de la pêche
maritime.
Plus
précisément, l’article R214-17 du même code prévoit qu’il est illégal à ce
titre, pour quiconque détient des animaux domestiques, sauvages apprivoisés ou
tenus en captivité, de les « priver de la nourriture ou de
l'abreuvement nécessaires à la satisfaction de [leurs] besoins (...) »,
de les laisser « sans soins en cas de maladie ou de blessure »,
de les placer dans un environnement « susceptible d'être (...) une
cause de souffrances, de blessures ou d'accidents », ou encore « d'utiliser,
sauf en cas de nécessité absolue (...), tout mode de détention inadapté »
ou de nature « à provoquer des blessures ou des souffrances ».
Si
les textes sont clairs, certaines dispositions peuvent néanmoins être
difficiles à mettre en œuvre, reconnaît Nathalie Sanerot : « En
théorie, un sans-abri ou toute autre personne qui n’est pas apte à nourrir son
chien ou à le faire soigner peut donc être soumis(e) au retrait de son animal.
Mais en pratique, c’est assez compliqué d’appliquer ce texte à des personnes
qui n’ont pas, à la base, des conditions de vie favorables pour elles-mêmes. »
Idem
pour l’identification obligatoire, c’est-à-dire l’enregistrement dans le
fichier national d’identification des carnivores domestiques, dont le
non-respect fait encourir au propriétaire une contravention de quatrième classe
; voire, dans les faits, un retrait. En effet, trouver un animal non identifié
en état de divagation (comprendre : qui n’est plus sous la surveillance de son
maître, ou à plus d’une certaine distance de lui) équivaut à considérer « que
l’animal n’a pas de propriétaire détenteur » : il peut ainsi être « placé
en fourrière, puis à l’adoption, faute de preuve de détention »,
explique la vétérinaire. Cette dernière cite également la loi du 30 novembre
2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre
les animaux et les hommes, laquelle a notamment étendu la nature de cette
obligation. Autant d’avancées qui se heurtent là encore au manque de moyens des
plus démunis.
Abandonner
son animal est un acte de cruauté
Du
côté du Code pénal, le non-respect des droits des animaux domestiques « va
de la négligence à l’acte de cruauté », indique Nathalie
Sanerot.
S’il
occasionne la mort ou la blessure de son animal par « maladresse,
imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité
ou de prudence », le propriétaire encourt ainsi une amende prévue pour
les contraventions de 3e classe (68 euros), d’après l’article
R653-1. Sachant qu’en cas de condamnation dudit propriétaire, le tribunal peut
décider de remettre l'animal à une œuvre de protection animale reconnue
d'utilité publique ou déclarée. « Cette disposition est intéressante,
pointe la vétérinaire, car le but est avant tout de sauver l’animal. Si
la personne - en l’occurrence, le sans-abri - n’est pas capable de gérer, même
involontairement, son animal, on le place dans une association, qui soit le
garde soit le fait adopter. »
Même
chose en cas de mauvais traitements volontaires, visés par l’article R654-1,
par exemple « si le chien reste sciemment attaché en plein soleil »,
illustre Nathalie Sanerot. De nouveau, en cas de condamnation du propriétaire,
le tribunal peut décider de remettre l'animal à une association, laquelle a la
faculté d’en disposer librement.
Dans
le cas des sévices graves et des actes de cruauté, la loi du 30 novembre 2021
est venue rehausser les peines maximales encourues, passées de deux à trois ans
d'emprisonnement et de 30 000 € à 45 000 € d'amende, et créer plusieurs
circonstances aggravantes. « Le législateur a aussi retiré l’expression
d’exercer des sévices ‘sans nécessité’ », souligne la vétérinaire, et
l’article 521-1 prévoit également des peines complémentaires, comme la
confiscation et l’interdiction de détenir un animal.
Si
cette dernière affirme que l’interdiction de détenir un animal est « compliquée
à contrôler » et qu’il serait important, à ce titre, « d’avoir
une traçabilité », elle ajoute néanmoins que les sévices graves ne
sont, d’expérience, « pas courants chez les personnes sans domicile
fixe », et qu’il s’agit plus fréquemment « d’atteintes
involontaires et de mauvais traitements ». Toutefois, Nathalie Sanerot
attire l’attention sur le fait que l’abandon est considéré comme un acte de
cruauté. « L’abandon, c’est un délit », rappelle-t-elle.
Le
retrait, une procédure très encadrée
Quid
des personnes habilitées à contrôler le respect des droits des animaux ?
Nathalie Sanerot cite les gendarmes et les policiers, mais aussi les maires -
bien qu’ils ne s’emparent pas toujours de cette compétence, souvent par
réticence, pointe-t-elle - et les préfets. Si du fait de mauvais traitements ou
d'absence de soins, un chien est trouvé gravement malade ou blessé, le préfet
peut en effet prendre un arrêté préfectoral exigeant son placement dans une
structure pour qu’il soit procédé à des soins. « Le ministère a des
financements qui permettent de payer ces soins dans un premier temps si le
propriétaire n’est pas apte à le faire », souligne la vétérinaire. « C’est
quelque chose qui n’est pris qu’en extrême urgence quand l’animal risque de ne
pas pouvoir être sauvé autrement. »
Sont
également habilités les services vétérinaires, puisqu’en effet, la Direction
départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des
populations (DDETSPP) est notamment composée d’un pôle « protection des
populations » qui réunit - entre autres - les services vétérinaires de
l’État. « On est responsables au niveau du département, et on collabore
avec les gendarmes, les policiers et toutes les personnes assermentées qui
peuvent rédiger des PV, et on est aussi en lien avec le procureur »,
détaille Nathalie Sanerot. Ces services travaillent également à la création
d’hôtels pouvant accueillir les sans-abri avec leurs chiens. D’autre part, ils
collaborent fréquemment avec les associations de protection animale, qui n’ont
toutefois « pas le pouvoir de retirer les animaux à leurs propriétaires »,
précise la vétérinaire. « Certaines le font devant l’urgence des
situations, mais cela peut mettre en péril toute une procédure »,
regrette-t-elle.
Le
retrait est en effet une procédure longue et très encadrée. Il s’agit d’un
retrait administratif, régi par l’article L214-23 du Code rural. Dans l'attente
d’une mesure judiciaire, les agents autorisés peuvent ordonner la saisie ou le
retrait des animaux et, en fonction, les confier à un tiers, notamment à une
association, pour trois mois maximum.
« Mais
on peut s’épargner cette étape, faire un constat et demander directement au
procureur de prendre une ordonnance pour placer l’animal », affirme
Nathalie Sanerot. Le procureur a alors la possibilité de prendre une ordonnance
sur la base de l’article 99-1 du Code de procédure pénale, qui permet de
retirer l’animal et de le placer dans une association de protection. « Cette
ordonnance, je la trouve très efficace car elle permet de gagner trois mois de
retrait. Si le procureur est sensible à la protection animale, s’il veut agir
vite, on peut réaliser un retrait en 24h. Et quand il n’y a qu’un seul
chien, comme c’est souvent le cas des personnes sans domicile fixe, c’est assez
facile de trouver de la place pour cet animal. Parfois, en deux heures, c’est
fait », relate la vétérinaire.
Des
dispositifs pour aider les plus démunis à accéder aux soins vétérinaires
Mais
avant d’en arriver là, pour parer à la maltraitance et à la répression, la
prévention est de mise, et la solidarité aussi.
Des
actions sont en effet déployées pour aider les sans-abri à s’occuper de leurs
animaux, à l’instar du réseau associatif Vétérinaires pour tous, financé par le
plan France Relance, qui propose aux personnes démunies de soigner leurs
animaux à moindre coût : une partie est prise en charge par l’association, une
partie par le vétérinaire adhérent, une partie par le propriétaire. « Ici,
les maîtres vont aussi pouvoir échanger sur les conditions de vie de leur
animal, faire vacciner et stériliser leurs animaux pour éviter les portées non
souhaitées ou servant à faire du trafic, et faire des consultations
comportementales pour des chiens ayant mordu ou des chiens catégorisés ayant
besoin d'avoir des papiers en règle », explique Nathalie Sanerot.
Les
propriétaires les plus précaires peuvent aussi miser sur le dispositif Balto,
un bus vétérinaire et social lancé en 2022 par deux étudiantes de l’école
VetAgro Sup, en région lyonnaise, qui s’installe là où l’on a besoin de lui. « En
théorie, un vétérinaire n’a pas le droit d’aller dans la rue pour soigner un
chien ou un chat sur le trottoir », développe Nathalie Sanerot. Ce bus
permet donc aux sans-abri d’avoir accès facilement à un lieu où leur animal
sera pris en charge gratuitement, mais aussi où ils pourront en même temps
créer du lien, grâce à la présence de travailleurs sociaux.
Une
belle initiative, qui pourrait bien en inspirer d’autres. D’autant que,
souligne l’avocate Marie-Bénédicte Desvallon, « certaines associations
regrettent que l’ensemble du territoire ne puisse pas bénéficier de ces
services, qui permettent notamment de limiter le nombre d’animaux non
identifiés et non stérilisés ».
Bérengère Margaritelli