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SÉRIE « RESTRUCTURING » (1). Insuffisance des fonds disponibles du débiteur en redressement judiciaire et avances de l’AGS : l’AGS ne peut exercer aucun contrôle a priori

SÉRIE « RESTRUCTURING » (1). Insuffisance des fonds disponibles du débiteur en redressement judiciaire et avances de l’AGS : l’AGS ne peut exercer aucun contrôle a priori
Publié le 06/01/2024 à 07:00

Bastien Brignon, Adeline Cerati et Vincent Perruchot-Triboulet, maîtres de conférences à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, Université d’Aix-Marseille (CDE EA 4224), proposent aux lecteurs du JSS une nouvelle série d'articles autour de la jurisprudence marquante en matière de restructuring.

• l’avance subsidiaire de fonds par l’AGS ;
l’éventualité de faire appel à l’octroi d’un délai de paiement ;
l’impact du surendettement particulier d’un artisan débiteur.

Arrêt à la loupe : Cass. Com. 7 juill. 2023, FS-B+R, n° 22-17.902, D. 2023. 1357 ; Rev. sociétés 2023. 547, obs. L.-C. Henry ; RDT 2023. 628, chron. V. Ilieva et A. Mittelette.

L’arrêt sous examen de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 juillet 2023 (FS-B+R, n° 22-17.902) était très attendu par la pratique et la doctrine faillitiste. Il devrait mettre un terme à un débat qui les agitaient et opposaient mandataires judiciaires et AGS (Assurance de garantie des salaires) : les premiers sont-ils tenus de prouver l’insuffisance des fonds à régler les salaires avant d’en demander l’avance à la seconde ?

En application de l’article L. 3253-20 du Code du travail, la jurisprudence récente se prononçait majoritairement en faveur d’une présomption d’absence de fonds disponibles en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, justifiant que le mandataire n’ait pas à prouver cet état (dans ce sens : Paris, 13 oct. 2022, no 21/08986, LEDEN 11/2022. 6, obs. G. Ollu ; JCP E 2023. 1025, note L. Sautonie-Laguionie ; RPC 2023, no 10, obs. Jacotot : Toulouse, 9 sept. 2022, no 22/01754, D. actu. 22 sept. 2022, obs. C. Gailhbaud ; DP diff. entr., Bull. no 453, obs. Sérandour ; Toulouse 20 janv. 2023, no 22/02135, APC 2023, no 48, obs. L. Fin-Langer).

Malgré cela, l’AGS continue à opposer régulièrement un refus aux demandes d’avance en exigeant du mandataire qu’il justifie de l’absence de fonds. L’arrêt sous examen en est une illustration. L’affaire opposait le liquidateur judiciaire d’une société en liquidation depuis le 30 avril 2021 à l’AGS à laquelle il avait demandé une avance pour assurer le paiement des salaires du mois d’avril 2021. Condamnée à payer en appel (Poitiers, 14 juin 2022, n° 21/01968, LEDEN, n° 7 juil. 2022, note G. Ollu ; Droit de réponse de l’AGS, LEDEN n° 8, sept. 2022), l’AGS invoquait le principe de subsidiarité : « Ce n'est que si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles que le mandataire judiciaire peut demander, sur présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires. »

Selon elle, le mandataire n’avait pas rapporté la preuve de ce que les créances ne pouvaient être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19 du Code du travail. Elle reprochait aux juges d’appel d’avoir affirmé qu'aucun contrôle a priori de l'insuffisance des fonds disponibles de l'entreprise n'est ouvert à l’AGS, tenue, dès présentation des relevés par le mandataire, de verser les avances demandées. Son pourvoi est rejeté, la Cour livrant une analyse des textes à la fois conforme à sa lettre et à son esprit en libérant le mandataire judiciaire de la charge de la preuve de l’insuffisance des fonds disponibles.

Pas d'interprétation a contrario mais une stricte application du texte

Le texte ne semblait pas sujet à interprétation (dans ce sens, voir notamment : L. Fin-Langer, Le paiement des créances salariales, dans Le droit social des entreprises en difficulté, Planète social, Lexisnexis, 2023, n° 51). L’alinéa 1 de l’article  L. 3253-20 du Code du travail prévoit que si les créances ne peuvent être payées en tout ou partie sur les fonds disponibles avant l'expiration des délais prévus par l'article L. 3253-19, le mandataire judiciaire demande, sur présentation des relevés, l'avance des fonds nécessaires aux institutions de garantie mentionnées à l'article L. 3253-14. Et c’est seulement dans le cas d'une procédure de sauvegarde que le mandataire judiciaire doit justifier à ces institutions, lors de sa demande, que l'insuffisance des fonds disponibles est caractérisée, le texte laissant à l’AGS la possibilité de contester l’insuffisance devant le juge-commissaire dans un délai de 10 jours à compter de la réception de la demande du mandataire (art. R. 3253-6 C. trav.).

Dans les deux cas, l’intervention de l’AGS suppose l’absence de fonds disponibles, le recours à l’AGS est donc subsidiaire. Personne n’en doutait. Cette distinction est reprise par la Cour : « Si en cas d'ouverture d'une sauvegarde, le mandataire judiciaire doit justifier lors de sa demande, que l'insuffisance des fonds disponibles est caractérisée, en dehors de cette procédure, aucun contrôle a priori n'est ouvert à l'AGS. » Le texte, rien que le texte. Ce n’est pas une interprétation a contrario que suggère la Cour, mais une stricte application du texte (V. contra : P. Morvan, La garantie AGS est-elle subsidiaire ? Dr. social 2022 p.799 ; Ch. Croze et F. Morel, Le rôle essentiel du régime de garantie des salaires et ses modalités d’intervention, in Le droit social des entreprises en difficulté, op. cit., n° 68, p. 84). Il ne s’agit pas de nier la subsidiarité de l'intervention de l'AGS mais de la rendre automatique en cas de redressement ou de liquidation judiciaire. « Sur la présentation d'un relevé de créances salariales établi sous sa responsabilité par le mandataire judiciaire, l'institution de garantie est tenue de verser les avances demandées ».

L’esprit du texte également respecté : l'AGS perd une bataille

L’esprit du texte est également respecté. L’objectif assigné à la loi n° 73-1194 du 27 décembre 1973 ayant créé le régime de garantie des salaires était d’éviter que le salarié de l’entreprise faillie ne perde tout moyen de subsistance. C’est « afin de répondre à l'objectif d'une prise en charge rapide de ces créances » que la chambre commerciale prive en l’espèce l’AGS de tout contrôle a priori. La créance a pour le salarié un caractère alimentaire. Il est impératif qu’elle lui soit réglée dans les meilleurs délais. Ouvrir à l’AGS la faculté de contester l’indisponibilité des fonds retarderait inévitablement le paiement de la créance salariale.

L’AGS perd donc une bataille. A noter qu’elle semblait déjà en avoir perdu une autre la veille de l’arrêt commenté lorsque la cour d’appel de Paris (CA Paris, pôle 5, ch. 9, 6  juill . 2023, n° 22/08880, APC 22 sept. 2023, alerte 193, obs. L. Fin-Langer) a limité l’étendue de la subrogation dont elle bénéfice : « Le paiement immédiat de la créance salariale est un droit exclusivement attaché à la personne du salarié … Il s'ensuit que l'Unedic AGS, malgré la subrogation dont elle bénéficie, ne peut, en procédure de liquidation judiciaire, obtenir le paiement immédiat de sa créance, avant la répartition des fonds entre les différents créanciers, selon leur rang, sauf dans l'hypothèse où le juge-commissaire autorise un versement en application de l'article L. 643-3 du code de commerce. »

Adeline Cerati

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