DROIT

SÉRIE ­« LE CAPITAL SOCIAL » (6). Intéressement des managers au capital et risques fiscaux et sociaux : tour d'horizon

SÉRIE ­« LE CAPITAL SOCIAL » (6). Intéressement des managers au capital et risques fiscaux et sociaux : tour d'horizon
Publié le 05/04/2024 à 11:40

 

La faculté de droit et science politique de l’université Toulouse Capitole a proposé mi-mars le colloque intitulé « Le capital social », organisé par le centre de droit des affaires et l’institut national universitaire Champollion. Nous nous faisons ici l’écho, sous forme de série, des idées échangées au cours de cette journée sous la houlette des modérateurs, Arnaud de Bissy, Hélène Durand, Nadège Jullian, et Emmanuel Cordelier. La série « Le capital social » regroupe les articles suivants :


• Le coup d’accordéon ;

• Le capital social entamé ;

• Le salarié actionnaire : quelles réalités ? ;

• Le désengagement capitalistique de l’État actionnaire ;

• La société non capitaliste ;

• Risques et intéressement des managers au capital ;

• Les conséquences de la non-libération des apports ;

• Le capital social imaginaire : le cas de l'entreprise individuelle assimilée à une EURL (ou à une EARL) ;

• La variabilité du capital social ;

• Le cash out, une opération risquée.

 


Le thème ici abordé évoque, de prime abord, les idées gaulliennes de l’association des salariés et dirigeants à la gestion (ou cogestion ?) de l’entreprise. Cette idée généreuse a souvent laissé place à une simple association des managers (employés ou dirigeants relevant d’un régime fiscal salarié) au capital et à l’accroissement de la valeur actionnariale de leur entreprise, à travers un plan d’actionnariat salarié, voire un « management package ».

Les dispositifs ont une utilité. Dans les opérations de buy-out, ce sont principalement la disparité de ressources entre des associés financiers et des managers actifs dans l’entreprise, et l’asymétrie de l’information entre les premiers et les seconds qui justifient le recours à ces instruments de management package qui visent à aligner les divers intérêts catégoriels. L’endettement souscrit par les structures émettrices de ces management packages produit un effet accélérateur de leur rendement. La littérature financière d’une part (P. François, stratégies financières, Ellipses), juridique et fiscale d’autre part (JL Médus, LBO, buy-out et transmission d’entreprises, Ed. BoD 2021) éclairera le lecteur.

En présence de start-up, c’est la faiblesse des moyens financiers de l’entreprise en forte croissance et consommatrice de fonds propres dilutifs de la participation des associés, combinée au souhait d’attirer et fidéliser des talents humains, qui justifient l’émission de titres (actions gratuites et plus souvent encore Bspce) réservés à ces managers.

Les dispositifs ont également des effets. L’accession, immédiate ou potentielle et différée (lorsqu’il ne détient que des options), du manager au statut d’associé permet, dans une approche sage, de simplement associer le manager au gain actionnarial, et, dans une perspective plus agressive, de procéder à une répartition différenciée (entre financiers et managers) des gains en capital à terme (lors du débouclage des buy-out ou des plans d’actionnariat) au moyen d’instruments financiers présentant des profils de rendements/risques différents.

En effet, tandis qu’un investisseur financier va privilégier un rendement prioritaire, le cas échéant plafonné en cas de surperformance (moyennant la souscription d’actions de préférence de taux ou « ADP de taux »), les managers vont être incités, à l’inverse, à souscrire des instruments optionnels ne délivrant de valeur actionnariale qu’en cas de satisfaction de critères de performance (TRI, atteinte d’un multiple CoC), s’exposant de facto à supporter une perte en capital en cas de sous-performance.

Et l’on pressent d’emblée que ces pratiques peuvent induire une forme de porosité de la frontière séparant le manager de l’associé si le gain du second provient de l’industrie du premier...

Il n’est pas exclu qu’une saine visée fiscale préside à l’adoption de ces mécanismes, lorsque l’on entend attacher à un gain une qualification fiscale de plus-value de cession de valeurs mobilières (au sens des articles 150 0 A et s. du CGI), plutôt que celle de traitements et salaires (au sens des articles 79 et 82 du CGI).

Quelles voies s’offrent aux sociétés ?

L’accession du manager au capital de l’entreprise s’opère au moyen d’outils payants (actions ordinaires ou assorties de préférence s’agissant des ADP de l’article L.228-11 du c. com.), ou gratuits (actions gratuites des articles L.225-197-1 et s. du c. com.), voire faussement gratuits (options de souscription-achat d’actions des articles L.225-177 et s. c.com., bons autonomes des articles L.228-91 et 228-92 du c.com., promesses, Bspce des articles 163 bis G) du CGI et L.212-17 du CMF). On oppose encore les outils directs (souscription d’instruments émis par des sociétés opérationnelles ou plus souvent des holdings endettés) à ceux indirects (en cas de recours à des holding de managers dénommées « ManCo »).

Certains de ces instruments sont réservés aux seules personnes physiques (Bspce, actions gratuites) tandis que les autres sont indifféremment détenus par des personnes physiques ou morales.

Cet accès au statut d’actionnaire-associé est tantôt immédiat tantôt différé (lorsque le manager souscrit des options, bons, ou bénéfice de promesses de vente de droits sociaux). Il se nourrit encore du procédé dit de sweet equity consistant à imposer une allocation différenciée de leurs ressources aux associés, les managers maximisant leur investissement en actions, tandis que les associés « passifs » sont invités à souscrire des titres de quasi fonds-propres ou de dette, ce qui n’est pas sans soulever certaines difficultés en cas de sous-capitalisation d’une entreprise et de versement d’intérêts (articles 39, 1-3 et 212,I du CGI) à des entreprises liées (au sens de l’article 39-12 du CGI) (Rev. D. Fiscal n° 50, dec. 2017, Management package et sweet equity).

Il faut enfin souligner que la plupart des instruments dits nommés (parce que dotés d’un régime juridique et fiscal spécifique) sont fréquemment inadaptés aux schémas d’actionnariat salarié portant sur des entreprises matures : tel est le cas des Bspce. Tel était encore le cas des actions gratuites, quoique les récents assouplissements et élargissements du champ d’émission des actions gratuites par l’article 17 de la Loi 2023-1107 du 29 nov. 2023, ont conféré un regain d’intérêt à ces outils pour structurer l’actionnariat salarié dans les buy-outs.

On constate en pratique un recours massif aux instruments innomés dans les buy-outs (combinaison d’ADP de taux, d’ADP de managers et d’actions ordinaires souscrites via les managers dans leur PEA) et un cumul de qualités (de salarié ou dirigeant d’une part, et d’associé d’autre part) engendrant des conflits de qualification, ou plus exactement des requalifications fiscales et sociales des gains dégagés à terme lors de la cession des instruments actionnariaux. Il en résulte au demeurant la nécessité d’évaluer justement les instruments optionnels et les préférences (négatives ou positives) attachées aux droits sociaux attribués aux divers protagonistes.

L’analyse successive du traitement fiscal et social des gains dégagés par des managers lors de la cession de leurs titres permet de constater un glissement d’un simple critère quantitatif (tenant à la nécessité d’une prise de risque actionnarial par les managers) vers un critère qualitatif.

Du critère quantitatif de l’« absence de prise d’un risque actionnarial »…

(Bull. Joly sociétés, mai 2012, p. 453, le salarié ou dirigeant-actionnaire : réflexions sur la fiscalité des management packages)

Un bref rappel historique permet de relever une véritable méfiance de l’administration fiscale envers les mécanismes d’actionnariat salarié, et l’émergence d’un critère quantitatif jurisprudentiel tenant à la nécessaire prise d’un risque actionnarial par le manager-associé afin que le gain dégagé par ce dernier lors de la cession de ses titres échappe à une requalification en traitements et salaires.

  • L’hostilité de principe de l’administration envers les instruments innommés et les mécanismes de rétrocession de plus-value

Il faut ici rappeler les termes de la doctrine administrative fondatrice du 12 mai 1995 (BOI 5-S-9-95 sous BOI-RSA-ES 20-10-20-50) qui énonce : « Ainsi, lorsqu'un dirigeant salarié ou toute autre personne en relation d'affaires avec un groupe de sociétés bénéficie d'options de souscription ou d'achat d'actions en dehors du dispositif légal, ou se voit offrir la possibilité d'acheter ou/et de revendre dans des conditions préférentielles des titres d'une société, l'Administration se réserve le droit de requalifier le gain réalisé à cette occasion et de le taxer non pas dans la catégorie des plus-values sur valeurs mobilières mais dans celle correspondant effectivement à la nature de l'opération réalisée [..] ».

Sont déjà critiqués le recours à des mécanismes innomés, ainsi que l’octroi des instruments à des conditions préférentielles traduisant une absence de prise de risque actionnarial.

Cette même doctrine administrative va encore stigmatiser (cf. BOI-RPPM-RCM-40-50-30) les pratiques consistant à « [..] inscrire dans le plan des titres non cotés à une valeur de convenance, éventuellement minorée, afin de contourner la règle de plafonnement des versements sur le PEA ».

Cette hostilité administrative trouve son aboutissement dans la publication en avril 2015 d’une cartographie des montages frauduleux stigmatisant les management packages.

  • L’émergence du critère quantitatif (ou la juste valorisation des instruments actionnariaux et la prise d’un risque actionnarial)

Le juge de l’impôt s’est efforcé de séparer le bon grain de l’ivraie en affirmant que si la qualité de manager n’était pas incompatible avec celle d’associé, encore convenait-il que ledit manager souscrive un véritable risque actionnarial, excluant de facto les situations dans lesquelles tantôt les conditions d’octroi des instruments actionnariaux (et notamment les prix préférentiels) tantôt les conditions de réalisation du gain gommaient ce risque actionnarial.

  • De Serfaty en passant par Gaillochet et G7-Quinette : le balancier jurisprudentiel

Par deux décisions de principe, le juge fiscal va, sinon sanctuariser la distinction entre les statuts de salarié et d’associé, à tout le moins énoncer que « ce n’est qu’exceptionnellement lorsque le gain en capital s’analyse comme la contrepartie directe d’une activité personnelle déployée par le cédant, exercée à titre professionnel, en vue d’augmenter la valeur des titres cédés, qu’il doit être requalifié en revenu innomé voire en salaires » [ CE 10ème et 9ème s.sect. 18 janvier 2006, n° 265790 et 265791, Serfaty ; CE 7ème et 8ème s.sect. 7 nov 2008 n° 301642, Fontana de Framond ].

Il va encore sanctionner les situations dans lesquelles le risque actionnarial est réduit voire supprimé, tantôt lors de l’acquisition de la qualité d’associé par le salarié, tantôt lors de la cession finale de ses droits sociaux, au travers la condamnation :

- « de l’octroi d’actions à prix préférentiel à des salariés » (CAA Nancy, 2ème ch., 16 mai 2007 n° 05NC00560 Weingassel) ;
- « de l’absence de prise d’un risque actionnarial à raison du caractère modique de l’investissement du manager» s’agissant d’une promesse unilatérale de vente consentie par des investisseurs à un dirigeant (CE 3ème et 8ème s.sect. 26 sept 2014 n°365573 (Gaillochet) D. Fiscal n° 16, avril 2019, Management package : confirmations et nouveaux enseignements) ;
- « de la cession à des prix différenciés de titres de même nature, en augmentant le prix de cession des titres des managers pour y intégrer une rétrocession de plus-value supportée par les investisseurs financiers » (CE 15 fev. 2019 n° 408867 (HRMF) (D. Fiscal, n° 49, 2017, la convention de rétrocession de plus-value, ou l’âge de pierre du management package) ;
- « de promesses de rachat à prix minimum de leurs titres aux managers supprimant tout risque actionnarial » (CE, Plénière, 13 juillet 2021, aff. G7 n°435452) ;

  • Le cas particulier des holdings de managers (ou quand le mécano fiscal recourt à des ManCo délocalisées dépourvues de substance)

Le juge fiscal exerce une vigilance accrue sur les schémas d’actionnariat indirect, lorsqu’un manager détient sa participation via une société ad hoc (une ManCo), et n’hésite pas à qualifier « d’artificiel un holding constitué sous forme de Sarl de droit belge auquel avaient été transférés, par un manager résident fiscal français, des titres de package émis par une société française pour échapper à l’imposition de la plus-value de cession sous l’empire du régime fiscal français » ( CE 28 janvier 2022 n° 433965 (Wendel – Jarzek) (Rev. Fiscalité Internationale 2-2022 mai 2022, Management package, interposition de société à l’étranger et abus de droit).

Cette notion de « montage artificiel » est-elle un moyen autonome face aux deux branches classiques de l’abus de droit (simulation par actes fictifs et fraude à la loi) ou plutôt une sorte de présomption d’abus de droit (ou de dispense de la démonstration du dévoiement de la norme violée) (en ce sens, CE 18 mai 2005 n° 267087, Sté Sagal) ? Le montage artificiel suppose une « opération dépourvue de substance » ou « un montage dépourvu de réalité économique » (CJCE 12 sept. 2006, C-196/04 Cadbury Schweppes) et semble constituer pour le juge un indice (irréfragable ?) de la poursuite d’un but exclusivement fiscal qui permet de réputer remplie la condition objective de l’abus de droit (CE, Plen. 25 oct. 2017 n° 396954 Verdannet).

Il faut assurément analyser la robustesse fiscale de ces holdings de managers à l’aune du projet de Directive 2021/0434 ATAD III visant à lutter contre le défaut de substance des holdings.

… au critère qualitatif de « l’accessoire aux fonctions »

Tant le juge administratif (en matière fiscale) que les juridictions de l’ordre judiciaire (en matière sociale), sans toutefois délaisser l’exigence de prise d’un risque actionnarial, ont défini une grille de lecture au terme de laquelle les « seules conditions de réalisation d’un gain de cession » de droits sociaux permettent au juge de requalifier ce gain en traitements et salaires.

  • La grille de lecture du juge administratif (en droit positif) (D. Fiscal n° 36, sept. 2021, gains de management package : le tour de vis contestable du Conseil d’Etat)

Le juge de l’impôt procède à une décomposition en trois blocs des gains constatés lors de la cession de droits sociaux (CE Plénière 13 juillet 2021 n° 428506, 437498, 435452) comme suit :

- le gain lors de l’octroi de titres optionnels. « La circonstance que des options d'achat d'actions ou des bons de souscription d'actions ont été acquis ou souscrits à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette acquisition ou souscription est de nature à révéler l'existence d'un avantage [qui], lorsqu'il trouve essentiellement sa source dans l'exercice par l'intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié, a le caractère d'un avantage accordé en sus du salaire, imposable au titre de l'année d'acquisition ou de souscription des options ou des bons dans la catégorie des traitements et salaires [..] » ;
- le gain d’acquisition à l’exercice des options. « Lorsqu'un contribuable lève une option d'achat d'actions qui lui a été consentie en dehors des prévisions des articles L. 225-177 à L. 225-186 du Code de commerce, la différence entre la valeur réelle de ces actions à la date de levée de cette option et leur prix d'achat majoré, le cas échéant, du montant acquitté pour acquérir cette option ainsi que de l'avantage ayant été éventuellement imposé en application du point suivant, constitue un gain, réalisé par lui dès la levée de cette option qui, lorsqu'il trouve essentiellement sa source dans l'exercice par l'intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié, est un avantage en argent, au sens de l'article 82 du Code général des impôts, imposable dans la catégorie des traitements et salaires [..] ».

Ces deux solutions, somme toute classiques, visent, d’une part à sanctionner l’octroi de titres à prix préférentiel à raison de l’exercice de fonctions de dirigeant ou de salarié, et d’autre part à stigmatiser les mécanismes optionnels émis en dehors des instruments nommés.

- le gain lors de la cession finale. « Les gains nets, calculés en tenant compte de l'avantage ayant été éventuellement imposé en application des points ci-dessus, retirés par une personne physique de la cession à titre onéreux de bons de souscription d'actions (le considérant a une portée plus large et concerne tous les droits sociaux même non optionnels) sont en principe imposables suivant le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières des particuliers institué par l'article 150-0 A du Code général des impôts, y compris lorsque ces bons (ou droits sociaux) ont été acquis ou souscrits auprès d'une société dont le contribuable était alors dirigeant ou salarié, ou auprès d'une société du même groupe. Il en va toutefois autrement lorsque, eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit être regardé comme acquis non à raison de la qualité d'investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue, ainsi, un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du Code général des impôts, réalisé et disponible l'année de la cession de ces instruments ».

Cette consécration jurisprudentielle de l’hostilité administrative aux mécanismes innomés optionnels (en dehors des outils nommés que sont les Bspce, les actions gratuites, stocks-options) ne saurait surprendre, quoiqu’il faut regretter le caractère par trop subjectif de la notion de « conditions de réalisation du gain de cession » qui laisse beaucoup de latitude au juge pour requalifier le gain en capital en traitements et salaires.

  • La grille de lecture du juge judiciaire (en droit positif) : la disparition de toute considération liée au paiement des outils à leur juste prix par leurs attributaires (D. Fiscal n° 42, oct. 2023, bons autonomes, management packages et cotisations sociales : la Cour de cassation durcit le trait)

Le débat porte ici sur l’assujettissement aux cotisations sociales des « avantages » consentis aux salariés au sens des articles L. 242-1 et L.136-1-1 du CSS.

Dans un premier temps, la jurisprudence a décidé que « dès lors qu’un lien était affirmé par la convention d’investissement entre d’une part l’attribution de BSA et le maintien des dirigeants, et d’autre part l’existence et le maintien d’un contrat de travail ou d’un mandat social » et « qu’ils [les BSA] sont proposés aux travailleurs en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis par ceux-ci à des conditions préférentielles, les bons constituent un avantage qui entre dans l’assiette des cotisations sociales au sens de l’article L.242-1 alinéa 1 CSS » (Cass. Civ. II, 4 avril 2019, n° 17-24-470, Barrière).

La solution apparaît classique lorsque « l’avantage » est caractérisé (s’agissant de la cession à prix préférentiel d‘actions à des salariés (Cass. Civ. II, 28 janvier 2010 n° 0821783) : le fait générateur des cotisations sociales était alors « la date de mise à disposition effective de l’avantage au salarié bénéficiaire ».

Plus récemment, et dans un second temps, la Cour de cassation a durci sa position, décidant que ­« les conditions préférentielles de l’article L.242-1 CSS résultent de la seule qualité de salarié ou mandataires sociaux des attributaires de BSA sans considération des conditions financières » (Cass. Civ. II, 27 sept. 2023, n° 21-20685, Alten). Le fait générateur s’apprécie désormais à la « date de cession ou de réalisation des bons de souscription d’actions », ce qui a pour effet de repousser le point de départ du délai de reprise.

« L’avantage » de l’article L. 242-1 du CSS s’entendrait, pour la Haute juridiction, de la plus-value (ou gain) d’acquisition, décision qui procède d’une véritable confusion entre les définitions sociale et fiscale de l’avantage.

Si le législateur n’a certainement pas entendu interdire à des salariés d’être associés de leur entreprise, on ne peut manquer de relever l’hostilité évidente du juge social aux mécanismes optionnels, à l’instar du juge de l’impôt, et de s’interroger sur le point de savoir si l’attribution de bons autonomes, même à titre onéreux, n’est pas per se au nombre des « avantages » mentionnés à cet article L. 242-1 al. 1er du CSS. Il ne saurait pourtant y avoir « avantage » ou « conditions préférentielles » lorsque l’attributaire a acquitté la juste valeur de l’instrument et qu’il est exposé à un risque de perte de son investissement.

  • Le coin des praticiens ; de quelques adaptations/conséquences pratiques

Ces solutions jurisprudentielles invitent à reconsidérer les pratiques contractuelles usuellement convenues avec les managers en matière de liquidité (achat-vente) de leurs droits sociaux : les traditionnels accords dits de leaver, qui ne sont autres que des promesses de vente et d’achat assorties de prix variables en fonction du motif d’éviction (good, medium, bad leaver), reviennent en effet à colorer d’un caractère salarial le gain du manager-associé.

Elles invitent encore à reconsidérer la robustesse de certains schémas d’actionnariat salarié, notamment ceux reposant sur la coexistence d’actions ordinaires inscrites en PEA et d’ADP assorties de préférences négatives (l’action dite « ordinaire » est-elle toujours éligible au PEA en pareille circonstance ?).

Elles incitent certainement à délaisser les traditionnelles options construites au travers de bons autonomes ou de simples promesses, au profit de la souscription par des managers d’ADP dépourvues de tout prix d’exercice quoique présentant un profil convexe de valeur à l’instar d’une option (D. Fiscal n° 42, oct. 2023, op. cit.).

L’actionnariat salarial, un mal-aimé fiscal ?

Ce thème de l’actionnariat salarié met en lumière le divorce naissant entre les axiomes financiers et les logiques budgétaires et fiscales.

L’inexplicable hiatus entre management package et carried interest (ou comment traiter différemment deux situations actionnariales strictement identiques !)

C’est particulièrement le lieu de s’étonner de cette sévérité du juge fiscal et social à l’endroit des outils de management package, alors que l’on relève, dans le même temps, que le législateur a instauré un régime d’actionnariat salarié de faveur réservé précisément aux salariés et dirigeants (relevant d’un régime fiscal salarié) des véhicules financiers d’investissement professionnels (les mêmes qui investissent dans les opérations sanctionnées de LBO !), les textes légalisant en la matière une véritable sous-valorisation du prix de souscription des instruments de carried interest (1% ou 0,5 voire 0,25% du sous-jacent) (cf. BOI-RPPM-PVBMI-60-10, 22 juin 2020 - Art. 150-0 A, II, 8° et 9° du CGI et Art. 163 quinquies C, II du CGI.et le commentaire documenté sous D. Fiscal n° 4, janvier 2022, management package : il faut que tout change pour que rien ne change …).

  • Les errements administratifs en matière de Bspce et d’inscription en PEA

Une hostilité aux mécanismes d’actionnariat salarié, sinon une forme de fébrilité administrative, semble régner, qui se manifeste par l’adoption d’une doctrine administrative jugée contra legem. Des illustrations en sont fournies par :

- un rescrit du 25 mai 2023 déniant l’application des régimes de différé d’imposition à la plus-value constatée lors de l’apport à une société d’actions issues de l’exercice de Bspce (BOI-RES-RSA-000127), doctrine abondamment critiquée (D. Fiscal n° 30-34, juillet 2023, le traitement fiscal des apports d’actions issues de Bspce ou d’actions gratuites : le mal dit et le non-dit) avant que d’être annulée par le Conseil d’Etat (CE, 8ème et 3ème Ch. Réunies, 5 février 2024 n° 476309 et commentaire sous D. Fiscal, n° 13, mars 2024, Actions issues de Bspce : quand le Conseil d’Etat remet le Droit au centre du village) ;
- l’annulation par le Conseil d’Etat (CE, 8 déc. 2023 n° 482922) de passages contra legem de la doctrine administrative (Inst. 4-8-2006, 5 I-8-06 n° 84 ; BOI-RPPM-RCM-40-50-20-20 n° 540 du 25 sept. 2017) interdisant, à tort, l’exercice de Bspce via un PEA (décision à notre sens transposable aux actions ordinaires souscrites en PEA en exercice de bons autonomes) (D. Fiscal, n° 13, mars 2024, op. cit.)

  • La lecture (fiscale) hérétique de la valeur d’une option de conversion en fonction de la qualité de son détenteur

On relèvera enfin les décisions contradictoires rendues par le Conseil d’Etat au sujet de la valorisation d’une option de conversion, signe d’une jurisprudence qui malmène la théorie financière des options fondant pourtant la valorisation de nombre d’instruments de management package (D. Fiscal n° 10, mars 2024, valeur d’une OC et d’une option de conversion : le deux poids deux mesures fiscal et ses incidences en droit des sociétés ; à propos de CE 16 nov. 2022 nos 462383, 462388, min. c/ SA EDF et de CE, 20 sept. 2022 no 455651, Sté HCL Maître Pierre).

Jean-Louis Médus
Professeur Agrégé des Universités
Avocat aux barreaux de Paris et de Luxembourg (AdWise avocats)

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