DROIT

SÉRIE « DROIT ET ANIMAUX DE LA RUE » (1). La protection des chiens des sans-abri, ou le juridique à l’épreuve du terrain

SÉRIE « DROIT ET ANIMAUX DE LA RUE » (1). La protection des chiens des sans-abri, ou le juridique à l’épreuve du terrain
Publié le 01/03/2024 à 11:28

Notre série « Droit et animaux de la rue » s’appuie sur un ensemble d’interventions ayant eu lieu lors d’un webinaire organisé par la commission « Droit et animaux » du barreau de Paris. Elle  part du constat que les animaux errants sont estimés à 300 à 500 millions dans le monde. Si aux Pays-Bas, la politique et la réglementation en place permettent aujourd’hui de placer le pays en tête des États comptabilisant le moins d’animaux errants, en France, environ 49 000 chiens et 42 000 chats seraient concernés. De quoi présenter un certain nombre d’enjeux juridiques et judiciaires, comme le souligne l’avocate Marie-Bénédicte Desvallon, responsable de la commission. Et en particulier, au-delà des problématiques liées à la biodiversité, à l’ordre public, à la sécurité, voire à la salubrité publique, qui se posent de façon légitime, quid de la question de la protection de ces animaux ? 

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La vétérinaire Nathalie Sanerot fait état d’une difficile conciliation entre les textes et la réalité sur le terrain. Alors que la législation protégeant les droits des animaux a été récemment renforcée, et parce que la prévention peut éviter la répression et la maltraitance animale, elle souligne l’existence de dispositifs solidaires pour aider les plus démunis à accéder aux soins vétérinaires. 

En 2022, la France recensait 330 000 sans-abri en France, selon le site Statista. Les statistiques dénombrant le pourcentage d’entre eux qui détiendraient par ailleurs un animal de compagnie - un chien, en très grande majorité - varient sensiblement d’une source à l’autre (10 à 70 % (!)), toutefois, sur le terrain, le constat est clair : le nombre de compagnons à quatre pattes à la rue est conséquent. 

Et bien que le fait de détenir un chien soit légal pour une personne sans domicile fixe, il n’en reste pas moins que ce droit est assorti des mêmes obligations que celles que doivent observer les maîtres ayant une habitation. Des obligations parfois rendues difficiles par la vie dans la rue.

Des textes protecteurs parfois difficiles à appliquer

Nathalie Sanerot est vétérinaire, inspectrice de santé publique vétérinaire et cheffe de service des formations École nationale des services vétérinaires chez France Vétérinaire international (ENSV-FVI). Invitée dans le cadre du webinaire organisé par la commission « L’Animal et le droit » du barreau de Paris, elle rappelle que « tout propriétaire doit placer son animal dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce et a interdiction d’exercer des mauvais traitements sur cet animal », comme le requièrent les articles L214-1 et L214-3 du Code rural et de la pêche maritime. 

Plus précisément, l’article R214-17 du même code prévoit qu’il est illégal à ce titre, pour quiconque détient des animaux domestiques, sauvages apprivoisés ou tenus en captivité, de les « priver de la nourriture ou de l'abreuvement nécessaires à la satisfaction de [leurs] besoins (...) », de les laisser « sans soins en cas de maladie ou de blessure », de les placer dans un environnement « susceptible d'être (...) une cause de souffrances, de blessures ou d'accidents », ou encore « d'utiliser, sauf en cas de nécessité absolue (...), tout mode de détention inadapté » ou de nature « à provoquer des blessures ou des souffrances ».

Si les textes sont clairs, certaines dispositions peuvent néanmoins être difficiles à mettre en œuvre, reconnaît Nathalie Sanerot : « En théorie, un sans-abri ou toute autre personne qui n’est pas apte à nourrir son chien ou à le faire soigner peut donc être soumis(e) au retrait de son animal. Mais en pratique, c’est assez compliqué d’appliquer ce texte à des personnes qui n’ont pas, à la base, des conditions de vie favorables pour elles-mêmes. » 

Idem pour l’identification obligatoire, c’est-à-dire l’enregistrement dans le fichier national d’identification des carnivores domestiques, dont le non-respect fait encourir au propriétaire une contravention de quatrième classe ; voire, dans les faits, un retrait. En effet, trouver un animal non identifié en état de divagation (comprendre : qui n’est plus sous la surveillance de son maître, ou à plus d’une certaine distance de lui) équivaut à considérer « que l’animal n’a pas de propriétaire détenteur » : il peut ainsi être « placé en fourrière, puis à l’adoption, faute de preuve de détention », explique la vétérinaire. Cette dernière cite également la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, laquelle a notamment étendu la nature de cette obligation. Autant d’avancées qui se heurtent là encore au manque de moyens des plus démunis.

Abandonner son animal est un acte de cruauté

Du côté du Code pénal, le non-respect des droits des animaux domestiques « va de la négligence à l’acte de cruauté », indique Nathalie Sanerot. 

S’il occasionne la mort ou la blessure de son animal par « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence », le propriétaire encourt ainsi une amende prévue pour les contraventions de 3e classe (68 euros), d’après l’article R653-1. Sachant qu’en cas de condamnation dudit propriétaire, le tribunal peut décider de remettre l'animal à une œuvre de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée. « Cette disposition est intéressante, pointe la vétérinaire, car le but est avant tout de sauver l’animal. Si la personne - en l’occurrence, le sans-abri - n’est pas capable de gérer, même involontairement, son animal, on le place dans une association, qui soit le garde soit le fait adopter. »

Même chose en cas de mauvais traitements volontaires, visés par l’article R654-1, par exemple « si le chien reste sciemment attaché en plein soleil », illustre Nathalie Sanerot. De nouveau, en cas de condamnation du propriétaire, le tribunal peut décider de remettre l'animal à une association, laquelle a la faculté d’en disposer librement.

Dans le cas des sévices graves et des actes de cruauté, la loi du 30 novembre 2021 est venue rehausser les peines maximales encourues, passées de deux à trois ans d'emprisonnement et de 30 000 € à 45 000 € d'amende, et créer plusieurs circonstances aggravantes. « Le législateur a aussi retiré l’expression d’exercer des sévices ‘sans nécessité’ », souligne la vétérinaire, et l’article 521-1 prévoit également des peines complémentaires, comme la confiscation et l’interdiction de détenir un animal.

Si cette dernière affirme que l’interdiction de détenir un animal est « compliquée à contrôler » et qu’il serait important, à ce titre, « d’avoir une traçabilité », elle ajoute néanmoins que les sévices graves ne sont, d’expérience, « pas courants chez les personnes sans domicile fixe », et qu’il s’agit plus fréquemment « d’atteintes involontaires et de mauvais traitements ». Toutefois, Nathalie Sanerot attire l’attention sur le fait que l’abandon est considéré comme un acte de cruauté. « L’abandon, c’est un délit », rappelle-t-elle. 

Le retrait, une procédure très encadrée

Quid des personnes habilitées à contrôler le respect des droits des animaux ? Nathalie Sanerot cite les gendarmes et les policiers, mais aussi les maires - bien qu’ils ne s’emparent pas toujours de cette compétence, souvent par réticence, pointe-t-elle - et les préfets. Si du fait de mauvais traitements ou d'absence de soins, un chien est trouvé gravement malade ou blessé, le préfet peut en effet prendre un arrêté préfectoral exigeant son placement dans une structure pour qu’il soit procédé à des soins. « Le ministère a des financements qui permettent de payer ces soins dans un premier temps si le propriétaire n’est pas apte à le faire », souligne la vétérinaire. « C’est quelque chose qui n’est pris qu’en extrême urgence quand l’animal risque de ne pas pouvoir être sauvé autrement. »

Sont également habilités les services vétérinaires, puisqu’en effet, la Direction départementale de l'emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) est notamment composée d’un pôle « protection des populations » qui réunit - entre autres - les services vétérinaires de l’État. « On est responsables au niveau du département, et on collabore avec les gendarmes, les policiers et toutes les personnes assermentées qui peuvent rédiger des PV, et on est aussi en lien avec le procureur », détaille Nathalie Sanerot. Ces services travaillent également à la création d’hôtels pouvant accueillir les sans-abri avec leurs chiens. D’autre part, ils collaborent fréquemment avec les associations de protection animale, qui n’ont toutefois « pas le pouvoir de retirer les animaux à leurs propriétaires », précise la vétérinaire. « Certaines le font devant l’urgence des situations, mais cela peut mettre en péril toute une procédure », regrette-t-elle.

Le retrait est en effet une procédure longue et très encadrée. Il s’agit d’un retrait administratif, régi par l’article L214-23 du Code rural. Dans l'attente d’une mesure judiciaire, les agents autorisés peuvent ordonner la saisie ou le retrait des animaux et, en fonction, les confier à un tiers, notamment à une association, pour trois mois maximum. 

« Mais on peut s’épargner cette étape, faire un constat et demander directement au procureur de prendre une ordonnance pour placer l’animal », affirme Nathalie Sanerot. Le procureur a alors la possibilité de prendre une ordonnance sur la base de l’article 99-1 du Code de procédure pénale, qui permet de retirer l’animal et de le placer dans une association de protection. « Cette ordonnance, je la trouve très efficace car elle permet de gagner trois mois de retrait. Si le procureur est sensible à la protection animale, s’il veut agir vite, on peut réaliser un retrait en 24h. Et quand il n’y a qu’un seul chien, comme c’est souvent le cas des personnes sans domicile fixe, c’est assez facile de trouver de la place pour cet animal. Parfois, en deux heures, c’est fait », relate la vétérinaire.

Des dispositifs pour aider les plus démunis à accéder aux soins vétérinaires

Mais avant d’en arriver là, pour parer à la maltraitance et à la répression, la prévention est de mise, et la solidarité aussi.

Des actions sont en effet déployées pour aider les sans-abri à s’occuper de leurs animaux, à l’instar du réseau associatif Vétérinaires pour tous, financé par le plan France Relance, qui propose aux personnes démunies de soigner leurs animaux à moindre coût : une partie est prise en charge par l’association, une partie par le vétérinaire adhérent, une partie par le propriétaire. « Ici, les maîtres vont aussi pouvoir échanger sur les conditions de vie de leur animal, faire vacciner et stériliser leurs animaux pour éviter les portées non souhaitées ou servant à faire du trafic, et faire des consultations comportementales pour des chiens ayant mordu ou des chiens catégorisés ayant besoin d'avoir des papiers en règle », explique Nathalie Sanerot.

Les propriétaires les plus précaires peuvent aussi miser sur le dispositif Balto, un bus vétérinaire et social lancé en 2022 par deux étudiantes de l’école VetAgro Sup, en région lyonnaise, qui s’installe là où l’on a besoin de lui. « En théorie, un vétérinaire n’a pas le droit d’aller dans la rue pour soigner un chien ou un chat sur le trottoir », développe Nathalie Sanerot. Ce bus permet donc aux sans-abri d’avoir accès facilement à un lieu où leur animal sera pris en charge gratuitement, mais aussi où ils pourront en même temps créer du lien, grâce à la présence de travailleurs sociaux.

Une belle initiative, qui pourrait bien en inspirer d’autres. D’autant que, souligne l’avocate Marie-Bénédicte Desvallon, « certaines associations regrettent que l’ensemble du territoire ne puisse pas bénéficier de ces services, qui permettent notamment de limiter le nombre d’animaux non identifiés et non stérilisés ».

Bérengère Margaritelli


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