Dans le cadre d’une cession,
la validité de la technique dite « du coup d’accordéon » est
aujourd’hui clairement acquise. Cependant, elle n’est pas à l’abri de toutes
difficultés, et imposent une attention soutenue des praticiens.
La réduction du capital
social peut être motivée par des pertes ou non. Dans le premier cas, il n’est
pas rare d’associer une réduction et une augmentation du capital. Cette
technique, issue de la pratique, est devenue relativement courante quand la
société qui a subi des pertes importantes dispose d’une possibilité d’être
reprise par un investisseur, qui accepte de la renflouer. C’est précisément ce
que l’on appelle le coup d’accordéon, qui débute par une réduction du capital
social, suivie d’une augmentation du capital, dans un temps presque identique,
ces deux opérations étant conçues de manière indivisible (Cass. com., 4 janv.
2023, n°21-10.609, Bull. Joly Sociétés 2023, p.16, note F.-X. Lucas).
La validité de principe du
coup d’accordéon
Le mécanisme est simple. Il
repose sur un constat qui est en principe sans appel : l’actif net est
tombé en dessous du montant du capital social. La valeur vénale du titre est
devenue inférieure à sa valeur nominale.
- Mécanisme du coup
d’accordéon
Dans un premier temps, deux
options sont ouvertes. Soit, il est décidé d’une réduction du capital social,
en diminuant le nominal des titres de façon à faire coïncider la valeur vénale
et la valeur nominale des titres. Soit, lorsque les pertes sont très importantes
et qu’un investisseur s’est présenté, il est décidé de les imputer sur le
capital social ; la réduction du capital à zéro entraîne l’annulation des
titres existants, ce qui exclut les associés anciens, qui jouiront toutefois,
en principe, d’un droit préférentiel de souscription pour l’augmentation de
capital devant intervenir dans un second temps (Ph. Merle, Sociétés
commerciales, avec la coll. d’A. Fauchon, Précis Dalloz, 27ème
éd., 2023/2024, n°660).
Dans ce second temps, qui est
quasi concomitant, la société augmente son capital pour atteindre le minimum
légal. L’augmentation est réalisée soit par émission d’actions nouvelles en
numéraire, l’opération étant souvent réservée à l’investisseur (personne
physique, groupe…) qui a accepté de renflouer la société, avec renonciation des
actionnaires anciens à leur droit préférentiel de souscription. L’augmentation
de capital peut également être réalisée par compensation de créances (Cass.
com., 28 févr. 2006, n°04-17.566, Dr. sociétés 2006, comm. 75, obs. H.
Hovasse ; CA Paris, 23 oct. 2008, BRDA 6/2009, p.3).
La réduction du capital à
zéro du capital d’une société par actions n’est ainsi licite que si elle est
décidée sous la condition suspensive d’une augmentation effective du capital
amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant légal ou statutaire
exigé. C’est dire que si la réalisation de l’augmentation de capital est
suspendue, une résolution décidant de la réduction du capital à zéro ne peut
légalement produire effet, sauf à priver la société de tout capital (Cass.
com., 4 janv. 2023, préc..).
Cette technique présente des
avantages comptables et financiers puisqu’elle permet de faire d’une pierre
deux coups : elle entraîne l’effacement des pertes comptables du bilan et
elle permet à la société d’être recapitalisée grâce à un apport important de
liquidités (M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés,
LexisNexis, 36ème éd., 2023, n°1469).
Cette technique est valable
par principe. Créée par la pratique, elle dispose aujourd’hui d’une base
légale. L’article L 224-2, alinéa 2, du Code de commerce précise ainsi que
« La réduction du capital social à un montant inférieur ne peut être
décidée que sous la condition suspensive d'une augmentation de capital destinée
à amener celui-ci à un montant au moins égal au montant prévu à l'alinéa
précédent, à moins que la société ne se transforme en société d'une autre
forme. »
La jurisprudence façonne les contours
de cet article, qui renforce les conditions de régularité pratiques de cette
technique de réduction du capital social en éliminant systématiquement les
argumentations proposées au soutien d’une neutralisation du mécanisme.
- Absence
d’expropriation illégale des actionnaires
Ainsi, la Cour de cassation considère que
l’opération du coup d’accordéon ne constitue pas une expropriation illégale et
ne porte pas atteinte au droit de propriété des actionnaires (Cass. com., 17
mai 1994, n°91-21.364, Usinor, Bull. Joly Sociétés 1994, p.816,
note J.-J. Daigre, Rev. sociétés 1994, p.485, note
S. Dana-Démaret, Dr. sociétés 1994, comm. 142, note
H. Le Nabasque). La chambre commerciale écarte cet argument, au motif que
les anciens actionnaires disposent d’un droit préférentiel de souscription à
l’augmentation de capital consécutive à sa réduction. La survie de ce droit
préférentiel de souscription, alors même que le titre auquel il est attaché a
disparu, est en effet permise par le jeu de la condition suspensive de l’article L. 224-2 du Code de commerce. Les anciens
actionnaires ont donc tous vocation prioritaire à devenir à nouveau
actionnaires en souscrivant à l’augmentation de capital. S’ils n’exercent pas
ce droit de priorité, ils se trouvent écartés de la société de par leur propre
volonté. Le grief de l’exclusion ne peut donc prospérer. En conséquence, une
partie de la doctrine a-t-elle considéré pendant longtemps qu’il ne pouvait y
avoir de réduction licite du capital social à zéro sans le maintien du droit
préférentiel de souscription (not. A. Viandier, note sous Cass. com., 10 oct. 2000, n°98-10.236, JCP éd. E
2001, 85). Une telle opinion n’était toutefois pas partagée par tous les
auteurs. La reconnaissance d’un tel droit de priorité relevait plus de la
compassion, que d’une véritable nécessité (V. Allegaert, Réduction du
capital, Joly Sociétés, 2024). Dès lors que l’apport a été totalement perdu
lors de la réduction à zéro du capital social, les actionnaires n’ont plus
aucun droit dans la société. La jurisprudence leur a donné raison. Dans un
arrêt du 18 juin 2002, la chambre commerciale a consacré la licéité du
coup d’accordéon avec suppression du droit préférentiel de souscription, sans
que celui-ci ne constitue une expropriation illégale (Cass. com., 18 juin 2002, n°99-11999, RTD com. 2002,
p.496, obs. J.-P. Chazal et Y. Reinhard, Bull. Joly Sociétés
nov. 2002, p.1221, note S. Sylvestre, JCP éd. E 2002,
1556, note A. Viandier).
- Absence d’augmentation des engagements des associés
De la même manière, la jurisprudence
affirme clairement que le coup d’accordéon ne constitue pas une augmentation
des engagements des actionnaires au sens de l’article 1836 du Code civil. Celle-ci suppose qu’une dette
supplémentaire soit mise à la charge de l’associé. Or, les anciens actionnaires
demeurent libres de ne pas souscrire les actions nouvelles. Et si l’opération
est assortie d’une suppression du droit préférentiel de souscription, elle ne
consacre qu’une diminution des droits des actionnaires. Aussi, et en aucun cas,
la restructuration envisagée n’aggrave la dette que les actionnaires avaient
contractée envers la société (A. Fauchon, La validité de
l’opération-accordéon encore renforcée, Bull. Joly Sociétés 1999,
p.943).
- Absence d’atteinte au principe d’égalité des associés
Enfin, le coup d’accordéon ne porte pas
davantage atteinte au principe d’égalité entre actionnaires car, de fait, ce
sont tous les titres qui sont annulés. Et, soit tous les actionnaires
conservent le droit préférentiel de souscription, et dans ce cas peuvent
s’exclure eux-mêmes en décidant de ne pas acquérir de nouveaux titres ;
soit tous les actionnaires se voient refuser le bénéfice du droit préférentiel
de souscription. Dans les deux cas de figure, il n’est pas possible d’alléguer
une rupture d’égalité.
En tout état de cause, la chambre
commerciale considère que la réduction de capital à zéro ne fait que
sanctionner l’obligation des actionnaires de contribuer aux pertes sociales
dans la limite de leurs apports, contribution dont la nécessité est affirmée
par l’article 1832 du Code civil (M. Jeantin, note sous CA
Versailles, 29 nov. 1990, JCP éd. E 1991, II, 168). La solution a
également été consacrée dans l’hypothèse où une procédure de sauvegarde était
ouverte à l’encontre de la société (Cass. com., 10 juill. 2012, n°11-22898, Bull. Joly
Sociétés nov. 2012, p. 810, note F.-X. Lucas).
Les risques du coup d’accordéon
Les risques sont de nature juridique et
fiscale.
L’opération d’accordéon est ainsi
annulable si elle est constitutive d’un abus de majorité. Ce sera le cas chaque
fois qu’elle n’aura pas pour seul objectif de satisfaire à l’obligation légale
de recapitaliser la société (Cass. com., QPC, 9 juin 2021, n°20-22.246, Bull.
Joly Sociétés sept. 2021, p.21, note M. Storck) mais qu’elle aura pour
dessein secret de ne pas honorer des engagements, encore que la jurisprudence
est parfois hésitante (Cass. com., 28 févr. 2006, n°04-17.566, Dr. Sociétés
2006, comm. 75, obs. H. Hovasse ; Cass. com., 31 mars 2015, n°14-11.735, Rev.
sociétés 2015, p.668, note S. Sylvestre ; Cass. com., 7 mars 2019,
n°17-16.675, Bull. Joly Sociétés 2019, p.10, note M. Storck ; contra
Cass. com., 15 juin 2010, n°09-10.961, BRDA 2010/15-16, p.3). Des
difficultés de preuve demeurent cependant persistantes.
Elle pourrait également être contestée
sur le fondement d’une atteinte à l’intérêt commun des associés, visé à
l’article 1833, alinéa 1er, du Code civil. Dans une espèce, des
minoritaires avaient reproché aux juges du fond d’avoir confondu l’intérêt
social et l’intérêt commun des associés. La Cour de cassation est
catégorique : l’opération d’accordéon effectuée en vue de préserver la
pérennité de l’entreprise est conforme à l’intérêt social ; elle l’est
également à l’intérêt commun des actionnaires, fussent-ils minoritaires,
puisque, d’une façon ou d’une autre, réalisation de l’opération ou dépôt de
bilan, ils auraient connu une situation identique, les majoritaires subissant
au demeurant le même sort (Cass. com., 18 juin 2002, préc. ; Cass. com.,
25 janv. 2005, n°02-18.269, RJDA 5/05, n°556 ; Cass. com., 15 juin
2010, préc.).
Ainsi, comme en matière d’abus de
majorité, on peut penser que l’intérêt social sera par hypothèse préservé, dès
lors que l’opération litigieuse conduit à l’apurement du passif et au
renforcement de la structure financière de la société. On pourrait ainsi se
demander si la crise financière à laquelle est confrontée la société ne
pourrait pas permettre de justifier la situation dans laquelle le droit
préférentiel de souscription serait supprimé non au profit d’un tiers
repreneur, mais réservé à un seul associé. La rupture d’égalité avérée pourrait
être légitimée, sous réserve de la fraude, par le respect de l’intérêt social.
Enfin, l’opération d’accordéon pourrait
être remise en cause sur le fondement de la fraude. Ce sera le cas chaque fois
que cette technique sera utilisée alors que la société n’est pas en péril et
qu’elle est seulement motivée par le désir du majoritaire de renforcer sa
position ou d’en tirer un bénéfice quelconque (Cass. com., 11 janv. 2017, n°14-27.052,
Dr. sociétés 2017, comm. 62, obs. C. Coupet, Rev. sociétés 2017,
p.294, note D. Schmidt ; Cass. com., 7 mai 2019, n°17-18.785, Rev. sociétés
2020, p.157, note S. Sylvestre ; CA Paris, 16 déc. 2022, Bull. Joly
Sociétés 2023, p.16, note P.-L. Périn). Le coup d’accordéon serait
condamnable à l’identique s’il constitue le moyen de contourner les
stipulations d’un pacte d’actionnaires (Cass. com., 7 mai 2019, n°17-16.675, BRDA
13/19, n°2).
Au-delà des risques strictement
juridiques, un certain nombre d’écueils fiscaux peuvent se rencontrer. Il est
cependant à noter que la doctrine est plutôt réservée quant à ce nouveau
critère. S’il a l’avantage d’offrir au juge une plus grande liberté d’appréciation,
il permet également de valider l’exclusion des actionnaires non plus uniquement
lorsque l’opération est vitale pour la société, mais également dans les
hypothèses où elle est seulement utile, souhaitable, voire opportune.
Le juge fiscal estime ainsi parfois que
l’opération d’accordéon peut être constitutive d’un acte anormal de gestion
(CE, 16 oct. 1986, n°39415 et 40744, RJF 12/86, n°1066 ; CAA
Bordeaux, 28 avr. 2009, Dr. fisc. 2010, comm. 439). La Cour de cassation
a admis, sous certaines conditions, la licéité du coup d’accordéon qui permet à
la fois de recapitaliser une société et d’en transmettre le
contrôle (Cass. com., 18 juin 2002, n°99-11.999, préc.). Des associés
opportunistes peuvent également profiter de ce mécanisme pour tenter de
profiter de l’apurement du passif pour diminuer ou transférer le risque qu’ils
subissaient au titre des créances qu’ils détenaient en compte courant sur leur
société. Dans ce cas, l’opération d’accordéon ne présente aucune contrepartie
favorable pour la société, mais seulement pour ses associés, qui bénéficient de
la prise en charge du risque financier lié aux créances qu'ils détiennent sur
la société.
De la même manière, le juge fiscal peut
considérer que cette technique génère un abus de droit (TA Paris, 20
oct. 1986, n°57.595/2, RJF 11/87, n°1097 ; Cass. com., 20 déc.
1988, n°87-13.816, Dr. fisc. 1989, comm. 503 ; Cass. com., 3 mars
2009, n°07-20.871, RJF 6/09, n°603 ; CE, 16 mars 2016, n°374909, Dr.
fisc. 2016, comm. 535). Ainsi par exemple, un associé consent une donation
indirecte au profit des autres associés lorsque, en effectuant un apport, sous
couvert d’une augmentation de capital suivie d’une réduction du même montant,
il éteint une perte de la société au-delà de ce qui lui incombe.
Au-delà de ces situations contentieuses,
certaines incidences de l’opération d’accordéon, notamment à l’occasion de la
réduction du capital (CE, 17 oct. 2008, n°293467, RJF 1/09, n°8) ou
encore de la cession ultérieure des titres (sur le traitement des moins-values
constatées par suite de l’opération : CE, 26 mars 2008, n°301413, RJF 6/08,
n°637, Dr. fisc. 2008, comm. 521 ; 22 janv. 2010, n°311339, RJF
4/10, n°320), peuvent engendrer des frottements fiscaux délicats à appréhender
(Ph. Merle, Sociétés commerciales, op. préc., n°660).
Arnaud Lecourt
Professeur de droit privé et sciences criminelles
à l'Université de Pau et des
Pays de l'Adour
Directeur de l'Institut d’Études Judiciaires