Arrêt à la loupe : Cass. Com. 7 juill. 2023, FS-B+R, n° 22-17.902, D. 2023.
1357 ; Rev. sociétés 2023. 547, obs. L.-C. Henry ; RDT 2023. 628,
chron. V. Ilieva et A. Mittelette.
L’arrêt sous examen de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 juillet 2023 (FS-B+R, n° 22-17.902) était très attendu par la pratique
et la doctrine faillitiste. Il devrait mettre un terme à un débat qui les
agitaient et opposaient mandataires judiciaires et AGS (Assurance de garantie des salaires) : les premiers
sont-ils tenus de prouver l’insuffisance des fonds à régler les salaires avant
d’en demander l’avance à la seconde ?
En application de l’article L. 3253-20 du Code du travail, la
jurisprudence récente se prononçait majoritairement en faveur d’une présomption
d’absence de fonds disponibles en cas de redressement ou de liquidation
judiciaire, justifiant que le mandataire n’ait pas à prouver cet état (dans ce sens : Paris, 13 oct. 2022, no 21/08986,
LEDEN 11/2022. 6, obs. G. Ollu ; JCP E
2023. 1025, note L. Sautonie-Laguionie ; RPC 2023, no 10, obs.
Jacotot : Toulouse, 9 sept. 2022, no 22/01754,
D. actu. 22 sept. 2022, obs. C.
Gailhbaud ; DP diff. entr., Bull. no 453, obs. Sérandour ;
Toulouse 20 janv. 2023, no 22/02135, APC 2023, no 48, obs. L.
Fin-Langer).
Malgré cela, l’AGS continue à opposer
régulièrement un refus aux demandes d’avance en exigeant du mandataire qu’il
justifie de l’absence de fonds. L’arrêt sous examen en est une illustration.
L’affaire opposait le liquidateur judiciaire d’une société en liquidation
depuis le 30 avril 2021 à l’AGS à laquelle il avait demandé une avance pour
assurer le paiement des salaires du mois d’avril 2021. Condamnée à payer en
appel (Poitiers, 14 juin 2022, n° 21/01968, LEDEN, n° 7 juil. 2022, note G.
Ollu ; Droit de réponse de l’AGS, LEDEN n° 8, sept. 2022), l’AGS invoquait le
principe de subsidiarité : « Ce n'est que si les créances ne peuvent
être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles que le mandataire
judiciaire peut demander, sur présentation des relevés, l'avance des fonds
nécessaires. »
Selon elle, le mandataire n’avait pas
rapporté la preuve de ce que les créances ne pouvaient être payées en tout ou
partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par
l'article L. 3253-19 du Code du travail. Elle reprochait aux juges d’appel
d’avoir affirmé qu'aucun contrôle a priori de l'insuffisance des fonds
disponibles de l'entreprise n'est ouvert à l’AGS, tenue, dès présentation des
relevés par le mandataire, de verser les avances demandées. Son pourvoi est
rejeté, la Cour livrant une analyse des textes à la fois conforme à sa lettre
et à son esprit en libérant le
mandataire judiciaire de la charge de la preuve de l’insuffisance des fonds
disponibles.
Pas d'interprétation a contrario mais une stricte application du texte
Le texte ne semblait pas sujet à interprétation (dans ce sens, voir notamment : L. Fin-Langer, Le paiement des créances salariales, dans Le droit
social des entreprises en difficulté, Planète social, Lexisnexis, 2023, n° 51).
L’alinéa 1 de l’article L. 3253-20 du
Code du travail prévoit que si les créances ne peuvent être payées en tout ou
partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19, le mandataire judiciaire demande, sur
présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires aux institutions de
garantie mentionnées à l'article L.
3253-14. Et
c’est seulement dans le cas d'une procédure de sauvegarde que le mandataire
judiciaire doit justifier à ces institutions, lors de sa demande, que
l'insuffisance des fonds disponibles est caractérisée, le texte laissant à
l’AGS la possibilité de contester l’insuffisance devant le juge-commissaire
dans un délai de 10 jours à compter de la réception de la demande du mandataire
(art. R. 3253-6 C. trav.).
Dans les deux cas, l’intervention de l’AGS suppose l’absence de
fonds disponibles, le recours à l’AGS est donc subsidiaire. Personne n’en
doutait. Cette distinction est reprise par la Cour : « Si en cas
d'ouverture d'une sauvegarde, le mandataire judiciaire doit justifier lors de
sa demande, que l'insuffisance des fonds disponibles est caractérisée, en
dehors de cette procédure, aucun contrôle a priori n'est ouvert à l'AGS. » Le texte, rien que le texte. Ce n’est pas une interprétation a contrario que
suggère la Cour, mais une stricte application du texte (V. contra : P.
Morvan, La garantie AGS est-elle subsidiaire
? Dr. social 2022 p.799 ;
Ch. Croze et F. Morel, Le rôle essentiel du régime de garantie des salaires et
ses modalités d’intervention, in Le droit social des entreprises en difficulté,
op. cit., n° 68, p. 84). Il ne s’agit pas de nier la subsidiarité de
l'intervention de l'AGS mais de la rendre automatique en cas de redressement ou
de liquidation judiciaire. « Sur la présentation d'un relevé de créances
salariales établi sous sa responsabilité par le mandataire judiciaire,
l'institution de garantie est tenue de verser les avances demandées ».
L’esprit du texte également respecté : l'AGS perd une bataille
L’esprit du texte est également respecté. L’objectif
assigné à la loi n° 73-1194 du
27 décembre 1973 ayant créé le régime de garantie des salaires était
d’éviter que le salarié de l’entreprise faillie ne perde tout moyen de
subsistance. C’est « afin de répondre
à l'objectif d'une prise en charge rapide de ces créances » que la chambre
commerciale prive en l’espèce l’AGS de tout contrôle a priori. La créance a
pour le salarié un caractère alimentaire. Il est impératif qu’elle lui soit
réglée dans les meilleurs délais. Ouvrir à l’AGS la faculté de contester
l’indisponibilité des fonds retarderait inévitablement le paiement de la
créance salariale.
L’AGS perd donc une bataille. A noter qu’elle semblait
déjà en avoir perdu une autre la veille de l’arrêt commenté lorsque la cour
d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, ch. 9, 6 juill . 2023,
n° 22/08880, APC 22 sept. 2023, alerte 193, obs. L. Fin-Langer) a limité l’étendue de la
subrogation dont elle bénéfice : « Le paiement immédiat de la créance salariale est un droit exclusivement
attaché à la personne du salarié … Il s'ensuit que l'Unedic AGS, malgré la
subrogation dont elle bénéficie, ne peut, en procédure de liquidation
judiciaire, obtenir le paiement immédiat de sa créance, avant la répartition
des fonds entre les différents créanciers, selon leur rang, sauf dans
l'hypothèse où le juge-commissaire autorise un versement en application de l'article L. 643-3 du code de
commerce. »
Adeline
Cerati