La
loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine
(LCAP) promulguée en 2017, remplace les trois dispositifs de protection et de
mise en valeur des ensembles urbains (secteurs sauvegardés, ZPPAUP, AVAP), par
un dispositif unique, les Sites patrimoniaux remarquables (SPR). Ce nouveau
dispositif, qui s’inscrit dans l’évolution des politiques publiques du
ministère de la Culture en faveur de la préservation et de la valorisation du
patrimoine, a pour objectif de simplifier les outils existants à la disposition
des pouvoirs publics. Pourra-t-il répondre aux nouveaux enjeux de la politique
de la ville ? Permettra-t-il véritablement une mise en cohérence des
nombreux dispositifs opérationnels ? Pourra-t-il faire émerger de
véritables projets de territoire, sans provoquer la transformation des centres
anciens en musées, voire leur disparition ?
Depuis
la loi du 30 mars 1887 sur le classement des monuments historiques, on a
d’abord assisté à un élargissement géographique de la notion de patrimoine. La
protection du monument isolé s’est étendue aux abords des monuments
historiques, puis aux ensembles urbains avec la loi « Malraux » du 4 août
1962 et la création des secteurs sauvegardés, puis à des Zones de Protection du
Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP), avec la loi de
décentralisation de 1983 (loi Defferre), et enfin à des Aires de Mise en Valeur
de l’Architecture et du Patrimoine (AVAP), instituées par la loi Grenelle II en
2010. Une évolution parallèle a été constatée pour la protection des sites et
des paysages. Cet élargissement de la notion de patrimoine a dépassé le seul
contexte français en 1972, quand l’UNESCO a élaboré une « Convention pour
la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel » complétée par
la création des « zones tampon » en 1977.
L’article
L. 631-1 du Code du patrimoine établit que : « Sont classés au
titre des sites patrimoniaux remarquables les villes, villages ou quartiers
dont la conservation, la restauration, la réhabilitation ou la mise en valeur
présentent, du point de vue historique, architectural, archéologique,
artistique ou paysager, un intérêt public. Peuvent être classés au même titre,
les espaces ruraux et les paysages qui forment avec ces villes, villages ou
quartiers, un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à leur
conservation ou à leur mise en valeur ». Les SPR ont le caractère de
servitude d’utilité publique.
La
procédure de création se déroule en deux temps :
•
le classement au titre du SPR, qui délimite son périmètre par arrêté du
ministre de la Culture. Celui-ci peut être initié par l’État ou par la
collectivité compétente en matière d’urbanisme ;
•
l’élaboration de l’outil de gestion du SPR, qui s’appuie sur une véritable
connaissance historique, archéologique, architecturale et urbaine. Celle-ci se
fait soit sous la forme d’un Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV),
soit d’un Plan de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine (PVAP), soit
par l’association des deux. À la différence du PVAP qui n’est qu’une servitude
d’utilité publique, le PSMV est un véritable document d’urbanisme qui
tient lieu de Plan Local d’Urbanisme, et protège également les intérieurs des
immeubles.
Cette
nouvelle loi appelle à remplacer le périmètre de 500 mètres aux abords des
monuments historiques par des PDA (périmètres délimités des abords) sans notion
de champ de visibilité. Les Périmètres de Protection Modifiés (PPM),
disposition de la loi SRU, comme les Périmètres de Protection Adaptés (PPA)
concomitants à la protection de l’immeuble, deviennent automatiquement des PDA.
Premiers
effets de la loi
L’élargissement
progressif de la notion de patrimoine qui prévalait depuis la fin du 19e siècle
semble désormais bien fini. La Commission Nationale du Patrimoine et de
l’Architecture (CNPA), créée avec la loi LCAP, montre en effet dans son bilan
de septembre dernier une réduction très sensible de la surface des SPR examinés
depuis 2018. À titre d’exemple, les SPR de Saintes ou de Perros-Guirec
diminuent de 60 % les surfaces de l’ancien secteur sauvegardé pour le
premier ou de l’ancienne ZPPAUP pour le second.
La
Cour des comptes, dans un rapport de juin 2022, souligne ainsi « des
fragilités structurelles persistantes face aux nouveaux enjeux de la politique
du patrimoine » et recommande que « l’État se mobilise
beaucoup plus fortement pour promouvoir des stratégies d’aménagement des
quartiers urbains patrimoniaux ». Elle constate ensuite les difficultés
de la transition à l’œuvre en notant que « la fixation du périmètre des
SPR doit désormais faire l’objet d’un passage préalable devant la CNPA, et d’un
arrêté ministériel, avant l’élaboration puis l’approbation du PSMV ou du
PVAP ». « Cette condition » dit-elle, « freine
la transformation progressive de tous les anciens zonages en Sites patrimoniaux
remarquables dotés d’un périmètre révisé et d’un outil de gestion
modernisé ». Elle regrette ainsi que « cœxistent plusieurs
générations de sites patrimoniaux réglementés » (« fin 2021,
on comptait 109 SPR ex-secteurs sauvegardés, 151 SPR ex-AVAP, 670 SPR ex-ZPPAUP
et seulement 11 SPR créés en application des nouvelles dispositions de la loi
LCAP »).
La
loi « Malraux » était intervenue dans un contexte d’urgence : il
convenait de sauvegarder les centres urbains historiques contre les assauts
d’une « rénovation » urbaine qui consistait à démolir et
reconstruire en éradiquant « les taudis historiques » (formule
employée pour le quartier du Marais à Paris). Aujourd’hui, la ville a beaucoup
évolué en débordant largement des quartiers anciens. On vit, on travaille, on
consomme, on se divertit, au pourtour des centres historiques. Malgré les
efforts des élus locaux, malgré les outils disponibles, malgré tous les travaux
entrepris pour la revitalisation des quartiers anciens, il reste de nombreux
problèmes à résoudre. Dans beaucoup de villes petites et moyennes, les centres
historiques se vident et les populations se précarisent. Comment offrir une
habitabilité digne du 21e siècle avec le confort nécessaire,
des surfaces plus généreuses et mieux distribuées ? Comment gérer les
déplacements et le stationnement ? Comment faire revenir des commerces,
réintégrer des services pour accueillir ou maintenir les populations ?
Les
Sites patrimoniaux remarquables ne vont-ils pas accentuer cette rupture entre
un cœur historique patrimonial touristique et cette ville du 21e siècle ?
Le Plan de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine, simple
servitude d’utilité publique, est-il le bon outil pour un plan de
gestion ? Le SPR doit-il se limiter à ce qui est défini par le terme
« remarquable » ou doit-il s’orienter vers une approche plus globale
de la ville ?
À
la date d’aujourd’hui, le bilan des Sites patrimoniaux remarquables ne peut
être que très partiel, mais on peut cependant craindre l’évolution que l’on
voit poindre, au vu des 71 dossiers examinés par la CNPA depuis sa création.
Cette nouvelle disposition risque en effet de se traduire par une diminution
drastique des surfaces d’ensemble urbains concernés. On retrouve également ce
rétrécissement dans la disparition programmée des sites inscrits. Pourtant, les
SPR mériteraient, à l’inverse, de greffer autour d’un véritable plan de gestion
un projet de territoire qualitatif comprenant tous les objectifs en termes
d’urbanisme, de logements, de commerces, de déplacements, de transition
énergétique… Ce serait là une vision globale de la planification urbaine,
redonnant à l’histoire et à la qualité des centres anciens toute l’importance
qu’ils méritent.
Sibylle Madelain-Beau,
ancienne architecte des bâtiments de France (ABF),
membre de la CNPA (Commission nationale
du patrimoine et de l’architecture)