Le thème ici abordé évoque,
de prime abord, les idées gaulliennes de l’association des salariés et
dirigeants à la gestion (ou cogestion ?) de l’entreprise. Cette idée
généreuse a souvent laissé place à une simple association des managers (employés ou dirigeants relevant d’un régime fiscal salarié) au capital et à l’accroissement
de la valeur actionnariale de leur entreprise, à travers un plan d’actionnariat
salarié, voire un « management package ».
Les dispositifs ont une
utilité. Dans les opérations de buy-out, ce sont principalement la disparité de
ressources entre des associés financiers et des managers actifs dans
l’entreprise, et l’asymétrie de l’information entre les premiers et les seconds
qui justifient le recours à ces instruments de management package qui visent à aligner
les divers intérêts catégoriels. L’endettement souscrit par les structures
émettrices de ces management packages produit un effet accélérateur de leur
rendement. La littérature financière d’une part (P. François, stratégies
financières, Ellipses), juridique et fiscale d’autre part (JL Médus, LBO, buy-out
et transmission d’entreprises, Ed. BoD 2021) éclairera le lecteur.
En présence de start-up,
c’est la faiblesse des moyens financiers de l’entreprise en forte croissance et
consommatrice de fonds propres dilutifs de la participation des associés, combinée
au souhait d’attirer et fidéliser des talents humains, qui justifient
l’émission de titres (actions gratuites et plus souvent encore Bspce) réservés
à ces managers.
Les dispositifs ont également
des effets. L’accession, immédiate ou potentielle et différée (lorsqu’il ne
détient que des options), du manager au statut d’associé permet, dans une
approche sage, de simplement associer le manager au gain actionnarial, et, dans
une perspective plus agressive, de procéder à une répartition différenciée
(entre financiers et managers) des gains en capital à terme (lors du débouclage
des buy-out ou des plans d’actionnariat) au moyen d’instruments financiers
présentant des profils de rendements/risques différents.
En effet, tandis qu’un investisseur
financier va privilégier un rendement prioritaire, le cas échéant plafonné en
cas de surperformance (moyennant la souscription d’actions de préférence de taux
ou « ADP de taux »), les managers vont être incités, à l’inverse, à souscrire
des instruments optionnels ne délivrant de valeur actionnariale qu’en cas de
satisfaction de critères de performance (TRI, atteinte d’un multiple CoC), s’exposant
de facto à supporter une perte en capital en cas de sous-performance.
Et l’on pressent d’emblée que
ces pratiques peuvent induire une forme de porosité de la frontière séparant le
manager de l’associé si le gain du second provient de l’industrie du premier...
Il n’est pas exclu qu’une
saine visée fiscale préside à l’adoption de ces mécanismes, lorsque l’on entend
attacher à un gain une qualification fiscale de plus-value de cession de
valeurs mobilières (au sens des articles 150 0 A et s. du CGI), plutôt que
celle de traitements et salaires (au sens des articles 79 et 82 du CGI).
Quelles voies s’offrent aux
sociétés ?
L’accession du manager au
capital de l’entreprise s’opère au moyen d’outils payants (actions ordinaires
ou assorties de préférence s’agissant des ADP de l’article L.228-11 du c. com.),
ou gratuits (actions gratuites des articles L.225-197-1 et s. du c. com.),
voire faussement gratuits (options de souscription-achat d’actions des
articles L.225-177 et s. c.com., bons autonomes des articles L.228-91 et 228-92
du c.com., promesses, Bspce des articles 163 bis G) du CGI et L.212-17 du CMF).
On oppose encore les outils directs (souscription d’instruments émis par
des sociétés opérationnelles ou plus souvent des holdings endettés) à ceux indirects
(en cas de recours à des holding de managers dénommées « ManCo »).
Certains de ces instruments
sont réservés aux seules personnes physiques (Bspce, actions gratuites) tandis
que les autres sont indifféremment détenus par des personnes physiques ou
morales.
Cet accès au statut
d’actionnaire-associé est tantôt immédiat tantôt différé (lorsque
le manager souscrit des options, bons, ou bénéfice de promesses de vente de
droits sociaux). Il se nourrit encore du procédé dit de sweet equity
consistant à imposer une allocation différenciée de leurs ressources aux
associés, les managers maximisant leur investissement en actions, tandis que
les associés « passifs » sont invités à souscrire des titres de quasi
fonds-propres ou de dette, ce qui n’est pas sans soulever certaines difficultés
en cas de sous-capitalisation d’une entreprise et de versement d’intérêts
(articles 39, 1-3 et 212,I du CGI) à des entreprises liées (au sens de
l’article 39-12 du CGI) (Rev. D. Fiscal n° 50, dec. 2017, Management package
et sweet equity).
Il faut enfin souligner que la
plupart des instruments dits nommés (parce que dotés d’un régime juridique et
fiscal spécifique) sont fréquemment inadaptés aux schémas d’actionnariat
salarié portant sur des entreprises matures : tel est le cas des Bspce.
Tel était encore le cas des actions gratuites, quoique les récents assouplissements
et élargissements du champ d’émission des actions gratuites par l’article 17 de
la Loi 2023-1107 du 29 nov. 2023, ont conféré un regain d’intérêt à ces outils
pour structurer l’actionnariat salarié dans les buy-outs.
On constate en pratique un
recours massif aux instruments innomés dans les buy-outs (combinaison d’ADP de
taux, d’ADP de managers et d’actions ordinaires souscrites via les managers
dans leur PEA) et un cumul de qualités (de salarié ou dirigeant d’une part, et d’associé
d’autre part) engendrant des conflits de qualification, ou plus exactement des
requalifications fiscales et sociales des gains dégagés à terme lors de la
cession des instruments actionnariaux. Il en résulte au demeurant la nécessité
d’évaluer justement les instruments optionnels et les préférences (négatives ou
positives) attachées aux droits sociaux attribués aux divers protagonistes.
L’analyse successive du
traitement fiscal et social des gains dégagés par des managers lors de la
cession de leurs titres permet de constater un glissement d’un simple critère
quantitatif (tenant à la nécessité d’une prise de risque actionnarial par les
managers) vers un critère qualitatif.
Du critère quantitatif de l’«
absence de prise d’un risque actionnarial »…
(Bull. Joly sociétés, mai
2012, p. 453, le salarié ou dirigeant-actionnaire : réflexions sur la
fiscalité des management packages)
Un bref rappel historique permet
de relever une véritable méfiance de l’administration fiscale envers les
mécanismes d’actionnariat salarié, et l’émergence d’un critère quantitatif
jurisprudentiel tenant à la nécessaire prise d’un risque actionnarial par le
manager-associé afin que le gain dégagé par ce dernier lors de la cession de
ses titres échappe à une requalification en traitements et salaires.
- L’hostilité de principe de
l’administration envers les instruments innommés et les mécanismes de
rétrocession de plus-value
Il faut ici rappeler les
termes de la doctrine administrative fondatrice du 12 mai 1995 (BOI 5-S-9-95 sous
BOI-RSA-ES 20-10-20-50) qui énonce : « Ainsi,
lorsqu'un dirigeant salarié ou toute autre personne en relation d'affaires avec
un groupe de sociétés bénéficie d'options de souscription ou d'achat d'actions
en dehors du dispositif légal, ou se voit offrir la possibilité d'acheter ou/et
de revendre dans des conditions préférentielles des titres d'une société,
l'Administration se réserve le droit de requalifier le gain réalisé à cette
occasion et de le taxer non pas dans la catégorie des plus-values sur valeurs
mobilières mais dans celle correspondant effectivement à la nature de
l'opération réalisée [..] ».
Sont déjà critiqués le
recours à des mécanismes innomés, ainsi que l’octroi des instruments à des
conditions préférentielles traduisant une absence de prise de risque
actionnarial.
Cette même doctrine
administrative va encore stigmatiser (cf. BOI-RPPM-RCM-40-50-30)
les pratiques consistant à « [..] inscrire dans le plan des
titres non cotés à une valeur de convenance, éventuellement minorée, afin de
contourner la règle de plafonnement des versements sur le PEA ».
Cette
hostilité administrative trouve son aboutissement dans la publication en avril 2015
d’une cartographie des montages frauduleux stigmatisant les
management packages.
- L’émergence du critère
quantitatif (ou la juste valorisation des instruments actionnariaux et la prise
d’un risque actionnarial)
Le
juge de l’impôt s’est efforcé de séparer le bon grain de l’ivraie en affirmant
que si la qualité de manager n’était pas incompatible avec celle d’associé,
encore convenait-il que ledit manager souscrive un véritable risque
actionnarial, excluant de facto les situations dans lesquelles tantôt les
conditions d’octroi des instruments actionnariaux (et notamment les prix
préférentiels) tantôt les conditions de réalisation du gain gommaient ce risque
actionnarial.
- De Serfaty en passant par
Gaillochet et G7-Quinette : le balancier jurisprudentiel
Par
deux décisions de principe, le juge fiscal va, sinon sanctuariser la
distinction entre les statuts de salarié et d’associé, à tout le moins énoncer
que « ce n’est qu’exceptionnellement lorsque le gain en capital
s’analyse comme la contrepartie directe d’une activité personnelle déployée par
le cédant, exercée à titre professionnel, en vue d’augmenter la valeur des
titres cédés, qu’il doit être requalifié en revenu innomé voire en salaires »
[ CE
10ème et 9ème s.sect. 18 janvier 2006, n° 265790 et
265791, Serfaty ; CE 7ème et 8ème s.sect. 7 nov 2008
n° 301642, Fontana de Framond ].
Il va encore sanctionner les
situations dans lesquelles le risque actionnarial est réduit voire supprimé,
tantôt lors de l’acquisition de la qualité d’associé par le salarié, tantôt lors
de la cession finale de ses droits sociaux, au travers la condamnation :
- « de l’octroi
d’actions à prix préférentiel à des salariés » (CAA Nancy, 2ème
ch., 16 mai 2007 n° 05NC00560 Weingassel) ;
- « de l’absence de
prise d’un risque actionnarial à raison du caractère modique de
l’investissement du manager» s’agissant d’une promesse unilatérale de vente
consentie par des investisseurs à un dirigeant (CE 3ème et 8ème
s.sect. 26 sept 2014 n°365573 (Gaillochet) D. Fiscal n° 16, avril 2019,
Management package : confirmations et nouveaux enseignements) ;
- « de la cession à
des prix différenciés de titres de même nature, en augmentant le prix de
cession des titres des managers pour y intégrer une rétrocession de plus-value supportée
par les investisseurs financiers » (CE 15 fev. 2019 n° 408867 (HRMF) (D.
Fiscal, n° 49, 2017, la convention de rétrocession de plus-value, ou l’âge de
pierre du management package) ;
- « de promesses de
rachat à prix minimum de leurs titres aux managers supprimant tout risque
actionnarial » (CE, Plénière, 13 juillet 2021, aff. G7
n°435452) ;
- Le cas particulier des holdings
de managers (ou quand le mécano fiscal recourt à des ManCo délocalisées
dépourvues de substance)
Le
juge fiscal exerce une vigilance accrue sur les schémas d’actionnariat
indirect, lorsqu’un manager détient sa participation via une société ad hoc (une
ManCo), et n’hésite pas à qualifier « d’artificiel un holding constitué
sous forme de Sarl de droit belge auquel avaient été transférés, par un manager
résident fiscal français, des titres de package émis par une société française
pour échapper à l’imposition de la plus-value de cession sous l’empire du
régime fiscal français » ( CE 28 janvier 2022 n° 433965 (Wendel –
Jarzek) (Rev. Fiscalité Internationale 2-2022 mai 2022, Management package,
interposition de société à l’étranger et abus de droit).
Cette notion de « montage
artificiel » est-elle un moyen autonome face aux deux branches
classiques de l’abus de droit (simulation par actes fictifs et fraude à la loi) ou
plutôt une sorte de présomption d’abus de droit (ou de dispense de la
démonstration du dévoiement de la norme violée) (en ce sens, CE 18 mai 2005 n°
267087, Sté Sagal) ? Le montage artificiel suppose une « opération
dépourvue de substance » ou « un montage dépourvu de réalité
économique » (CJCE 12 sept. 2006, C-196/04 Cadbury Schweppes) et
semble constituer pour le juge un indice (irréfragable ?) de la poursuite
d’un but exclusivement fiscal qui permet de réputer remplie la condition
objective de l’abus de droit (CE, Plen. 25 oct. 2017 n° 396954 Verdannet).
Il faut assurément analyser
la robustesse fiscale de ces holdings de managers à l’aune du projet de
Directive 2021/0434 ATAD III visant à lutter contre le
défaut de substance des holdings.
… au critère qualitatif de
« l’accessoire aux fonctions »
Tant le juge administratif
(en matière fiscale) que les juridictions de l’ordre judiciaire (en matière
sociale), sans toutefois délaisser l’exigence de prise d’un risque
actionnarial, ont défini une grille de lecture au terme de laquelle les
« seules conditions de réalisation d’un gain de cession » de droits
sociaux permettent au juge de requalifier ce gain en traitements et salaires.
- La grille de lecture du juge
administratif (en droit positif) (D. Fiscal n° 36, sept. 2021, gains de
management package : le tour de vis contestable du Conseil d’Etat)
Le juge de l’impôt procède à
une décomposition en trois blocs des gains constatés lors de la cession de
droits sociaux (CE Plénière 13 juillet 2021 n° 428506, 437498, 435452) comme
suit :
- le gain lors de l’octroi de titres optionnels. « La
circonstance que des options d'achat d'actions ou des bons de souscription
d'actions ont été acquis ou souscrits à un prix préférentiel au regard de leur
valeur réelle à la date de cette acquisition ou souscription est de nature à
révéler l'existence d'un avantage [qui], lorsqu'il trouve essentiellement sa
source dans l'exercice par l'intéressé de ses fonctions de dirigeant ou
salarié, a le caractère d'un avantage accordé en sus du salaire, imposable au
titre de l'année d'acquisition ou de souscription des options ou des bons dans
la catégorie des traitements et salaires [..] » ;
- le gain d’acquisition à l’exercice des options. « Lorsqu'un
contribuable lève une option d'achat d'actions qui lui a été consentie en
dehors des prévisions des articles L. 225-177 à
L. 225-186 du Code de commerce, la différence entre la valeur
réelle de ces actions à la date de levée de cette option et leur prix d'achat
majoré, le cas échéant, du montant acquitté pour acquérir cette option ainsi
que de l'avantage ayant été éventuellement imposé en application du point suivant,
constitue un gain, réalisé par lui dès la levée de cette option qui, lorsqu'il
trouve essentiellement sa source dans l'exercice par l'intéressé de fonctions
de dirigeant ou de salarié, est un avantage en argent, au sens de l'article 82 du Code général des impôts, imposable dans
la catégorie des traitements et salaires [..] ».
Ces deux solutions, somme toute classiques, visent, d’une
part à sanctionner l’octroi de titres à prix préférentiel à raison de l’exercice
de fonctions de dirigeant ou de salarié, et d’autre part à stigmatiser les mécanismes
optionnels émis en dehors des instruments nommés.
- le gain lors de la cession finale. « Les
gains nets, calculés en tenant compte de l'avantage ayant été éventuellement
imposé en application des points ci-dessus, retirés par une personne physique
de la cession à titre onéreux de bons de souscription d'actions (le
considérant a une portée plus large et concerne tous les droits sociaux même
non optionnels) sont en principe imposables suivant le régime des
plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers institué par l'article 150-0 A du Code général des impôts, y compris
lorsque ces bons (ou droits sociaux) ont été acquis ou souscrits auprès
d'une société dont le contribuable était alors dirigeant ou salarié, ou auprès
d'une société du même groupe. Il en va toutefois autrement lorsque, eu égard
aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit être regardé
comme acquis non à raison de la qualité d'investisseur du cédant, mais en
contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue, ainsi,
un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en
application des articles 79 et 82 du Code général des impôts, réalisé et
disponible l'année de la cession de ces instruments ».
Cette consécration
jurisprudentielle de l’hostilité administrative aux mécanismes innomés optionnels
(en dehors des outils nommés que sont les Bspce, les actions gratuites,
stocks-options) ne saurait surprendre, quoiqu’il faut regretter le caractère par
trop subjectif de la notion de « conditions de réalisation du gain de
cession » qui laisse beaucoup de latitude au juge pour requalifier le gain
en capital en traitements et salaires.
- La grille de lecture du juge
judiciaire (en droit positif) : la disparition de toute considération liée
au paiement des outils à leur juste prix par leurs attributaires (D. Fiscal n°
42, oct. 2023, bons autonomes, management packages et cotisations
sociales : la Cour de cassation durcit le trait)
Le débat porte ici sur l’assujettissement
aux cotisations sociales des « avantages » consentis aux salariés au sens
des articles L. 242-1 et L.136-1-1 du CSS.
Dans
un premier temps, la jurisprudence a décidé que « dès lors qu’un lien
était affirmé par la convention d’investissement entre d’une part l’attribution
de BSA et le maintien des dirigeants, et d’autre part l’existence et le
maintien d’un contrat de travail ou d’un mandat social » et « qu’ils
[les BSA] sont proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du
travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, les bons
constituent un avantage qui entre dans l’assiette des cotisations
sociales au sens de l’article L.242-1 alinéa 1 CSS » (Cass. Civ.
II, 4 avril 2019, n° 17-24-470, Barrière).
La solution
apparaît classique lorsque « l’avantage » est caractérisé (s’agissant
de la cession à prix préférentiel d‘actions à des salariés (Cass. Civ. II, 28
janvier 2010 n° 0821783) : le fait générateur des cotisations sociales
était alors « la date de mise à disposition effective de l’avantage au
salarié bénéficiaire ».
Plus
récemment, et dans un second temps, la Cour de cassation a durci sa position,
décidant que « les conditions préférentielles de l’article L.242-1 CSS
résultent de la seule qualité de salarié ou mandataires sociaux des attributaires
de BSA sans considération des conditions financières » (Cass. Civ. II,
27 sept. 2023, n° 21-20685, Alten). Le fait générateur s’apprécie désormais à
la « date de cession ou de réalisation des bons de souscription
d’actions », ce qui a pour effet de repousser le point de départ du délai
de reprise.
« L’avantage » de
l’article L. 242-1 du CSS s’entendrait, pour la Haute juridiction, de la
plus-value (ou gain) d’acquisition, décision qui procède d’une véritable confusion
entre les définitions sociale et fiscale de l’avantage.
Si le législateur n’a certainement
pas entendu interdire à des salariés d’être associés de leur entreprise, on ne
peut manquer de relever l’hostilité évidente du juge social aux mécanismes
optionnels, à l’instar du juge de l’impôt, et de s’interroger sur le point de
savoir si l’attribution de bons autonomes, même à titre onéreux, n’est pas per
se au nombre des « avantages » mentionnés à cet article L. 242-1
al. 1er du CSS. Il ne saurait pourtant y avoir
« avantage » ou « conditions préférentielles » lorsque
l’attributaire a acquitté la juste valeur de l’instrument et qu’il est exposé à
un risque de perte de son investissement.
- Le coin des praticiens ;
de quelques adaptations/conséquences pratiques
Ces solutions jurisprudentielles
invitent à reconsidérer les pratiques contractuelles usuellement convenues avec
les managers en matière de liquidité (achat-vente) de leurs droits sociaux :
les traditionnels accords dits de leaver, qui ne sont autres que des
promesses de vente et d’achat assorties de prix variables en fonction du motif
d’éviction (good, medium, bad leaver), reviennent en effet à colorer d’un
caractère salarial le gain du manager-associé.
Elles invitent encore à reconsidérer
la robustesse de certains schémas d’actionnariat salarié, notamment ceux
reposant sur la coexistence d’actions ordinaires inscrites en PEA et d’ADP
assorties de préférences négatives (l’action dite « ordinaire » est-elle
toujours éligible au PEA en pareille circonstance ?).
Elles incitent certainement à
délaisser les traditionnelles options construites au travers de bons autonomes
ou de simples promesses, au profit de la souscription par des managers d’ADP
dépourvues de tout prix d’exercice quoique présentant un profil convexe de
valeur à l’instar d’une option (D. Fiscal n° 42, oct. 2023, op. cit.).
L’actionnariat salarial, un mal-aimé
fiscal ?
Ce
thème de l’actionnariat salarié met en lumière le divorce naissant entre les
axiomes financiers et les logiques budgétaires et fiscales.
L’inexplicable hiatus entre
management package et carried interest (ou comment traiter différemment deux
situations actionnariales strictement identiques !)
C’est
particulièrement le lieu de s’étonner de cette sévérité du juge fiscal et
social à l’endroit des outils de management package, alors que l’on relève, dans
le même temps, que le législateur a instauré un régime d’actionnariat salarié
de faveur réservé précisément aux salariés et dirigeants (relevant d’un régime
fiscal salarié) des véhicules financiers d’investissement professionnels (les
mêmes qui investissent dans les opérations sanctionnées de LBO !), les
textes légalisant en la matière une véritable sous-valorisation du prix de
souscription des instruments de carried interest (1% ou 0,5 voire 0,25% du
sous-jacent) (cf. BOI-RPPM-PVBMI-60-10, 22 juin 2020 - Art. 150-0 A, II, 8° et 9° du
CGI et Art. 163 quinquies C, II du CGI.et le commentaire documenté sous D.
Fiscal n° 4, janvier 2022, management package : il faut que tout change
pour que rien ne change …).
- Les errements administratifs
en matière de Bspce et d’inscription en PEA
Une hostilité aux mécanismes
d’actionnariat salarié, sinon une forme de fébrilité administrative, semble
régner, qui se manifeste par l’adoption d’une doctrine administrative jugée contra
legem. Des illustrations en sont fournies par :
- un rescrit du 25 mai 2023 déniant
l’application des régimes de différé d’imposition à la plus-value constatée
lors de l’apport à une société d’actions issues de l’exercice de Bspce (BOI-RES-RSA-000127),
doctrine abondamment critiquée (D. Fiscal n° 30-34, juillet 2023, le
traitement fiscal des apports d’actions issues de Bspce ou d’actions
gratuites : le mal dit et le non-dit) avant que d’être annulée par le
Conseil d’Etat (CE, 8ème et 3ème Ch. Réunies, 5 février
2024 n° 476309 et commentaire sous D. Fiscal, n° 13, mars 2024, Actions
issues de Bspce : quand le Conseil d’Etat remet le Droit au centre du
village) ;
- l’annulation par le Conseil
d’Etat (CE, 8 déc. 2023 n° 482922) de passages contra legem de la doctrine
administrative (Inst. 4-8-2006, 5 I-8-06 n° 84 ; BOI-RPPM-RCM-40-50-20-20
n° 540 du 25 sept. 2017) interdisant, à tort, l’exercice de Bspce via un PEA
(décision à notre sens transposable aux actions ordinaires souscrites en PEA en
exercice de bons autonomes) (D. Fiscal, n° 13, mars 2024, op. cit.)
- La lecture (fiscale)
hérétique de la valeur d’une option de conversion en fonction de la qualité de son
détenteur
On relèvera enfin les décisions
contradictoires rendues par le Conseil d’Etat au sujet de la valorisation d’une
option de conversion, signe d’une jurisprudence qui malmène la théorie
financière des options fondant pourtant la valorisation de nombre d’instruments
de management package (D. Fiscal n° 10, mars 2024, valeur d’une OC et d’une
option de conversion : le deux poids deux mesures fiscal et ses incidences
en droit des sociétés ; à propos de CE 16 nov. 2022 nos 462383, 462388, min. c/ SA EDF et de CE,
20 sept. 2022 no 455651, Sté HCL Maître Pierre).
Jean-Louis
Médus
Professeur Agrégé des Universités
Avocat aux barreaux de Paris et de Luxembourg (AdWise avocats)