ACTUALITÉ

Sites patrimoniaux remarquables (SPR) : cinq ans après, où en est-on ?

Sites patrimoniaux remarquables (SPR) : cinq ans après, où en est-on ?
Publié le 07/11/2022 à 09:55

 

La loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) promulguée en 2017, remplace les trois dispositifs de protection et de mise en valeur des ensembles urbains (secteurs sauvegardés, ZPPAUP, AVAP), par un dispositif unique, les Sites patrimoniaux remarquables (SPR). Ce nouveau dispositif, qui s’inscrit dans l’évolution des politiques publiques du ministère de la Culture en faveur de la préservation et de la valorisation du patrimoine, a pour objectif de simplifier les outils existants à la disposition des pouvoirs publics. Pourra-t-il répondre aux nouveaux enjeux de la politique de la ville ? Permettra-t-il véritablement une mise en cohérence des nombreux dispositifs opérationnels ? Pourra-t-il faire émerger de véritables projets de territoire, sans provoquer la transformation des centres anciens en musées, voire leur disparition ?

 

Depuis la loi du 30 mars 1887 sur le classement des monuments historiques, on a d’abord assisté à un élargissement géographique de la notion de patrimoine. La protection du monument isolé s’est étendue aux abords des monuments historiques, puis aux ensembles urbains avec la loi « Malraux » du 4 août 1962 et la création des secteurs sauvegardés, puis à des Zones de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP), avec la loi de décentralisation de 1983 (loi Defferre), et enfin à des Aires de Mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine (AVAP), instituées par la loi Grenelle II en 2010. Une évolution parallèle a été constatée pour la protection des sites et des paysages. Cet élargissement de la notion de patrimoine a dépassé le seul contexte français en 1972, quand l’UNESCO a élaboré une « Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel » complétée par la création des « zones tampon » en 1977.

 

L’article L. 631-1 du Code du patrimoine établit que : « Sont classés au titre des sites patrimoniaux remarquables les villes, villages ou quartiers dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur présentent, du point de vue historique, architectural, archéologique, artistique ou paysager, un intérêt public. Peuvent être classés au même titre, les espaces ruraux et les paysages qui forment avec ces villes, villages ou quartiers, un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à leur conservation ou à leur mise en valeur ». Les SPR ont le caractère de servitude d’utilité publique.

 

La procédure de création se déroule en deux temps :

• le classement au titre du SPR, qui délimite son périmètre par arrêté du ministre de la Culture. Celui-ci peut être initié par l’État ou par la collectivité compétente en matière d’urbanisme ;

• l’élaboration de l’outil de gestion du SPR, qui s’appuie sur une véritable connaissance historique, archéologique, architecturale et urbaine. Celle-ci se fait soit sous la forme d’un Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV), soit d’un Plan de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine (PVAP), soit par l’association des deux. À la différence du PVAP qui n’est qu’une servitude d’utilité publique, le PSMV est un véritable document d’urbanisme qui tient lieu de Plan Local d’Urbanisme, et protège également les intérieurs des immeubles.

 

Cette nouvelle loi appelle à remplacer le périmètre de 500 mètres aux abords des monuments historiques par des PDA (périmètres délimités des abords) sans notion de champ de visibilité. Les Périmètres de Protection Modifiés (PPM), disposition de la loi SRU, comme les Périmètres de Protection Adaptés (PPA) concomitants à la protection de l’immeuble, deviennent automatiquement des PDA.

 

Premiers effets de la loi

 

L’élargissement progressif de la notion de patrimoine qui prévalait depuis la fin du 19e siècle semble désormais bien fini. La Commission Nationale du Patrimoine et de l’Architecture (CNPA), créée avec la loi LCAP, montre en effet dans son bilan de septembre dernier une réduction très sensible de la surface des SPR examinés depuis 2018. À titre d’exemple, les SPR de Saintes ou de Perros-Guirec diminuent de 60 % les surfaces de l’ancien secteur sauvegardé pour le premier ou de l’ancienne ZPPAUP pour le second.

 

La Cour des comptes, dans un rapport de juin 2022, souligne ainsi « des fragilités structurelles persistantes face aux nouveaux enjeux de la politique du patrimoine » et recommande que « l’État se mobilise beaucoup plus fortement pour promouvoir des stratégies d’aménagement des quartiers urbains patrimoniaux ». Elle constate ensuite les difficultés de la transition à l’œuvre en notant que « la fixation du périmètre des SPR doit désormais faire l’objet d’un passage préalable devant la CNPA, et d’un arrêté ministériel, avant l’élaboration puis l’approbation du PSMV ou du PVAP ». « Cette condition » dit-elle, « freine la transformation progressive de tous les anciens zonages en Sites patrimoniaux remarquables dotés d’un périmètre révisé et d’un outil de gestion modernisé ». Elle regrette ainsi que « cœxistent plusieurs générations de sites patrimoniaux réglementés » (« fin 2021, on comptait 109 SPR ex-secteurs sauvegardés, 151 SPR ex-AVAP, 670 SPR ex-ZPPAUP et seulement 11 SPR créés en application des nouvelles dispositions de la loi LCAP »).

 

La loi « Malraux » était intervenue dans un contexte d’urgence : il convenait de sauvegarder les centres urbains historiques contre les assauts d’une « rénovation » urbaine qui consistait à démolir et reconstruire en éradiquant « les taudis historiques » (formule employée pour le quartier du Marais à Paris). Aujourd’hui, la ville a beaucoup évolué en débordant largement des quartiers anciens. On vit, on travaille, on consomme, on se divertit, au pourtour des centres historiques. Malgré les efforts des élus locaux, malgré les outils disponibles, malgré tous les travaux entrepris pour la revitalisation des quartiers anciens, il reste de nombreux problèmes à résoudre. Dans beaucoup de villes petites et moyennes, les centres historiques se vident et les populations se précarisent. Comment offrir une habitabilité digne du 21e siècle avec le confort nécessaire, des surfaces plus généreuses et mieux distribuées ? Comment gérer les déplacements et le stationnement ? Comment faire revenir des commerces, réintégrer des services pour accueillir ou maintenir les populations ?

 

Les Sites patrimoniaux remarquables ne vont-ils pas accentuer cette rupture entre un cœur historique patrimonial touristique et cette ville du 21e siècle ?  Le Plan de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine, simple servitude d’utilité publique, est-il le bon outil pour un plan de gestion ? Le SPR doit-il se limiter à ce qui est défini par le terme « remarquable » ou doit-il s’orienter vers une approche plus globale de la ville ?

 

À la date d’aujourd’hui, le bilan des Sites patrimoniaux remarquables ne peut être que très partiel, mais on peut cependant craindre l’évolution que l’on voit poindre, au vu des 71 dossiers examinés par la CNPA depuis sa création. Cette nouvelle disposition risque en effet de se traduire par une diminution drastique des surfaces d’ensemble urbains concernés. On retrouve également ce rétrécissement dans la disparition programmée des sites inscrits. Pourtant, les SPR mériteraient, à l’inverse, de greffer autour d’un véritable plan de gestion un projet de territoire qualitatif comprenant tous les objectifs en termes d’urbanisme, de logements, de commerces, de déplacements, de transition énergétique… Ce serait là une vision globale de la planification urbaine, redonnant à l’histoire et à la qualité des centres anciens toute l’importance qu’ils méritent.

 

Sibylle Madelain-Beau,

ancienne architecte des bâtiments de France (ABF),

membre de la CNPA (Commission nationale du patrimoine et de l’architecture)

  

0 commentaire
Poster
SPR

Nos derniers articles