DROIT

SÉRIE « LE CAPITAL SOCIAL » (1). Le coup d'accordéon, avantages et risques d'une technique très encadrée

SÉRIE « LE CAPITAL SOCIAL » (1). Le coup d'accordéon, avantages et risques d'une technique très encadrée
Publié le 19/03/2024 à 11:40


La faculté de droit et science politique de l’université Toulouse Capitole a proposé mi-mars le colloque intitulé « Le capital social », organisé par le centre de droit des affaires et l’institut national universitaire Champollion. Nous nous faisons ici l’écho, sous forme de série, des idées échangées au cours de cette journée sous la houlette des modérateurs, Arnaud de Bissy, Hélène Durand, Nadège Jullian, et Emmanuel Cordelier. La série « Le capital social » regroupe les articles suivants :


• Le coup d’accordéon ;

• Le capital social entamé ;

• Le salarié actionnaire : quelles réalités ? ;

• Le désengagement capitalistique de l’État actionnaire ;

• La société non capitaliste ;

• Risques et intéressement des managers au capital ;

• Les conséquences de la non-libération des apports ;

• Le capital social imaginaire : le cas de l'entreprise individuelle assimilée à une EURL (ou à une EARL) ;

• La variabilité du capital social ;

• Le cash out, une opération risquée.


Dans le cadre d’une cession, la validité de la technique dite « du coup d’accordéon » est aujourd’hui clairement acquise. Cependant, elle n’est pas à l’abri de toutes difficultés, et imposent une attention soutenue des praticiens.

La réduction du capital social peut être motivée par des pertes ou non. Dans le premier cas, il n’est pas rare d’associer une réduction et une augmentation du capital. Cette technique, issue de la pratique, est devenue relativement courante quand la société qui a subi des pertes importantes dispose d’une possibilité d’être reprise par un investisseur, qui accepte de la renflouer. C’est précisément ce que l’on appelle le coup d’accordéon, qui débute par une réduction du capital social, suivie d’une augmentation du capital, dans un temps presque identique, ces deux opérations étant conçues de manière indivisible (Cass. com., 4 janv. 2023, n°21-10.609, Bull. Joly Sociétés 2023, p.16, note F.-X. Lucas).

La validité de principe du coup d’accordéon

Le mécanisme est simple. Il repose sur un constat qui est en principe sans appel : l’actif net est tombé en dessous du montant du capital social. La valeur vénale du titre est devenue inférieure à sa valeur nominale.

  • Mécanisme du coup d’accordéon

Dans un premier temps, deux options sont ouvertes. Soit, il est décidé d’une réduction du capital social, en diminuant le nominal des titres de façon à faire coïncider la valeur vénale et la valeur nominale des titres. Soit, lorsque les pertes sont très importantes et qu’un investisseur s’est présenté, il est décidé de les imputer sur le capital social ; la réduction du capital à zéro entraîne l’annulation des titres existants, ce qui exclut les associés anciens, qui jouiront toutefois, en principe, d’un droit préférentiel de souscription pour l’augmentation de capital devant intervenir dans un second temps (Ph. Merle, Sociétés commerciales, avec la coll. d’A. Fauchon, Précis Dalloz, 27ème éd., 2023/2024, n°660).

Dans ce second temps, qui est quasi concomitant, la société augmente son capital pour atteindre le minimum légal. L’augmentation est réalisée soit par émission d’actions nouvelles en numéraire, l’opération étant souvent réservée à l’investisseur (personne physique, groupe…) qui a accepté de renflouer la société, avec renonciation des actionnaires anciens à leur droit préférentiel de souscription. L’augmentation de capital peut également être réalisée par compensation de créances (Cass. com., 28 févr. 2006, n°04-17.566, Dr. sociétés 2006, comm. 75, obs. H. Hovasse ; CA Paris, 23 oct. 2008, BRDA 6/2009, p.3).

La réduction du capital à zéro du capital d’une société par actions n’est ainsi licite que si elle est décidée sous la condition suspensive d’une augmentation effective du capital amenant celui-ci à un montant au moins égal au montant légal ou statutaire exigé. C’est dire que si la réalisation de l’augmentation de capital est suspendue, une résolution décidant de la réduction du capital à zéro ne peut légalement produire effet, sauf à priver la société de tout capital (Cass. com., 4 janv. 2023, préc..).

Cette technique présente des avantages comptables et financiers puisqu’elle permet de faire d’une pierre deux coups : elle entraîne l’effacement des pertes comptables du bilan et elle permet à la société d’être recapitalisée grâce à un apport important de liquidités (M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 36ème éd., 2023, n°1469).

Cette technique est valable par principe. Créée par la pratique, elle dispose aujourd’hui d’une base légale. L’article L 224-2, alinéa 2, du Code de commerce précise ainsi que « La réduction du capital social à un montant inférieur ne peut être décidée que sous la condition suspensive d'une augmentation de capital destinée à amener celui-ci à un montant au moins égal au montant prévu à l'alinéa précédent, à moins que la société ne se transforme en société d'une autre forme. » 

La jurisprudence façonne les contours de cet article, qui renforce les conditions de régularité pratiques de cette technique de réduction du capital social en éliminant systématiquement les argumentations proposées au soutien d’une neutralisation du mécanisme.

  • Absence d’expropriation illégale des actionnaires

Ainsi, la Cour de cassation considère que l’opération du coup d’accordéon ne constitue pas une expropriation illégale et ne porte pas atteinte au droit de propriété des actionnaires (Cass. com., 17 mai 1994, n°91-21.364, Usinor, Bull. Joly Sociétés 1994, p.816, note J.-J. Daigre, Rev. sociétés 1994, p.485, note S. Dana-Démaret, Dr. sociétés 1994, comm. 142, note H. Le Nabasque). La chambre commerciale écarte cet argument, au motif que les anciens actionnaires disposent d’un droit préférentiel de souscription à l’augmentation de capital consécutive à sa réduction. La survie de ce droit préférentiel de souscription, alors même que le titre auquel il est attaché a disparu, est en effet permise par le jeu de la condition suspensive de l’article L. 224-2 du Code de commerce. Les anciens actionnaires ont donc tous vocation prioritaire à devenir à nouveau actionnaires en souscrivant à l’augmentation de capital. S’ils n’exercent pas ce droit de priorité, ils se trouvent écartés de la société de par leur propre volonté. Le grief de l’exclusion ne peut donc prospérer. En conséquence, une partie de la doctrine a-t-elle considéré pendant longtemps qu’il ne pouvait y avoir de réduction licite du capital social à zéro sans le maintien du droit préférentiel de souscription (not. A. Viandier, note sous Cass. com., 10 oct. 2000, n°98-10.236JCP éd. E 2001, 85). Une telle opinion n’était toutefois pas partagée par tous les auteurs. La reconnaissance d’un tel droit de priorité relevait plus de la compassion, que d’une véritable nécessité (V. Allegaert, Réduction du capital, Joly Sociétés, 2024). Dès lors que l’apport a été totalement perdu lors de la réduction à zéro du capital social, les actionnaires n’ont plus aucun droit dans la société. La jurisprudence leur a donné raison. Dans un arrêt du 18 juin 2002, la chambre commerciale a consacré la licéité du coup d’accordéon avec suppression du droit préférentiel de souscription, sans que celui-ci ne constitue une expropriation illégale (Cass. com., 18 juin 2002, n°99-11999, RTD com. 2002, p.496, obs. J.-P. Chazal et Y. Reinhard, Bull. Joly Sociétés nov. 2002, p.1221, note S. Sylvestre, JCP éd. E 2002, 1556, note A. Viandier).

  • Absence d’augmentation des engagements des associés

De la même manière, la jurisprudence affirme clairement que le coup d’accordéon ne constitue pas une augmentation des engagements des actionnaires au sens de l’article 1836 du Code civil. Celle-ci suppose qu’une dette supplémentaire soit mise à la charge de l’associé. Or, les anciens actionnaires demeurent libres de ne pas souscrire les actions nouvelles. Et si l’opération est assortie d’une suppression du droit préférentiel de souscription, elle ne consacre qu’une diminution des droits des actionnaires. Aussi, et en aucun cas, la restructuration envisagée n’aggrave la dette que les actionnaires avaient contractée envers la société (A. Fauchon, La validité de l’opération-accordéon encore renforcée, Bull. Joly Sociétés 1999, p.943).

  • Absence d’atteinte au principe d’égalité des associés

Enfin, le coup d’accordéon ne porte pas davantage atteinte au principe d’égalité entre actionnaires car, de fait, ce sont tous les titres qui sont annulés. Et, soit tous les actionnaires conservent le droit préférentiel de souscription, et dans ce cas peuvent s’exclure eux-mêmes en décidant de ne pas acquérir de nouveaux titres ; soit tous les actionnaires se voient refuser le bénéfice du droit préférentiel de souscription. Dans les deux cas de figure, il n’est pas possible d’alléguer une rupture d’égalité.

En tout état de cause, la chambre commerciale considère que la réduction de capital à zéro ne fait que sanctionner l’obligation des actionnaires de contribuer aux pertes sociales dans la limite de leurs apports, contribution dont la nécessité est affirmée par l’article 1832 du Code civil (M. Jeantin, note sous CA Versailles, 29 nov. 1990, JCP éd. E 1991, II, 168). La solution a également été consacrée dans l’hypothèse où une procédure de sauvegarde était ouverte à l’encontre de la société (Cass. com., 10 juill. 2012, n°11-22898, Bull. Joly Sociétés nov. 2012, p. 810, note F.-X. Lucas).

Les risques du coup d’accordéon

Les risques sont de nature juridique et fiscale.

  • Risques juridiques

L’opération d’accordéon est ainsi annulable si elle est constitutive d’un abus de majorité. Ce sera le cas chaque fois qu’elle n’aura pas pour seul objectif de satisfaire à l’obligation légale de recapitaliser la société (Cass. com., QPC, 9 juin 2021, n°20-22.246, Bull. Joly Sociétés sept. 2021, p.21, note M. Storck) mais qu’elle aura pour dessein secret de ne pas honorer des engagements, encore que la jurisprudence est parfois hésitante (Cass. com., 28 févr. 2006, n°04-17.566, Dr. Sociétés 2006, comm. 75, obs. H. Hovasse ; Cass. com., 31 mars 2015, n°14-11.735, Rev. sociétés 2015, p.668, note S. Sylvestre ; Cass. com., 7 mars 2019, n°17-16.675, Bull. Joly Sociétés 2019, p.10, note M. Storck ; contra Cass. com., 15 juin 2010, n°09-10.961, BRDA 2010/15-16, p.3). Des difficultés de preuve demeurent cependant persistantes.

Elle pourrait également être contestée sur le fondement d’une atteinte à l’intérêt commun des associés, visé à l’article 1833, alinéa 1er, du Code civil. Dans une espèce, des minoritaires avaient reproché aux juges du fond d’avoir confondu l’intérêt social et l’intérêt commun des associés. La Cour de cassation est catégorique : l’opération d’accordéon effectuée en vue de préserver la pérennité de l’entreprise est conforme à l’intérêt social ; elle l’est également à l’intérêt commun des actionnaires, fussent-ils minoritaires, puisque, d’une façon ou d’une autre, réalisation de l’opération ou dépôt de bilan, ils auraient connu une situation identique, les majoritaires subissant au demeurant le même sort (Cass. com., 18 juin 2002, préc. ; Cass. com., 25 janv. 2005, n°02-18.269, RJDA 5/05, n°556 ; Cass. com., 15 juin 2010, préc.).

Ainsi, comme en matière d’abus de majorité, on peut penser que l’intérêt social sera par hypothèse préservé, dès lors que l’opération litigieuse conduit à l’apurement du passif et au renforcement de la structure financière de la société. On pourrait ainsi se demander si la crise financière à laquelle est confrontée la société ne pourrait pas permettre de justifier la situation dans laquelle le droit préférentiel de souscription serait supprimé non au profit d’un tiers repreneur, mais réservé à un seul associé. La rupture d’égalité avérée pourrait être légitimée, sous réserve de la fraude, par le respect de l’intérêt social.

Enfin, l’opération d’accordéon pourrait être remise en cause sur le fondement de la fraude. Ce sera le cas chaque fois que cette technique sera utilisée alors que la société n’est pas en péril et qu’elle est seulement motivée par le désir du majoritaire de renforcer sa position ou d’en tirer un bénéfice quelconque (Cass. com., 11 janv. 2017, n°14-27.052, Dr. sociétés 2017, comm. 62, obs. C. Coupet, Rev. sociétés 2017, p.294, note D. Schmidt ; Cass. com., 7 mai 2019, n°17-18.785, Rev. sociétés 2020, p.157, note S. Sylvestre ; CA Paris, 16 déc. 2022, Bull. Joly Sociétés 2023, p.16, note P.-L. Périn). Le coup d’accordéon serait condamnable à l’identique s’il constitue le moyen de contourner les stipulations d’un pacte d’actionnaires (Cass. com., 7 mai 2019, n°17-16.675, BRDA 13/19, n°2).

Au-delà des risques strictement juridiques, un certain nombre d’écueils fiscaux peuvent se rencontrer. Il est cependant à noter que la doctrine est plutôt réservée quant à ce nouveau critère. S’il a l’avantage d’offrir au juge une plus grande liberté d’appréciation, il permet également de valider l’exclusion des actionnaires non plus uniquement lorsque l’opération est vitale pour la société, mais également dans les hypothèses où elle est seulement utile, souhaitable, voire opportune.

  • Risques fiscaux

Le juge fiscal estime ainsi parfois que l’opération d’accordéon peut être constitutive d’un acte anormal de gestion (CE, 16 oct. 1986, n°39415 et 40744, RJF 12/86, n°1066 ; CAA Bordeaux, 28 avr. 2009, Dr. fisc. 2010, comm. 439). La Cour de cassation a admis, sous certaines conditions, la licéité du coup d’accordéon qui permet à la fois de recapitaliser une société et d’en transmettre le contrôle (Cass. com., 18 juin 2002, n°99-11.999, préc.). Des associés opportunistes peuvent également profiter de ce mécanisme pour tenter de profiter de l’apurement du passif pour diminuer ou transférer le risque qu’ils subissaient au titre des créances qu’ils détenaient en compte courant sur leur société. Dans ce cas, l’opération d’accordéon ne présente aucune contrepartie favorable pour la société, mais seulement pour ses associés, qui bénéficient de la prise en charge du risque financier lié aux créances qu'ils détiennent sur la société.

De la même manière, le juge fiscal peut considérer que cette technique génère un abus de droit (TA Paris, 20 oct. 1986, n°57.595/2, RJF 11/87, n°1097 ; Cass. com., 20 déc. 1988, n°87-13.816, Dr. fisc. 1989, comm. 503 ; Cass. com., 3 mars 2009, n°07-20.871, RJF 6/09, n°603 ; CE, 16 mars 2016, n°374909, Dr. fisc. 2016, comm. 535). Ainsi par exemple, un associé consent une donation indirecte au profit des autres associés lorsque, en effectuant un apport, sous couvert d’une augmentation de capital suivie d’une réduction du même montant, il éteint une perte de la société au-delà de ce qui lui incombe.

Au-delà de ces situations contentieuses, certaines incidences de l’opération d’accordéon, notamment à l’occasion de la réduction du capital (CE, 17 oct. 2008, n°293467, RJF 1/09, n°8) ou encore de la cession ultérieure des titres (sur le traitement des moins-values constatées par suite de l’opération : CE, 26 mars 2008, n°301413, RJF 6/08, n°637, Dr. fisc. 2008, comm. 521 ; 22 janv. 2010, n°311339, RJF 4/10, n°320), peuvent engendrer des frottements fiscaux délicats à appréhender (Ph. Merle, Sociétés commerciales, op. préc., n°660).

Arnaud Lecourt
Professeur de droit privé et sciences criminelles
à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour
Directeur de l'Institut d’Études Judiciaires

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