DROIT

SÉRIE « DROIT ET ANIMAUX DE LA RUE » (2). Les actes de cruauté par les enfants sur les animaux, un phénomène qui gangrène La Réunion

SÉRIE « DROIT ET ANIMAUX DE LA RUE » (2). Les actes de cruauté par les enfants sur les animaux, un phénomène qui gangrène La Réunion
Publié le 08/03/2024 à 11:30

Notre série « Droit et animaux de la rue » s’appuie sur un ensemble d’interventions ayant eu lieu lors d’un webinaire organisé par la commission « Droit et animaux » du barreau de Paris. Elle  part du constat que les animaux errants sont estimés à 300 à 500 millions dans le monde. Si aux Pays-Bas, la politique et la réglementation en place permettent aujourd’hui de placer le pays en tête des États comptabilisant le moins d’animaux errants, en France, environ 49 000 chiens et 42 000 chats seraient concernés. De quoi présenter un certain nombre d’enjeux juridiques et judiciaires, comme le souligne l’avocate Marie-Bénédicte Desvallon, responsable de la commission. Et en particulier, au-delà des problématiques liées à la biodiversité, à l’ordre public, à la sécurité, voire à la salubrité publique, qui se posent de façon légitime, quid de la question de la protection de ces animaux ? 

·        La protection des chiens des sans-abri, ou le juridique à l'épreuve du terrain ;

·        Les actes de cruauté par les enfants sur les animaux, un phénomène qui gangrène La Réunion ;

·        Animaux en divagation : une responsabilité partagée

·        La gestion des chats errants progresse à pas de fourmi

Alors que ces actes répétés s’intensifient à la Réunion depuis une dizaine d’années, l'association APEBA qui intervient fréquemment à la suite de signalements de tortures animales, appelle à légiférer urgemment pour endiguer ce phénomène qui révèle d’autres problèmes sociétaux.

À La Réunion, entre 1 500 et 2 000 chiens et chats auraient été victimes d’actes de cruauté depuis 2016, perpétrés par de jeunes enfants rarement âgés de plus de 13 ans. C’est ce que révèle Cécile Squarzoni, vétérinaire sur l’île, présidente de l'Association pour l'éducation à la bienveillance animale (APEBA) et invitée dans le cadre du webinaire organisé par la commission « L’Animal et le droit » du barreau de Paris début février.

Une estimation qui dépasse la réalité constatée sur le terrain par les bénévoles et professionnels intervenants dans les sauvetages, tous les animaux n’étant pas toujours retrouvés et/ou sauvés, en particulier les chats, « qui ne sont pas stockés mais directement torturés », conclut la vétérinaire.

Si l'association APEBA est aidée de bénévoles pour secourir ces animaux, elle déplore que ces actions restent vaines, en dépit d’une tribune relayée dans les médias pointant l’accélération du phénomène.

Les mineurs concernés, ne pouvant être incarcérés faute de flagrant délit, réitèrent à peine relâchés. En effet, en l’état actuel des choses, la législation française ne permet pas d’endiguer ce fléau, laissant des centaines d’actes de cruauté impunis, fustige la vétérinaire au nom de l'association.

« La question de la protection des animaux va bien au-delà de l’animal en soi »

Il est pourtant urgent d’agir, explique la présidente de l'APEBA, qui rapporte que des captures – jusque dans les refuges, fourrières et jardins privés – et tortures ont lieu toutes les semaines sur l’île : « il n’y a pas une semaine sans signalement ».

Plus inquiétant encore est la sauvagerie et la cruauté dont font preuve ces jeunes qui préméditent leurs actes : « Après un signalement, nous avons par exemple retrouvé un chaton énucléé, coupé au cutter. Comment ces enfants peuvent-ils avoir ces idées de torture ? », s’offusque la vétérinaire. Elle témoigne de la difficulté répétée, pour les membres de l'APEBA, face à la découverte de cadavres d’animaux mutilés ayant subi des actes toujours plus barbares (animaux à la queue coupée, chienne séquestrée pour la reproduction avant de torturer les chiots…). Pour l'association, « la question de la protection des animaux va [finalement] bien au-delà de l’animal en soi ».

En effet, le modus operandi de ces jeunes pour la capture et les actes qui suivent sont « l’illustration macabre » d’un manque d’accompagnement psychologique mais également de la théorie de lien et du problème des mineurs isolés. Autrement dit, ces enfants incités par des enfants plus âgés, vont, par effet de groupe ou pour « faire leur preuve », assener les pires violences à ces animaux. En outre, précise la vétérinaire, derrière ces actes, ce sont systématiquement les même profils d’enfants qui récidivent.

En septembre 2023, le Comité des droits de l’enfants de l’ONU dans son observation générale enjoignait les États à prendre des décisions pour mettre un terme à l’exposition des enfants à la violence, notamment au sein du foyer où les violences intrafamiliales sont légions. Ce, quelques mois après les Assises de La Réunion contre les violences intrafamiliales, en mai 2023, qui remontaient que La Réunion était le département affichant le plus de violences intrafamiliales. Il convient donc d’accompagner ces enfants surexposés aux violences, appuie Cécile Squarzoni.

Des actes de violence qui engendrent d’autres problèmes sociétaux

Ces violences sur les animaux ont également des effets de bord puisque comme l’affirme l’avocate Marie-Benedicte Desvallon, « La violence sur un animal peut n’être qu’un “brouillon” avant le passage à l’acte sur un humain. »

À ce sujet, Cécile Squarzoni atteste que des enfants n’hésitent pas à menacer des bénévoles à la machette afin de récupérer les animaux secourus, l’un d’entre eux ayant même été jusqu’à attaquer une personne au sabre. Des violences qui viennent donc s’ajouter à celles déjà perpétrées à La Réunion : « En 2030, cela fait craindre des actes hautement graves sur la population en général. »

Et si certains enfants ne se cachent pas pour pratiquer les pires tortures sur les animaux, qu’ils effectuent parfois en pleine rue, d’autres s’isolent dans des zones reculées, ce qui n’est pas sans conséquence non plus concernant les enjeux de salubrité et de santé publique.

En effet, des bâtiments désaffectés sont transformés en « territoire de jeux » avant de devenir des cimetières de cadavres, attirant les moustiques, nécessitant alors l’intervention des mairies.

Pour l'APEBA, la démotivation des forces de l'ordre qui appuient fortement les bénévoles, notamment du fait d'un manque de moyens financiers, concourt à laisser s’installer ce climat de violence, et les jeunes l’ont bien compris. L'association pointe l’absence de véritables moyens d’actions et l’indisponibilité des personnes habilitées à intervenir. Si un centre d’éducation d’encadrement des mineurs devrait a priori ouvrir ses portes en 2025, pour l'association, le législateur doit urgemment légiférer.

Allison Vaslin


Vers une obligation d’humanité ?

Torture et inhumanité

La torture est un crime en vertu du droit international. Aux termes de la Convention européenne des Droits de l’Homme, l’article 3 dispose : « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Citée ainsi la CEDH dans le cadre d’un article sur la protection animale, d’aucuns verront de l’anthropomorphisme ou de l’antispécisme. Ce serait oublier l’esprit de la Convention comme d’autres textes avant et après la CEDH : lutter contre l’inhumanité.

Dans les prétoires, torture et actes de barbarie se caractérisent par des violences dont la cruauté cause une souffrance qui excède celle générée par des violences « ordinaires ». Ils soulèvent la réprobation générale.

Quelle que soit la violence des actes exercés sur un animal, le droit français ne connait pas de crime contre les animaux (1), contrairement aux Etats-Unis (2). L’infraction la plus élevée dans le Code pénal ne connaît que des délits d’actes de cruauté ou de sévices graves. Il n’existe point de torture sur un animal en droit français (3).

Les faits décrits par l’association APEBA (Association pour l’Education à la Bienveillance Animale) à La Réunion horrifient. L’organisation, la préparation, la répétition de la violence de ces mineurs de moins de 13 ans sur des animaux de compagnie, y compris des chiots et chatons volés jusque dans des refuges animaliers, remplissent d’effroi. 

Une violence – Des victimes (4) : violence des mineurs présumés vulnérables

Aucune violence n’est anodine.

Récemment au niveau international, le Comité des droits de l’enfant (5) a alerté sur les incidences de toute exposition à la violence y compris celle sur les animaux. Dans son observation générale 26 publiée en septembre 2023, le Comité définit des orientations claires à l’intention des États Membres sur ce qu’ils doivent réaliser pour faire respecter le droit de l’enfant à un environnement propre, sain et durable. Le texte énonce : « Les enfants doivent être protégés contre toutes les formes de violence physique et psychologique et contre l’exposition à la violence, comme la violence domestique ou la violence infligée aux animaux. »

En France, la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes est venue compléter l'article L. 312-15 du Code de l'éducation par un alinéa selon lequel « L’enseignement moral et civique sensibilise également, à l'école primaire, au collège et au lycée, les élèves au respect des animaux de compagnie. Il présente les animaux de compagnie comme sensibles et contribue à prévenir tout acte de maltraitance animale. » Malgré nos démarches auprès des autorités et instances publiques, cette « sensibilisation » n’est pas à ce jour mise en œuvre dans les établissements scolaires.

Comment ne pas déplorer que le lien entre les violences à l'encontre des animaux et celles aux personnes soit insuffisamment reconnu par les pouvoirs publics (Chain-Larché, 2021) (6).

Lorsque la violence est exercée devant, ou par, un enfant sur un animal, le risque que cet enfant exerce sa violence sur des humains plus tard, est tout sauf mineur, dérisoire (7). La violence sur un animal peut n’être qu’un « brouillon » avant le passage à l’acte sur humain.

Là encore, la situation à La Réunion corrobore l’analyse sociale et scientifique du lien entre les violences et des timides prémices de la prise en compte en droit. Les actes commis de gré ou de force par ces mineurs de moins de treize ans interrogent toujours et encore sur la présomption de vulnérabilité (8) de ces mineurs. Les facteurs de vulnérabilité, d’ordre endogène ou exogène (social ou culturel), ne doivent pas faire occulter les devoirs attachés aux droits de l’Humanité.

Vers une obligation d’humanité

Rédigée dans le contexte de la Cop 21, la Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité (9) énonce autant de droits que de devoirs pour l’Humanité, vis-à-vis d’elle-même, des générations futures, des autres espèces et de la nature. L’article 5 dispose : « l’humanité, comme l’ensemble des espèces vivantes, a droit de vivre dans un environnement sain écologiquement et soutenable ».

Au-delà du genre, de notre espèce, la notion d’« humanité » en droit international vise à protéger la « famille humaine ». Bien que dépourvue d’unité morale, l’humanité tend à rassembler contre l’inhumanité.

Les actes commis de la main d’enfants sur des animaux nous rappellent que l’humanité, dans son acception de bienveillance, n’est finalement pas innée chez l’humain. Elle pose la question de l’humanité juridique (10) voire la nécessité d’une obligation d’humanité.

Face à la gravité de la situation ici et ailleurs, il y a une impérieuse nécessité de se rassembler pour lutter contre l’inhumanité. Pourquoi ne pas faire connaître, expliciter cette Déclaration Universelle des Droits de l’Humanité par des avocats, dans les établissements scolaires par exemple ?

Alors parents irresponsables ou dépassés, face à ces mineurs qui ne sont pas pénalement responsables, peut-on baisser les yeux, se distancier de ce qui se passe à La Réunion et Mayotte, relativiser le « problème » ?

Loin d’être réduite à une question de sécurité relevant de la compétence du ministère de l’Intérieur, la confluence des enjeux de ce qui n’a rien d’un « fait divers » appelle à la mobilisation du Premier ministre, précédemment ministre de l’Education, de la ministre de l’Education, ancienne ministre de la Justice, de l’actuel garde des Sceaux et du Secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, du ministre de l’Agriculture aux côtés de la ministre chargée des Outre-Mer.

Enfin et peut-être surtout, la question de la santé mentale de ces mineurs se pose. Loin d’être une insulte, ni une provocation, elle ne doit pas être un tabou.

Les enfants incarnent les générations futures. Sommes-nous armés contre l’inhumanité qui grandit ?

Marie-Bénédicte Desvallon

Avocate au Barreau de Paris – Solicitor of England & Wales

Responsable de la Commission ouverte Droit et Animaux

 




(1) Cf Travaux de l’association sur la reconnaissance des crimes contre les animaux  https://worldanimaljustice.org/

(2) Par une loi fédérale du 29 novembre 2019, les Etats-Unis ont érigé en crime les actes de cruauté sur animaux. Ils sont passibles de 7 ans de prison.

(3) - Article 222-1 du Code pénal : « Le fait de soumettre une personne à des tortures ou à des actes de barbarie est puni de quinze ans de réclusion criminelle. »

(4) L’animal n’est pas reconnu en droit français comme une victime.

(5) Le comité rassemble un corps d'experts indépendants qui contrôle l'application de la Convention internationale des droits de l'enfant des Nations unies.

(7) Première enquête française sur les cruautés commises envers les animaux auprès d'une population de 12 300 adolescents âgés de 11 à 18 ans en Isère. – Par Laurent BEGUE-SHANKLAND, Professeur et chercheur universitaire – Psychologie sociale - Membre de l'Institut Universitaire de France – 2020.

(8) Les multiples facteurs de la vulnérabilité de la victime en matière pénale - Agnès Cerf-Hollender - maître de conférences à l’université de Caen Normandie

(9) Lien vers le site dédié : https://ddhu.org/

(10) Esquisse de l’humanité juridique – Catherine le Bris Chargée de recherche au CNRS. 2012

 

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