Les professionnels de
l’immobilier s’alarment de la crise aiguë qu’ils traversent depuis la sortie de
la covid. Construction, marché locatif, investissement, transactions et gestion immobilière… tout le secteur est touché.
Les mesures de la loi de
finances pour 2024 ne résorbent pas le problème. Et la situation actuelle
rappelle la période 1989/1990 lors de laquelle la profession de marchands de
biens a été largement sinistrée. La réaction gouvernementale, et notamment celle
du ministre du Logement sont attendues, tandis que les chiffres
catastrophiques, amènent le premier promoteur du pays à communiquer sur
l’imminence d’un plan de sauvegarde.
Les chiffres indiquent un recul profond
Il existe 36 millions de
logements, dont beaucoup sont occupés par des individus désolvabilisés. Le
loyer médian national mensuel constaté en 2023 pour un T2 s’élève à 718 €.
Concrètement, en 2023, les transactions sur le neuf ont reculé de plus d’un tiers
et dans l’ancien la demande globale a reculé de 32,6 % (-29,1 % pour les
résidences principales), les mises en chantier ont baissé de 300.000 unités
(-22 %), tandis que l’investissement a baissé de 44,1 %, et les prix de 4% (de
6,9% en Ile-de-France), avec cependant de grandes disparités.
Les permis de construire
octroyés ont reculé de 25 % avec 115.900 permis en moins. Plus de 300.000
suppressions d’emploi dans le bâtiment sont anticipées d'ici à 2025. Le secteur
locatif est le plus touché avec une baisse drastique de l’offre à moins 22 %.
De sorte qu’il est devenu impossible de trouver un logement à louer dans
plusieurs métropoles, Rennes, Lyon, Annecy par exemple. Cette pénurie notable
pénalise d’abord les étudiants.
Difficile d’être propriétaire
et difficile d’être locataire
Malgré les signaux
inquiétants, les habitudes ne changent pas. Le législateur continue à inventer
des normes de plus en plus complexes (RE2020) qui augmentent les coûts de
construction. Idem pour les règles d’urbanisme et la loi DALO compliquées à
appliquer.
L’expérimentation de
l’encadrement des loyers a été doublé d’un plafonnement lors du renouvellement
en zones tendues, qui assèche l’offre locative déjà atone dans 70 villes. La
taxe sur les logements vacants (34 % dès la 2° année) est perçue comme une
sanction plutôt que comme une taxe.
L’insuffisance du parc du
secteur social entraine des délais d’attente se chiffrant en années. Le secteur
résidentiel s’affaiblit en raison de la tutelle des mairies à leurs électeurs.
Les préconisations en matière de conditions d’octroi de crédits aggravent la
frilosité des banques. L’augmentation des taux de financement limite les
acquisitions des ménages et ferme le passage locataires/propriétaires.
La fiscalisation des revenus
fonciers – jusqu’à 66,2 % – est écrasante, voire confiscatoire. L’impôt sur la
fortune immobilière cause le gel ou la délocalisation des projets. La fin du
régime des meublés touristiques n’a pas été accompagnée de la création d’un
moyen de substitution pour assurer des services que le secteur hôtelier
n’assume pas, particulièrement en milieu rural. La volonté d’éradiquer les
passoires thermiques (42 % du parc à Paris) par l’interdiction d’augmenter le
loyer puis de louer a provoqué un afflux de mises en vente à des prix décotés…
bref, la liste des sujets d’insatisfaction en matière de logement est longue.
Mais l’abondance des
critiques ne doit pas cacher la difficulté de la tâche qui attend Guillaume
Kasbarian, ministre délégué chargé du logement. Rappelons à son actif la loi
anti-squat du 27 juillet 2023 qui a sonné le glas de l’impunité des occupations
illicites de biens d’autrui, et la réhabilitation de l’inviolabilité du droit
de propriété. Au moins cinq domaines méritent l’attention.
La construction tourne au
ralenti
Les incompétents, voire les
escrocs, qui sévissent sur le marché de la maison individuelle, pillent les
ressources financières d’innombrables primo-accédants, et nuisent à un métier
noble. Ne serait-il pas envisageable de leur interdire l’accès à l’assurance
obligatoire en secteur diffus pour les empêcher d’intervenir ?
S’agissant de la simplification des
normes imposées au BTP, sa mise en application serait une libération.
Aujourd’hui, visant à protéger l’acquéreur, en vérité, les textes limitent souvent
son sort, réduisant l’offre en proportion de leurs exigences. Côté
fournisseurs, les constructeurs souffrent de la hausse des prix des matières
premières consécutives à l’inflation, de la contraction des carnets de
commandes et du portage des agios. Une amélioration semble improbable, d’autant
que les difficultés de recrutement, et la restriction des autorisations de
construire brident l’activité.
Pour pallier la détérioration
de la marge, l’exécutif suggère des suspensions de l’interdiction de louer les
passoires thermiques si des travaux collectifs sont décidés en copropriété.
Quant au remboursement différé de crédit (dont 20 % serait acquitté seulement
lors de la revente du bien), cela reste une hypothèse dont l’instauration
dépendra de la philanthropie des banques.
Un plan d’action ambitieux
n’est pas à l’ordre du jour. L’immobilisme fait craindre des défaillances parmi
les entreprises de production ou de commercialisation de logements.
Les agents immobiliers en
pleine tourmente
La fermeture de 1400 agences
immobilières et la baisse de 60 % des annonces en 5 ans sont le reflet d’un
amaigrissement du marché qui dépasse les prévisions les plus pessimistes. Ces
sociétés commerciales vivent d’honoraires tarifés pour l’habitation qui ne
permettent plus de couvrir leurs charges, notamment salariales. Leur perte
d’activité a été violente et les perspectives de redressement des ventes, même
à moyen terme, demeurent désespérément absentes.
La faculté de se reconvertir
vers une activité de syndic ou d’administrateur de biens est handicapée par le
fait qu’il s’agit d’une clientèle captive. La reconversion de 4,8 millions de
m² de bureaux vides en Île-de-France prend du temps et coûte cher.
La reprise dépend
singulièrement de la capacité de production des promoteurs. Or leurs fonds
propres ont été engloutis et la baisse des prix de la construction restent une
utopie. Les défaillances avant livraison bouleversent la vie de familles
d’entrepreneurs endettées.
La chasse aux meublés
touristiques de type Airbnb
Les juges cherchent à
préserver la location classique de longue durée face à la prolifération
notamment en zone balnéaire des « locations de courte durée pour une
clientèle de passage n’y élisant pas domicile », ce qui est une exigence
pour loger à moindre coût les saisonniers ou même les autochtones. À cette fin,
la Cour de justice de l’Union européenne, suivie par notre Cour de cassation,
ont édicté comme conforme à l’intérêt général des restrictions, soit par des
quotas, soit par des compensations (en réalité impossibles à satisfaire dans
les villes comme Paris puisqu’il faut rendre à l’habitation jusqu’à trois fois
plus de surfaces commerciales), ou la nécessité d’un changement d’usage (tout
aussi hors d’atteinte).
La résistance de bailleurs
aux lourdes sanctions encourues (jusqu’à 50.000 € d’amende par local) a eu pour
effet de transformer une partie du parc en mises à disposition clandestines.
Elle échappe à l’impôt, sans pour autant affecter sensiblement le retour aux
meublés de longue durée (55 % du parc). Par ailleurs, le régime fiscal aggravé
du meublé de longue durée agit comme un repoussoir au même titre que celui des
locations touristiques, particulièrement décourageant qui réduit les divers
abattements ou exonérations, et impose la rénovation énergétique.
Simultanément, les
plateformes qui se sont imposées comme intermédiaires incontournables du marché,
ne connaissent pas la crise, en dépit du retentissement de quelques cas de
condamnations en millions d’euros, sans portée dissuasive, au regard de la
rentabilité du domaine.
Le secteur locatif lato
sensu
Pour la multitude de
candidats à la location refoulés, il est devenu impossible de se loger
convenablement dans les métropoles. L’offre est insuffisante à cause de
l’ensemble des freins de notre système. Parmi eux, l’isolation thermique occupe
une place majeure. Les logements énergivores représentent en effet une fraction
significative du parc. Les chiffres sont éclairants :
Seulement 140.000 passoires
thermiques ont récemment été concernées par les exceptions au régime
d’interdiction de louer des catégories F et G, à échéance de 2025 et 2028.
Tandis que juste 624.000 logements ont été rénovés en 2023. Car le label RGE
exigé limite fortement le nombre – très insuffisants pour les besoins –
d’entreprises qualifiées et disponibles pour réaliser les chantiers.
D’autre part, l’offre
locative lacunaire en zones tendues a conduit les gouvernements successifs à
tenter d’adapter au pouvoir d’achat des mal-logés, des logements de la location
libre ou sociale. Il s’agissait aussi de limiter la tentation de bailleurs
privés (la moitié du parc) de profiter de la rareté de l’offre pour renchérir
les loyers, hors caractéristiques exceptionnelles, dont on a également limité
l’occurrence. Ces solutions rappellent des méthodes dirigistes qui ont échoué.
Elles ont été condamnées par la CEDH, et ont alimenté la pénurie.
Les lois ALUR et ELAN ont
privilégié des plafonnements pour l’habitat principal, en pérennisant le loyer
atteint en fin de bail à renouveler ou en encadrant le prix du loyer initial à
travers un prix administrativement fixé en référence au marché libre préexistant.
En réalité, le dispositif ressemble à un entre-soi. Le préfet applique, au-delà
de la première année de détermination du prix de référence (un maximum), le
prix administratif qu’il a lui-même adopté l’année antérieure, puisqu’il était
obligatoire pour la zone ! La référence au marché est donc illusoire.
Le dispositif initialement
expérimental est prolongé jusqu’en 2027, de façon à permettre aux grandes
entités urbaines d’y participer alors qu’elles étaient forcloses. Le blocage
autoritaire des prix dissuade les propriétaires de proposer des baux et les institutionnels
d’investir dans le locatif. En conséquence, le périmètre des zones de pénurie
de biens à louer a considérablement augmenté, favorisant le développement du
marché noir.
Les pratiques de prix non
autorisés représenteraient 30 à 40 % du parc privé. Les poursuites des
préfectures transférées vers les mairies ont sévi. Mais les dépassements
continuent, d’autant plus que les bailleurs recourant à des intermédiaires
professionnels de la gestion locative sont exonérés de toute responsabilité.
L’incompréhension entre
législateurs et bailleurs semble complète. Elle aboutit à une vacance
volontaire des logements qui n’a jamais été aussi vaste.
Les choix écologiques coûtent
cher
La gestion des passoires
thermiques est emblématique des décisions contemporaines commandées par le
vertueux et le durable. Du côté de ceux qui subissent le calendrier adopté par
la loi climat et résilience pour se mettre en conformité, les délais paraissent
intenables. Sans d’amples et coûteux travaux d’isolation, leur bien sera réputé
indécent, et par conséquent interdit de location, et peut-être dans les années
à venir, purement et simplement, interdit de vente.
Selon les estimations,
jusqu’à cinq millions de logements pourraient être retirés du marché locatif.
Soulignons qu’il en manque déjà 500.000 par an pour répondre à la demande
constamment insatisfaite en zone urbaine dense.
Le bailleur assume seul la
charge des travaux de rénovation énergétique dont l’acquit est une condition
obligatoire pour louer. Leur réalisation ne constitue pas un motif
d’augmentation du loyer. Le preneur ne peut être contraint de quitter les lieux
pendant le chantier. Quant au propriétaire, il est tenu de ne plus réviser le
tarif des locaux les plus énergivores.
Le bien-être de l’occupant et
la lutte contre le dérèglement climatique sont priorisés. Ils orientent aujourd’hui
les choix politiques quoiqu’il en coûte au propriétaire.
Le diagnostic de performance
(énergie consommée, isolation et chauffage) fait également des sceptiques. Il a
subi plusieurs ajustements. Un régime particulier (et discriminatoire) a été
annoncé pour les petites surfaces (moins de 40 M²) minimisant leurs
contraintes.
Pour les autres, le carcan en
place semble contre-productif. Car les propriétaires fonciers désabusés ont
boudé la location – l’offre s’est massivement résorbée (- 18 % selon les
notaires) – et ils ont mis en vente les logements ciblés pour préserver leur
trésorerie de charges contraintes. Les prix de ces biens ont subi une décote de
11 à 22 % et engendré un ressentiment certain.
Le parc rendu indisponible
entrave la mobilité naturelle des usagers. Une rancœur nait à l’encontre des
trajectoires écologistes à l’origine de cette mesure. Elle est pour la
décarbonation sans doute, mais pour le logement ? Faut-il rappeler que la
France est la source de 1% des émissions. Si elle arrête tout demain, il
restera 99% du problème sur lesquels elle n’a aucun pouvoir…
Les politiques publiques successives échouent en matière de
logement. En 2022, le secteur a pourtant rapporté 97 milliards d’euros en taxes et
prélèvements selon le dernier rapport
du compte du logement. Consciente du
potentiel paralysé, la Cour des comptes vient de suggérer de revoir totalement la
fiscalité de l’immobilier pour redonner de la confiance. De leur côté, les
Notaires de France à leur dernier congrès ont imploré la création d’urgence un
statut du bailleur privé. Ils ont également proposé de relancer une liste de
réformes laissées en jachère.
François
de La Vaissière,
Avocat honoraire au barreau de Paris,
spécialiste en droit immobilier