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SERIE « RESTRUCTURING » (2). Délais de grâce accordés par le président du tribunal en procédure de conciliation : l’appel est possible

SERIE « RESTRUCTURING » (2). Délais de grâce accordés par le président du tribunal en procédure de conciliation : l’appel est possible
Publié le 13/01/2024 à 07:00

Bastien Brignon, Adeline Cerati et Vincent Perruchot-Triboulet, maîtres de conférences à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, Université d’Aix-Marseille (CDE EA 4224), proposent aux lecteurs du JSS une nouvelle série d'articles autour de la jurisprudence marquante en matière de restructuring.

·        l’avance subsidiaire de fonds par l’AGS ;

·        l’éventualité de faire appel à l’octroi d’un délai de paiement ;

·        l’impact du surendettement particulier d’un artisan débiteur.

Arrêt à la loupe : Cass. com., 25 oct. 2023, n° 22-15.776, F-B, LEDEN, 2023, n° 10, obs. F.-X. Lucas, Act. Proc. Coll. n° 19, repère 244, obs. F.-X. Lucas ; Dalloz actualité 27 novembre 2023, obs. G. Berthelot, Rev. soc. 2023, p. 812, obs. Ph. Roussel Galle, Rev. proc. Coll. 2023, n° 6, repère 6

La mise en place d’une procédure de conciliation doit permettre d’offrir discrètement un répit au débiteur en difficulté et de négocier par l’entremise du conciliateur des délais avec les principaux créanciers. Dans une procédure amiable, les poursuites individuelles ne sont pas suspendues. Chacun est libre de poursuivre le débiteur à l’échéance. La logique collective doit néanmoins être privilégiée pendant le temps des négociations pour permettre la recherche d’un accord. Il ne faudrait pas en effet que l’initiative d’un seul ruine les efforts de tous.

Si un créancier venait à tirer ses marrons du feu, les autres pourraient avoir le sentiment, si l’on ose dire, d’être les dindons de la farce et d’être peu récompensés de leurs efforts et de leur patience. Les créanciers bienveillants pourraient penser que leurs palabres avec le conciliateur ont mis en péril le recouvrement de leurs créances pour le plus grand profit des créanciers plus intransigeants. Pour éviter cet écueil, le législateur a toujours prévu des possibilités de demander au juge des délais contre un créancier récalcitrant.

Solliciter le président du tribunal pour préserver le secret de la négociation

Les règles ont évolué dans le temps jusqu’à la rédaction de l’article L. 611-7 alinéa 5 du Code de commerce issu de l’ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021 qui prévoit qu’« au cours de la procédure, le débiteur peut demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application de l'article 1343-5 du code civil à l'égard d'un créancier qui l'a mis en demeure ou poursuivi, ou qui n'a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l'exigibilité de la créance. Dans ce dernier cas, le juge peut, nonobstant les termes du premier alinéa de ce même article, reporter ou échelonner le règlement des créances non échues, dans la limite de la durée de la mission du conciliateur. Le juge statue après avoir recueilli les observations du conciliateur. Il peut subordonner la durée des mesures ainsi prises à la conclusion de l'accord prévu au présent article ». 

La possibilité de solliciter le président du tribunal qui a ouvert la conciliation plutôt que le juge de droit commun permet de préserver le secret de la négociation et donc de ne pas ébruiter les difficultés du débiteur.

La Cour de cassation prend acte du fait qu'il n'existe pas de disposition fermant au créancier l'appel de la décision

Face à ce dispositif désormais bien huilé, se posait la question de savoir s’il était possible de faire appel de la décision du président d’accorder des délais de paiement. L’article L. 661-1 du Code de commerce, qui énumère les décisions susceptibles d’appel ou de pourvoi, ne vise pas cette hypothèse des délais de paiement. L’article R. 611-35 qui précise la mise en œuvre de l’article L. 611-7 alinéa 5 par la procédure accélérée au fond ne vise pas davantage l’éventualité d’un recours contre la décision du président. Des cours d’appel ont pu en déduire que cela devait fermer la voie de recours (CA Aix-en-Provence 7 décembre 2011 et CA Aix-en-Provence 12 février 2012, LEDEN 2012, n° 9, p. 2, obs. O. Staes ; RTD com. 2013, p. 333, obs. F. Macorig-Venier ; CA Aix-en-Provence 10 octobre 2013, LEDEN 2013, n° 10, p. 1 obs. F.X. Lucas, RTD com. 2013, p. 805, obs. F. Macorig-Venier ; Contra CA Rennes 2 avril 2013, BJE 2013, p. 214, note O. Hart de Keating et CA Paris 6 juillet 2023, LEDEN 2023, n° 9, p. 1, obs. F.X. Lucas).

La Cour de cassation, dans son arrêt du 25 octobre 2023, prend nettement un parti contraire et considère qu’« en l'absence de disposition du Code de commerce fermant au créancier l'appel de la décision du président du tribunal, il résulte des articles 543 du Code de procédure civile et R. 662-1 du Code de commerce que cette voie lui est ouverte ». La Cour de cassation réserve, au visa de l’article 481-1 du Code de procédure civile s’agissant d’une procédure dite « accélérée au fond », deux exceptions dans l’hypothèse où la décision émane du premier président de la cour d’appel et dans le cas où la décision a été rendue en dernier ressort en raison du montant (5 000 euros en vertu de l’article R. 721-6 C. com.) ou de l’objet de la demande. En l’espèce, une société créancière de 85 059 euros de loyers échus aurait donc pu former appel contre la décision du tribunal de reporter de douze mois le règlement de la dette d’une société bénéficiant d’un accord de conciliation.

Une contrainte amoindrie en matière de conciliation

Naturellement, la perspective d’un recours renforce les prérogatives du créancier et réduit un peu la force de la contrainte portée par la décision du président du tribunal en matière de conciliation. La procédure de conciliation en sera sans doute un peu modifiée. La dissuasion demeure mais dans un cadre moins expéditif avec la possibilité d’un deuxième regard que celui du seul président. Qui pourrait trouver à se plaindre d’une telle perspective à l’heure où la procédure de conciliation se judiciarise et où le juge consolide davantage un moratoire plutôt qu’il n’offre un simple répit pour des raisons humanitaires au débiteur ? 

La doctrine militait d’ailleurs pour la reconnaissance d’une possibilité d’appel pour le créancier (F.-X. Lucas, Manuel de droit de la faillite, PUF, 4e éd., 2022, n°31 ; F. Pérochon, M. Laroche, F. Reille, T. Favario, A. Donnette, Entreprises en difficulté, LGDJ, 11e éd. 2022, n° 284 et les références citées). La nécessité de ménager le rebond du débiteur ne peut se faire en sacrifiant la possibilité pour le créancier de solliciter un contrôle sur le bien-fondé de la décision portée par un homme seul.

Vincent Perruchot-Triboulet

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