« Dans un contexte de plus en plus complexe
pour les jeunes pousses innovantes pour lever de nouveaux fonds, se tourner
vers un industriel peut non seulement leur apporter une solution financière mais
aussi les aider à accélérer leur 'time-to-market' afin de déployer leurs innovations », affirme dans cette tribune Benoît Parnet, associé
cofondateur du cabinet de conseil Oneida Associés (groupe Oasys & Cie).
Le CES 2024 à Las Vegas s’est terminé la semaine
dernière avec 135 start-up françaises qui avaient fait le déplacement pour
promouvoir leurs innovations, mais aussi pour certaines d’entre elles avec
l’objectif de rechercher des partenaires leur permettant de poursuivre leur
aventure entrepreneuriale.
En 2023, le monde de l’innovation aura été marqué par
une augmentation significative de la mortalité et des plans sociaux chez les
start-up. Par ailleurs, à part quelques exceptions, le secteur fait aussi face
de manière générale à une baisse des valorisation des start-up, à une
augmentation conséquente des taux d’intérêt et à un accès au financement par
les fonds qui s’est fortement restreint.
Le marché des levées de fonds depuis le début de
l'année 2023 est marqué à la fois par une crise du financement résultant
d'un fort recul des « méga levées », ainsi que par une réallocation
des fonds vers l'amorçage, les technologies de rupture telles que l’IA, la Deeptech,
et quelques secteurs stratégiques, telles que la Cleantech (énergie) et la
santé. Ainsi, au cours des 9 premiers mois de 2023, les montants levés ont
reculé de -41% en France et -36% en Europe* par rapport aux montants
spectaculaires enregistrés sur la même période en 2022.
Dans ce contexte, l’adossement industriel, peut constituer une solution
alternative de pérennisation de l’activité des start-ups tout en permettant aux
industriels d’accélérer sur leur roadmap de développement de nouveaux produits.
Cette démarche de rapprochement se révèle être « gagnante-gagnante »
pour les deux parties. D’un côté la jeune pousse pourra bénéficier d’un
soutien financier mais également opérationnel des équipes du groupe industriel,
et de l’autre c’est un levier de croissance qui permet aux industriels
d’accélérer leur innovation produit ou process, et/ou d’acquérir de nouvelles
compétences de pointe tout en participant à la sauvegarde des compétences
technologiques françaises.
L’adossement industriel pour renforcer les moyens de la start-up
L’adossement industriel consiste pour une start-up à ouvrir son capital
à une entreprise industrielle (groupe, ETI ou PME d’une taille significative), positionnée
sur un secteur d’activité similaire ou proche du sien. Ce partenaire dispose de
ressources financières, commerciales, techniques, industrielles et des
fonctions support pouvant apporter un effet de levier au développement de la
start-up. L’adossement industriel et financier permet donc de renforcer les
moyens de cette dernière.
Par exemple, une start-up qui a fortement puisé dans sa trésorerie pour
développer un prototype ou plusieurs brevets innovants est souvent confrontée à
un manque de ressources pour passer au stades de l’industrialisation et de la commercialisation
de son produit. Cette nouvelle étape dans la vie de la jeune entreprise
nécessite fréquemment de faire appel à de nouveaux financements.
Dans un contexte de plus en plus complexe pour les jeunes pousses innovantes
pour lever de nouveaux fonds, se tourner vers un industriel peut non seulement
leur apporter une solution financière mais aussi les aider à accélérer leur « time-to-market »
afin de déployer leurs innovations, en France et à l’international grâce à son
organisation, et en particulier leurs équipes marketing et commerciales.
Investir dans une start-up,
un levier de croissance pour les industriels
Les start-up constituent une opportunité pour les grands groupes
industriels de rester innovants, compétitifs ou tout simplement d’aller
chercher des relais de croissance sur leur marché.
Jean-Louis Beffa, grand capitaine d’industrie, ancien Président de Saint
Gobain, et auteur du livre Se transformer ou mourir - Les grands groupes
face aux start-up, mentionnait il y a quelques années, dans une
conférence organisée par le cabinet de conseil Oneida Associés, qu’investir
dans des start-up pour leur permettre d’accélérer leur développement technologique
était une chance pour la politique d’innovation des grands groupes.
Jean-Lous Beffa mettait en avant les atouts ce ces jeunes entreprises, en
particulier le côté visionnaire et l’ADN entrepreneurial de leurs fondateurs, l’agilité
de leurs organisations et la créativité de leurs jeunes collaborateurs. Ces
éléments leur permettent d’être plus à même de développer rapidement des
solutions disruptives pouvant créer de nouveaux besoins sur le marché et de
leur permettre de se différencier par rapport à une concurrence d’acteurs
leaders et bien établis, mais qui peuvent faire preuve parfois de conservatisme
ou d’inertie technologique.
Enfin, elles développent souvent un marketing différentiant qui marque
les esprits du consommateur. L’acquisition ou une prise de participation dans une
start-up par un grand groupe ne se limite pas à un investissement stratégique. Jean-Louis
Beffa reconnaissait aussi l’importance de les laisser évoluer de manière autonome
pendant un certain temps avant de les intégrer opérationnellement, de façon à ne
pas les inhiber par la culture et les process de grands groupes surtout
évoluant dans des secteurs industriels traditionnels.
Sauver les compétences d’une
start-up : une responsabilité pour les grands groupes
Dans un contexte d’accès au financement qui s’est fortement complexifié,
les grands groupes industriels français peuvent se présenter vis-à-vis des
start-ups françaises en partenaires stratégiques offrant une solution
alternative aux fonds d’investissement.
En investissant dans ces jeunes pousses, les groupes pourront bénéficier
de leurs courbes d’apprentissage, accéder à des talents dans un contexte de marché
du travail très tendu, afin de développer de nouvelles solutions technologiques
ou des produits innovants et ou complémentaires.
En devenant en quelque sorte des « chevaliers blancs », les
grands groupes français jouent un rôle d’acteurs citoyens pour sauver ces
jeunes entreprises innovantes et ne pas laisser partir en fumée tout
l’investissement humain et financier derrière ces aventures entrepreneuriales. S’ils
ne saisissent pas ces opportunités, ils risquent également de voir leurs
concurrents étrangers se positionner à leur place.
La start-up fait partie de l’écosystème économique, de la stratégie de
l’innovation pour demain. Elle a pour vocation à devenir une PME qui se
développera essentiellement par croissance organique. A l’inverse, le grand
groupe industriel mise une partie significative de sa stratégie de
développement sur de la croissance externe. En reprenant ou investissant dans
des start-ups qui font sens avec leur métier, le grand groupe assume un rôle
majeur dans la défense de la technologie et de la réindustrialisation du pays
pour les années à venir.
Benoît
Parnet
* selon le baromètre des levées de
fonds In Extenso Innovation Croissance, ESSEC Business School et France
Angels du 3ème trimestre 2023