ÉCONOMIE

TRIBUNE. Transactions immobilières, BTP, logement : le malaise dure

TRIBUNE. Transactions immobilières, BTP, logement : le malaise dure
Publié le 09/03/2024 à 07:00

Les professionnels de l’immobilier s’alarment de la crise aiguë qu’ils traversent depuis la sortie de la covid. Construction, marché locatif, investissement, transactions et gestion immobilière… tout le secteur est touché.

 

Les mesures de la loi de finances pour 2024 ne résorbent pas le problème. Et la situation actuelle rappelle la période 1989/1990 lors de laquelle la profession de marchands de biens a été largement sinistrée. La réaction gouvernementale, et notamment celle du ministre du Logement sont attendues, tandis que les chiffres catastrophiques, amènent le premier promoteur du pays à communiquer sur l’imminence d’un plan de sauvegarde.

Les chiffres indiquent un recul profond

Il existe 36 millions de logements, dont beaucoup sont occupés par des individus désolvabilisés. Le loyer médian national mensuel constaté en 2023 pour un T2 s’élève à 718 €. Concrètement, en 2023, les transactions sur le neuf ont reculé de plus d’un tiers et dans l’ancien la demande globale a reculé de 32,6 % (-29,1 % pour les résidences principales), les mises en chantier ont baissé de 300.000 unités (-22 %), tandis que l’investissement a baissé de 44,1 %, et les prix de 4% (de 6,9% en Ile-de-France), avec cependant de grandes disparités.

Les permis de construire octroyés ont reculé de 25 % avec 115.900 permis en moins. Plus de 300.000 suppressions d’emploi dans le bâtiment sont anticipées d'ici à 2025. Le secteur locatif est le plus touché avec une baisse drastique de l’offre à moins 22 %. De sorte qu’il est devenu impossible de trouver un logement à louer dans plusieurs métropoles, Rennes, Lyon, Annecy par exemple. Cette pénurie notable pénalise d’abord les étudiants.                   

Difficile d’être propriétaire et difficile d’être locataire

Malgré les signaux inquiétants, les habitudes ne changent pas. Le législateur continue à inventer des normes de plus en plus complexes (RE2020) qui augmentent les coûts de construction. Idem pour les règles d’urbanisme et la loi DALO compliquées à appliquer.

L’expérimentation de l’encadrement des loyers a été doublé d’un plafonnement lors du renouvellement en zones tendues, qui assèche l’offre locative déjà atone dans 70 villes. La taxe sur les logements vacants (34 % dès la 2° année) est perçue comme une sanction plutôt que comme une taxe.

L’insuffisance du parc du secteur social entraine des délais d’attente se chiffrant en années. Le secteur résidentiel s’affaiblit en raison de la tutelle des mairies à leurs électeurs. Les préconisations en matière de conditions d’octroi de crédits aggravent la frilosité des banques. L’augmentation des taux de financement limite les acquisitions des ménages et ferme le passage locataires/propriétaires.

La fiscalisation des revenus fonciers – jusqu’à 66,2 % – est écrasante, voire confiscatoire. L’impôt sur la fortune immobilière cause le gel ou la délocalisation des projets. La fin du régime des meublés touristiques n’a pas été accompagnée de la création d’un moyen de substitution pour assurer des services que le secteur hôtelier n’assume pas, particulièrement en milieu rural. La volonté d’éradiquer les passoires thermiques (42 % du parc à Paris) par l’interdiction d’augmenter le loyer puis de louer a provoqué un afflux de mises en vente à des prix décotés… bref, la liste des sujets d’insatisfaction en matière de logement est longue.

Mais l’abondance des critiques ne doit pas cacher la difficulté de la tâche qui attend Guillaume Kasbarian, ministre délégué chargé du logement. Rappelons à son actif la loi anti-squat du 27 juillet 2023 qui a sonné le glas de l’impunité des occupations illicites de biens d’autrui, et la réhabilitation de l’inviolabilité du droit de propriété. Au moins cinq domaines méritent l’attention.

La construction tourne au ralenti

Les incompétents, voire les escrocs, qui sévissent sur le marché de la maison individuelle, pillent les ressources financières d’innombrables primo-accédants, et nuisent à un métier noble. Ne serait-il pas envisageable de leur interdire l’accès à l’assurance obligatoire en secteur diffus pour les empêcher d’intervenir ?

S’agissant de la simplification des normes imposées au BTP, sa mise en application serait une libération. Aujourd’hui, visant à protéger l’acquéreur, en vérité, les textes limitent souvent son sort, réduisant l’offre en proportion de leurs exigences. Côté fournisseurs, les constructeurs souffrent de la hausse des prix des matières premières consécutives à l’inflation, de la contraction des carnets de commandes et du portage des agios. Une amélioration semble improbable, d’autant que les difficultés de recrutement, et la restriction des autorisations de construire brident l’activité.

Pour pallier la détérioration de la marge, l’exécutif suggère des suspensions de l’interdiction de louer les passoires thermiques si des travaux collectifs sont décidés en copropriété. Quant au remboursement différé de crédit (dont 20 % serait acquitté seulement lors de la revente du bien), cela reste une hypothèse dont l’instauration dépendra de la philanthropie des banques.

Un plan d’action ambitieux n’est pas à l’ordre du jour. L’immobilisme fait craindre des défaillances parmi les entreprises de production ou de commercialisation de logements.

Les agents immobiliers en pleine tourmente

La fermeture de 1400 agences immobilières et la baisse de 60 % des annonces en 5 ans sont le reflet d’un amaigrissement du marché qui dépasse les prévisions les plus pessimistes. Ces sociétés commerciales vivent d’honoraires tarifés pour l’habitation qui ne permettent plus de couvrir leurs charges, notamment salariales. Leur perte d’activité a été violente et les perspectives de redressement des ventes, même à moyen terme, demeurent désespérément absentes.

La faculté de se reconvertir vers une activité de syndic ou d’administrateur de biens est handicapée par le fait qu’il s’agit d’une clientèle captive. La reconversion de 4,8 millions de m² de bureaux vides en Île-de-France prend du temps et coûte cher.

La reprise dépend singulièrement de la capacité de production des promoteurs. Or leurs fonds propres ont été engloutis et la baisse des prix de la construction restent une utopie. Les défaillances avant livraison bouleversent la vie de familles d’entrepreneurs endettées.

La chasse aux meublés touristiques de type Airbnb

Les juges cherchent à préserver la location classique de longue durée face à la prolifération notamment en zone balnéaire des « locations de courte durée pour une clientèle de passage n’y élisant pas domicile », ce qui est une exigence pour loger à moindre coût les saisonniers ou même les autochtones. À cette fin, la Cour de justice de l’Union européenne, suivie par notre Cour de cassation, ont édicté comme conforme à l’intérêt général des restrictions, soit par des quotas, soit par des compensations (en réalité impossibles à satisfaire dans les villes comme Paris puisqu’il faut rendre à l’habitation jusqu’à trois fois plus de surfaces commerciales), ou la nécessité d’un changement d’usage (tout aussi hors d’atteinte).

La résistance de bailleurs aux lourdes sanctions encourues (jusqu’à 50.000 € d’amende par local) a eu pour effet de transformer une partie du parc en mises à disposition clandestines. Elle échappe à l’impôt, sans pour autant affecter sensiblement le retour aux meublés de longue durée (55 % du parc). Par ailleurs, le régime fiscal aggravé du meublé de longue durée agit comme un repoussoir au même titre que celui des locations touristiques, particulièrement décourageant qui réduit les divers abattements ou exonérations, et impose la rénovation énergétique.

Simultanément, les plateformes qui se sont imposées comme intermédiaires incontournables du marché, ne connaissent pas la crise, en dépit du retentissement de quelques cas de condamnations en millions d’euros, sans portée dissuasive, au regard de la rentabilité du domaine.

Le secteur locatif lato sensu

Pour la multitude de candidats à la location refoulés, il est devenu impossible de se loger convenablement dans les métropoles. L’offre est insuffisante à cause de l’ensemble des freins de notre système. Parmi eux, l’isolation thermique occupe une place majeure. Les logements énergivores représentent en effet une fraction significative du parc. Les chiffres sont éclairants :

Seulement 140.000 passoires thermiques ont récemment été concernées par les exceptions au régime d’interdiction de louer des catégories F et G, à échéance de 2025 et 2028. Tandis que juste 624.000 logements ont été rénovés en 2023. Car le label RGE exigé limite fortement le nombre – très insuffisants pour les besoins – d’entreprises qualifiées et disponibles pour réaliser les chantiers.

D’autre part, l’offre locative lacunaire en zones tendues a conduit les gouvernements successifs à tenter d’adapter au pouvoir d’achat des mal-logés, des logements de la location libre ou sociale. Il s’agissait aussi de limiter la tentation de bailleurs privés (la moitié du parc) de profiter de la rareté de l’offre pour renchérir les loyers, hors caractéristiques exceptionnelles, dont on a également limité l’occurrence. Ces solutions rappellent des méthodes dirigistes qui ont échoué. Elles ont été condamnées par la CEDH, et ont alimenté la pénurie.

Les lois ALUR et ELAN ont privilégié des plafonnements pour l’habitat principal, en pérennisant le loyer atteint en fin de bail à renouveler ou en encadrant le prix du loyer initial à travers un prix administrativement fixé en référence au marché libre préexistant. En réalité, le dispositif ressemble à un entre-soi. Le préfet applique, au-delà de la première année de détermination du prix de référence (un maximum), le prix administratif qu’il a lui-même adopté l’année antérieure, puisqu’il était obligatoire pour la zone ! La référence au marché est donc illusoire.

Le dispositif initialement expérimental est prolongé jusqu’en 2027, de façon à permettre aux grandes entités urbaines d’y participer alors qu’elles étaient forcloses. Le blocage autoritaire des prix dissuade les propriétaires de proposer des baux et les institutionnels d’investir dans le locatif. En conséquence, le périmètre des zones de pénurie de biens à louer a considérablement augmenté, favorisant le développement du marché noir.

Les pratiques de prix non autorisés représenteraient 30 à 40 % du parc privé. Les poursuites des préfectures transférées vers les mairies ont sévi. Mais les dépassements continuent, d’autant plus que les bailleurs recourant à des intermédiaires professionnels de la gestion locative sont exonérés de toute responsabilité.

L’incompréhension entre législateurs et bailleurs semble complète. Elle aboutit à une vacance volontaire des logements qui n’a jamais été aussi vaste.

Les choix écologiques coûtent cher

La gestion des passoires thermiques est emblématique des décisions contemporaines commandées par le vertueux et le durable. Du côté de ceux qui subissent le calendrier adopté par la loi climat et résilience pour se mettre en conformité, les délais paraissent intenables. Sans d’amples et coûteux travaux d’isolation, leur bien sera réputé indécent, et par conséquent interdit de location, et peut-être dans les années à venir, purement et simplement, interdit de vente.

Selon les estimations, jusqu’à cinq millions de logements pourraient être retirés du marché locatif. Soulignons qu’il en manque déjà 500.000 par an pour répondre à la demande constamment insatisfaite en zone urbaine dense.

Le bailleur assume seul la charge des travaux de rénovation énergétique dont l’acquit est une condition obligatoire pour louer. Leur réalisation ne constitue pas un motif d’augmentation du loyer. Le preneur ne peut être contraint de quitter les lieux pendant le chantier. Quant au propriétaire, il est tenu de ne plus réviser le tarif des locaux les plus énergivores.

Le bien-être de l’occupant et la lutte contre le dérèglement climatique sont priorisés. Ils orientent aujourd’hui les choix politiques quoiqu’il en coûte au propriétaire.

Le diagnostic de performance (énergie consommée, isolation et chauffage) fait également des sceptiques. Il a subi plusieurs ajustements. Un régime particulier (et discriminatoire) a été annoncé pour les petites surfaces (moins de 40 M²) minimisant leurs contraintes.

Pour les autres, le carcan en place semble contre-productif. Car les propriétaires fonciers désabusés ont boudé la location – l’offre s’est massivement résorbée (- 18 % selon les notaires) – et ils ont mis en vente les logements ciblés pour préserver leur trésorerie de charges contraintes. Les prix de ces biens ont subi une décote de 11 à 22 % et engendré un ressentiment certain.

Le parc rendu indisponible entrave la mobilité naturelle des usagers. Une rancœur nait à l’encontre des trajectoires écologistes à l’origine de cette mesure. Elle est pour la décarbonation sans doute, mais pour le logement ? Faut-il rappeler que la France est la source de 1% des émissions. Si elle arrête tout demain, il restera 99% du problème sur lesquels elle n’a aucun pouvoir…

Les politiques publiques successives échouent en matière de logement. En 2022, le secteur a pourtant rapporté 97 milliards d’euros en taxes et prélèvements selon le dernier rapport du compte du logement. Consciente du potentiel paralysé, la Cour des comptes vient de suggérer de revoir totalement la fiscalité de l’immobilier pour redonner de la confiance. De leur côté, les Notaires de France à leur dernier congrès ont imploré la création d’urgence un statut du bailleur privé. Ils ont également proposé de relancer une liste de réformes laissées en jachère.

François de La Vaissière,
Avocat honoraire au barreau de Paris,
spécialiste en droit immobilier

 

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